La Tunisie a, depuis toujours, été confrontée à des ressources en eau limitées. Aujourd’hui, la crise de l’eau s’aggrave de jour en jour, à cause du mauvais usage des ressources hydriques et d’un assainissement déficient.

D’après un rapport préparé par monsieur Habib Chaieb de la Direction générale des ressources en eaux du Ministère de l’Agriculture (trouvé curieusement sur le site de la NASA), les ressources en eau conventionnelles sont de 4,875 109 m³/an, dont 2,7 109 m³/an proviennent des eaux de surface et 2,175 109 m³/an découlent des eaux souterraines. 1,56 109 m³/an des eaux souterraines sont renouvelable et 0,615 109 m³/an sont non renouvelables.

Ressources-eaux-Tunisie

Les ¾ du territoire de la Tunisie sont semi-arides ou arides, car localisés entre la mer méditerranée et le Sahara. En plus de la variabilité du climat méditerranéen, l’influence de cette aridité fait de l’eau une ressource rarissime ayant une répartition temporelle irrégulière et spatiale inégale.

La Tunisie reçoit des précipitations qui balancent entre 1500 mm dans le nord et moins de 50 mm dans le sud, soit une moyenne annuelle de 36 109 m³. Ce volume se limite à 11 109 m³, en année de sécheresse ; et peut atteindre 90 109 m³/an, en année fortement pluvieuse.

En effet, sur le volume total des eaux souterraines profondes du Sud, 80% sont considérées non renouvelables, ce qui engendre une répartition géographique inégale entre le nord et le sud, risquant de pénaliser les régions les plus démunies et d’entraver leur développement actuel et futur.

L’assise de la crise de l’eau

Selon le rapport de la Banque Mondiale sur les perspectives et les réserves tunisiennes en eau, « les institutions du pays seront confrontées à des problèmes de gestion de plus en plus complexes ».

Les experts de l’UNESCO ont proclamé l’ampleur de la crise actuelle et « placent, depuis longtemps, la Tunisie dans la catégorie des pays qui auront des problèmes sérieux d’eau à l’horizon 2025 ». Plusieurs facteurs liés à la demande croissante mettent cette ressource naturelle sous une pression accrue. A commencer par le développement socio-économique du pays, le taux élevé de desserte de l’eau, aussi bien urbaine que rurale, mais aussi le développement de l’agriculture irriguée, de l’industrie et du tourisme, et bien évidemment la raréfaction des ressources naturelles en eau.

« L’eau en Tunisie est rare. Mais jusque-là, on a bien géré nos ressources, donc on ne peut pas parler de crise de l’eau  », affirme Abderrazak Souissi, enseignant universitaire et directeur général du bureau de la planification et des équilibres hydrauliques au ministère de l’agriculture.  D’après Meriem Labyadh, enseignante géologue à la faculté des sciences de Bizerte, la crise de l’eau en Tunisie existe, depuis longtemps, et existera toujours, parce que tout dépend du climat : « S’il y a des précipitations, on n’a pas de problèmes, s’il n’y en a pas, il y a bel et bien une crise d’eau ».

Répartition inégale des précipitations

Le climat est très contraignant avec un apport pluviométrique modeste, inégalement réparti dans l’espace et‎ très irrégulier dans le temps. Les pluies sont, essentiellement, localisées au nord et à l’intérieur du pays, alors que les centres de consommation se trouvent sur le littoral. Cependant que les ressources en eau dans le Sud sont limitées.

La répartition géographique dissymétrique se traduit par les différentes échelles spatiales relatives à 3 ensembles topographiques, à savoir, le secteur ouest nord-ouest, la Tunisie orientale et la Tunisie saharienne.

Concernant l’irrégularité temporelle, les ¾ des ressources en eau en Tunisie sont renouvelables. Près de 58% de ces ressources sont constituées par des eaux de surface, donc tributaires du climat.

Répartition de la richesse en eau

La croissance économique de la Tunisie est basée sur le développement de 3 secteurs: agricole, industriel manufacturier et touristique. Toutefois, ces trois secteurs demeurent dépendants de l’approvisionnement en eau.

Abderrazak Souissi indique que pour la distribution, la priorité est donnée au service domestique, ajoutant que l’agriculture est de loin le premier usager de l’eau avec 82% de la demande totale.

D’après le rapport de la banque mondiale « L’agriculture utilise la part la plus importante des ressources en eau, même si la part consacrée à l’eau potable augmente légèrement en passant de 13,4% en 2010 à 17,7%, en 2030. Les parts de l’industrie et du tourisme restent très faibles, même si elles subissent une très légère augmentation ».

Le Nord tunisien est le réservoir des eaux renouvelables du pays. Il renferme la presque totalité des eaux de surface et plus que la moitié des eaux des nappes phréatiques, soit 59% du total. Tandis que le Centre et le Sud ne possèdent que, respectivement, 18% et 23% du potentiel total, avec une part significative du potentiel du Sud qui est considérée non durable.

Les paramètres catalyseurs des problèmes hydriques

Tout d’abord, il faut savoir que le phénomène de la raréfaction de l’eau s’est fortifié sous l’effet du changement climatique.

