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La Tunisie qui a une chance véritable de révolutionner la pratique politique et d’entrer de plain-pied en une nouvelle ère de démocratie refondée relevant de la raison participative est en train de dévier du cours initié par le peuple en singeant tout simplement la pratique dévoyée de la démocratie telle qu’on la pratique en Occident.

En ayant décidé d’organiser précipitamment des élections nationales alors que l’État de droit n’est pas encore en place, on ne fait que passer sous les fourches caudines des grands partis, notamment du parti islamiste qui a verrouillé la scène politique et taillé à sa mesure le scrutin électoral afin de s’assurer une confortable part de voix lui permettant de garder le pouvoir et d’imposer sa doctrine dogmatique.

Il est clair que le scrutin choisi n’autorisera pas une saine représentation de la souveraineté populaire et le verrouillage actuel des différents centres du pouvoir influera certainement, directement ou indirectement, sur la transparence et l’honnêteté du travail de l’ISIE.

La constitution a consacré des libertés et des droits qui restent lettre morte. Il suffit de rappeler que le pays est encore sous l’empire de l’arsenal répressif du régime déchu qui continue sournoisement à régir la vie publique et à brimer les élans sociaux d’émancipation.

Il nous faut rappeler que des textes juridiques les plus novateurs soient-ils ne suffisent pas pour changer des pratiques liberticides ni instaurer une démocratie, surtout si l’arsenal des lois en vigueur est toujours celui d’une dictature.

Il est déjà aberrant que les lois de l’ancien régime n’aient pas été abolies durant les trois années passée. Aussi, il est plus qu’évident que si l’on ne se décide pas tout de suite à détricoter ce système, au moins dans ses aspects les plus scélérats, il ne le sera plus jamais pour peu qu’une majorité conservatrice accède au pouvoir à la faveur des élections nationales qu’on est en train de préparer.

Or, tout porte à croire que nous allons avoir une reconduction de la majorité actuelle avec cette variante qu’il s’agira d’une majorité réunissant les islamistes et leurs ennemis d’hier, le parti issu de l’ancien régime. La nécessité de la restauration de l’autorité de l’État et de son prestige les réunit et cela justifiera toutes les dérives antidémocratiques dans le pays.

Il n’en ira autrement que si un État de droit assis sur des lois nouvelles inspirées des acquis de la Constitution et effectivement appliquées est en mesure de constituer un obstacle efficace à une tel catastrophique retour en arrière.

Or, il est impardonnable de la part des démocrates sincères de se laisser embobiner par un simulacre de démocratie en soutenant l’organisation précipitée d’élections qui n’ont aucun écho réel auprès du peuple, et qui se tiendront donc avec un taux de participation risible. Comme lors de la dernière élection, on aura une majorité nullement représentative des aspirations populaires.

C’est une boîte de Pandore qu’ouvriront les élections qu’on organise en dehors de tout État de droit effectif. La démocratie que le peuple de Tunisie mérite ne peut se réduire à une comédie d’élections qui ne seront nullement libres et honnêtes dans la situation actuelle de verrouillage des rouages de l’État et de lavage de cerveaux.

Il est impératif pour l’honneur des valeurs pour lesquelles militent nos démocrates sincères que l’on fasse tout pour reporter ces élections pour après l’érection effective de l’État de droit. Cela passe par l’ouverture immédiate des chantiers de refonte de la législation nationale dans tous ses aspects violant la constitution. On est en effet dans une situation d’illégalité et on prétend respecter la légalité en se sentant liés par une formalité constitutionnelle. Mais quelle importance peut avoir une disposition formelle quand le contenu même de la constitution est violé, que son esprit est bafoué ?

Être démocrate véritable aujourd’hui, c’est agir pour la mise en place de l’État de droit préalablement à toute élection nationale. Les démocrates doivent demandent le report de l’organisation de ces élections ou, à la limite, leur remplacement par des municpales, les seules de nature à intéresser le peuple, le réconcilier avec la politique.

Sinon, la Tunisie risque de renforcer la coupure flagrante entre le pays légal et le pays réel et de s’enfoncer encore plus dans le chaos que d’aucuns entretiennent en vue de faciliter le retour de la dictature, qu’elle soit policière ou morale. Toutes deux embrigadant les consciences autour d’une conception dévergondée de la démocratie qui ne sera qu’un nouvel autoritarisme surplombant d’une déité transcendante, qu’elle soit religieuse ou profane.

C’est un cas de conscience qui se pose aux démocrates sincères; ils ont intérêt à ne pas continuer d’être trompés par les flibustiers de la politique politicienne en méditant les leçons de l’histoire. C’est grâce à des élections que l’innommable a pu avoir lieu en notre monde contemporain.

La Tunisie mérite mieux que la démocratie d’élevage qu’on lui prépare; refusons-là, quitte à préférer une démocratie sauvage ! Souvenons-nous de l’histoire et agissons donc pour l’État de droit d’abord, les élections nationales après !