Malgré les espoirs post-révolutionnaires, l’attachement à son Bled, le succès de son petit commerce, et sa mère à sa charge, Akram cède à la tentation de l’Europe. La réalité des jeunes « Harraga » (clandestins) et leur combat pour survivre échappent souvent à la « logique » des statistiques et aux exigences des frontières.

L’errance, la chirurgie et la prison

L’aventure d’Akram commence, début 2012, quand il part en France avec son groupe de Rap. Ils y retournent la même année en faisant un crochet par l’Italie où ils participent au festival de musique underground. Lors de cette dernière visite, il décide de lâcher ses compagnons à Milan où il a vécu dix mois avant d’aller en Suisse. « Ça passe ou ça casse », s’est dit Akram. Armada Bizerta se fragilise au moment où il prenait son envol.

Au départ, on m’a donné un laissez-passer de six mois. Au bout de quatre mois, on m’a refusé l’asile. Et depuis, ma misère a commencé,

raconte Akram.

Durant deux mois, il a été placé dans un camp de réfugiés situé en pleine campagne, à une vingtaine de kilomètres de Genève. L’enfermement n’a pas convaincu le rappeur à rentrer en Tunisie. Le 2 décembre 2013, les autorités suisses le mettent en prison.

320 jours en prison pour avoir osé demander refuge en Europe. Ils m’ont dit que tout va bien dans mon pays et ils voulaient m’obliger à rentrer chez moi. Pourtant, je ne suis ni un criminel ni un terroriste,

proteste Akram.

En prison, son cœur menace de lâcher, il subit deux opérations chirurgicales pour implant de stimulateur cardiaque. « La première opération a foiré à cause d’une faute médicale. La deuxième s’est bien passée. Par contre, je n’ai pas eu de repos. Le lendemain de l’opération, on m’a ramené à la maison d’arrêt. J’ai beaucoup souffert moralement et physiquement de l’opération mais surtout du harcèlement de la police suisse qui voulait me rapatrier à tout prix. En plus, on nous donnait des calmants en prison. Je pense que j’en ai fait une addiction dont je commence à subir les conséquences aujourd’hui ». Le regard amer et le souffle coupé, Akram semble gagné par l’amertume de l’échec.

Avant que cette aventure ne tourne au drame, Akram a déjà essayé de s’échapper de ce qu’il appelle « la grande prison nationale ».

Tous les jeunes du quartier tentent leur chance au moins une fois. Sur des petits navires, ils traversent la frontière et débarquent en Italie. Il y a ceux qui réussissent. Les autres multiplient les tentatives jusqu’à ce que ça marche,

explique Akram.

Rappeur engagé, Akram est nourri de la rage qui anime les oubliés des quartiers populaires. Après son retour, ses amis sont désolés pour lui. « Certains me parlent d’un nouveau plan pour l’Allemagne! C’est vrai, les allemands sont plus sociables… j’aurai dû y penser avant » ajoute-t-il sur un ton malicieux.

“Que faire ? Je reviendrais au même endroit”

À Sidi Salem, le quartier où il a grandi, « on ne vit pas même quand on a assez d’argent. Nous sommes considérés comme des sous-citoyens car on ne fait pas parti du système. Ce n’est pas une question de travail ou d’études. Ça dépasse la pauvreté. C’est la misère ! La « hogra » ! Ici, il n’y a aucune politique sociale, aucun avenir pour les gens comme moi. Il y a des frontières entre ceux qui ont accès à la culture, au savoir et à la technologie et tous les autres. Moi, j’ai fait, toute ma vie, partie des « autres » cachés dans cette zone d’ombre où on qualifie l’art de désobéissance ou même de délinquance. C’est pour cette raison que je voulais découvrir un autre monde … allez vivre sous d’autres cieux avec des gens qui apprécient et comprennent ce que je fais et pense » raconte Akram. Même les matons de la prison de Zurich, adoraient l’écouter. « Un jour, je leur ai chanté dans leur langue, l’allemand, et ils sont restés bouche bée ! », se rappelle le rappeur avec fierté.

Un an après la chute de la dictature, Akram était doublement déçu de son pays.

Violence, extrémisme religieux et retour du RCD … j’ai vu venir tous les problèmes dont des rappeurs, des blogueurs et des artistes en souffrent depuis le 14 janvier,

explique-t-il.

Selon lui, l’asile politique aurait pu l’aider à soutenir ses proches, ses potes du quartier et ses compagnons de route.

Qui de nos jours, prétend pouvoir faire carrière dans l’art en Tunisie ?,

s’interroge l’ancien le rappeur.

Akram n’est pas optimiste pour son avenir en Tunisie. En tant que rappeur, il pense qu’entre se radicaliser et risquer la prison ou se fondre dans le paysage médiocre et lâcher ses principes, il n’y a pas d’alternative.

Que faire ? Je n’ai pas réussi à avoir un refuge en Europe, mais je ne lâcherais pas l’affaire. Et je reviendrais au même endroit parce que moi aussi j’ai le droit de vivre dignement,

défie le jeune en gardant le sourire.