A ce propos, Abderrazak Souissi affirme que « si les années sèches sont redoutées pour la carence en eau, les années très humides le sont, souvent aussi, en raison des inondations et des dégâts qu’elles engendrent ». Ensuite, grandement, responsable de la pression accrue qui s’exerce sur les ressources en eau, la pollution accentue la diminution de l’approvisionnement. Ainsi, les ordures domestiques, les eaux usées, les pesticides agricoles et les déchets industriels qui convergent vers les rivières et qui s’infiltrent dans les nappes phréatiques affectent les ressources hydriques et engendrent une diminution considérable de l’approvisionnement.

Ce problème majeur de la pollution perturbe, souvent, nos études et nos projections prévisionnelles sur les ressources hydriques. Cela fausse, les statistiques de base, sur lesquels nous nous appuyons pour mettre les stratégies de gestion et les plans de répartition des eaux.

Abderrazak Souissi

La contamination des nappes phréatiques et des eaux courantes par les affluents domestiques, industriels et agricoles, aboutissent, à long terme, à l’aggravation des pénuries.

La prise des mesures de rationnement de l’eau 

Bien que la situation soit préoccupante, la Tunisie est arrivée à accomplir sa mission d’élargissement de l’accès aux services de l’eau et de l’assainissement, lors de ces dernières décennies.

Le rapport de la banque mondiale explique la croissance des besoins en eau avec l’augmentation de la population urbaine. « A l’été 2013, la zone du grand Tunis, qui compte 2,5 millions d’habitants, a connu pour la première fois des coupures d’eau dues à des pénuries. Entre 2012 et 2013, la consommation d’eau a bondi de 12% en raison de l’augmentation de la population urbaine à Tunis ».

Pour les autorités tunisiennes, la gestion des ressources hydriques demeure une priorité absolue. Ainsi, dans le cadre de réformes recommandées par la Banque Mondiale, le gouvernement tunisien a mis au point « un programme de dix ans (2001-2011) de soutien au secteur de l’eau axé sur trois aspects, à savoir i) la gestion et la conservation intégrée de l’eau, ii) l’efficience économique de l’utilisation de l’eau dans le domaine agricole et iii) la restructuration des institutions et le renforcement des capacités dans le secteur de l’eau ».

Pour Abderrazak Souissi, « la Tunisie a pu satisfaire ses besoin en eau, même lors des périodes de sècheresse les plus accentuées, grâce à des alternatives à la rareté de l’eau. Et nous sommes toujours en cours de développer nos techniques d’intervention et de partition des ressources ».

Solutions et stratégies de gestion

Trois grandes techniques d’approvisionnement, sont déjà utilisées.

Tout d’abord, le sondage : Etant donné que cette ressource est non renouvelable, elle doit être gérée avec la plus grande précaution.

Ces ressources contribuent dans plusieurs régions de la Tunisie de manière considérable au développement socioéconomique. Toutefois, sous l’effet de l’accroissement démographique et de l’amélioration des conditions de vie, ces ressources en eaux souterraines sont sollicitées de façon constante bien au-delà de leur limite d’exploitation.

Les nappes phréatiques sont facilement exploitables à partir des puits de surface, mais difficilement contrôlable, d’où la pression anthropique.

Pour le sondage ou le forage, des autorisations, auprès du ministère de l’agriculture, sont exigées, afin de bien pouvoir gérer l’exploitation des nappes, et empêcher leur épuisement,

nous confie Abderrazak Souissi.

Les nappes phréatiques côtières sont exposées au risque d’intrusion des eaux marines. La salinité de la nappe souterraine fossile, très ancienne, qui est commune à la Tunisie, l’Algérie et la Lybie, a augmenté, considérablement, étant donné qu’elle n’est point rechargeable.

La situation politique en Lybie nous empêche d’évaluer la quantité des eaux exploités, on ne sait plus si la ‘rivière verte’ que Kadafi a construit, est encore fonctionnelle. Si c’est le cas, on va droit vers l’épuisement, parce que cette rivière aspire des millions et des millions de mètres cubes d’eau par jour, .

prévient Meriem Labyadh

Abderrazak Souissi rétorque qu’« il y a des compromis et une coopération entre les 3 pays, on est interconnecté et on est entrain d’échanger nos études des lieux et nos données afin de bien gérer non seulement cette ressource fossile, mais aussi pour les rivières communes ».

En outre, on a eu recours aux barrages. C’est une technique efficace qui permet d’intercepter les eaux de ruissellement, de laminer des crues violentes et de recharger les nappes souterraines par les eaux de surface.

Or, Les barrages ont des inconvénients qui peuvent se manifester à long terme. Les écoulements hydriques importants et les érosions hydriques engendrent le problème de transport solides et l’envasement des barrages. Pour Meriem Labiadh, « le problème des barrages est l’envasement. Leur dragage et leur dévasement coutent cher. Pour cela, on a appliqué une nouvelle technique, celle des lacs collinaires qui sont des retenues créée derrière les barrages garantissant entre autre une meilleur répartition ».

Enfin, le recours aux eaux non conventionnelles s’est imposé. Le dessalement des eaux saumâtres et l’eau de mer constituent un pilier de la stratégie d’approvisionnement d’eau en Tunisie.

« Nous avons mis en œuvre la station de dessalement de Djerba, et on prévoit deux autre, l’une à Sfax et l’autre à Gabes. Ce projet est en cours de négociation, mais, il est important de maîtriser les dépenses notamment pour l’énergie », note Abderrazak Souissi. Meriem Labyadh pense que le dessalement est une solution fiable pour la gestion de l’eau au sud tunisien. La majorité des unités de dessalement destinées à l’eau potable étant localisée dans le Sud Tunisien. Même si le revers de la médaille est une consommation d’énergie intense.

Confrontée à la rareté de l’eau, la Tunisie a envisagée ces trois techniques. Mais elle a préconisé pour le futur d’autre techniques plutôt de sensibilisation et opte pour une exploitation plus rationnelle. Il faut « cesser de penser l’élément liquide comme une ressource illimitée et adapter notre consommation. Tous les usagers sont concernés », avertit Larbi Bouguerra, ancien professeur à la Faculté des Sciences de Tunis et ancien directeur de l’Institut National de la recherche Scientifique et Technique de Tunisie.

Bientôt, un nouveau Code des eaux !

Actuellement, le ministère de l’Agriculture est orienté, principalement, vers la gestion de la demande afin de protéger et sauvegarder les ressources en eau. Il opte, ensuite, pour la gestion intégrée des ressources. Il adopte, également, l’augmentation du taux de réutilisation des eaux usées et encourage le recyclage des eaux usées dans le domaine de l’industrie.

D’un autre côté, le ministère est entrain de développer l’aspect institutionnel par le renouvellement du code des eaux. Un projet de loi, issu des articles 12, 13, 44 et 45 de la nouvelle constitution tunisienne, est en cours de préparation. De l’avis de Abderrazak Souissi, « une politique coercitive demeure importante ».

Larbi Bouguerra recommande, à son tour, un cadre juridique, affirmant qu’« une gestion durable de l’eau est un élément critique, tant sur le plan de la production des aliments que sur celui de l’économie ou de l’écologie, voire de la sécurité nationale. Cette politique devrait notamment énoncer des règles pour le contrôle des pompages souterrains, comme elle doit aussi contrôler la consommation ».

Pour une politique nationale de l’eau 

Face à la rareté de l’eau en Tunisie, une politique nationale de l’eau s’impose afin de pointer clairement les priorités et les risques.

Nous avons des conventions avec des experts étrangers qui nous soutiennent soit avec leurs savoir-faire soit avec leurs technologies nouvelles et sophistiquées. Selon les termes de référence qu’on précise, nous traçons notre grille d’évaluation à partir de laquelle on fait notre choix,

nous confie Abderrazak Souissi.

La SONEDE (Société Nationale d’Exploitation de Distribution des Eaux) a annoncé un taux de raccordement de 100% pour l’eau potable en zone urbaine et de 94% en zone rurale. Alors que le taux de branchement par la SONEDE en zone rural n’est que de 47%.

« En déficit, depuis plusieurs années, la SONEDE a dû augmenter ses tarifs, avançant plusieurs raisons, dont le gel des tarifs, entre 2005 et 2011, et l’arrivée à terme de prêts consentis pour l’investissement dans les projets de dessalement réalisés, pendant les années 1990 ». Cela entraîne la difficulté à financer l’entretien et le développement des réseaux, ainsi que la mise aux normes des stations d’épuration. La société a donc eu recours à une politique tarifaire dans le but de rentabiliser d’avantage ses services à priori, et de sensibiliser le consommateur. Une hausse qui est entrée en vigueur, il y a quelques mois, conformément au JORT N°105 du 31 décembre 2013.

Mais cette hausse des prix de l’eau prive les plus pauvres de leur droit à cette ressource vitale. Un manque qui ne peut qu’être conjuguée avec la dégradation des conditions sanitaires.

La SONEDE a également opté pour une stratégie de privatisation de l’eau. La Banque mondiale a considéré l’eau comme étant « une marchandise » que l’on peut vendre et acheter. L’accord avec le fond monétaire International (FMI) relance ce choix en faveur de la privatisation.

L’usine de dessalement d’eau de mer sur l’île de Djerba, attribuée, à l’époque au « Groupe Princesse El Materi Holding » et à l’entreprise espagnole « Befesa Medio Ambiente company», a révélé l’opacité qui entoure ce genre de Partenariat Publics/Privés.

Sensibilisation citoyenne

Le problème de l’eau doit être au centre des préoccupations politiques, économiques et environnementales.

« Actuellement, le problème de l’eau en Tunisie est plutôt un problème culturel. On doit apprendre que l’eau est une ressource plus chère que l’or, parce que l’or n’est pas vital alors que l’eau si », relève Meriem Labyadh.  « Pour contrer la crise, je pense qu’on doit sensibiliser les citoyens qui doivent prendre conscience de la situation critique dans les décennies à venir. Il faut surtout diffuser cette notion aux générations futures. Pour préserver les ressources hydriques, je pense à deux solutions très simples et abordables, la première c’est de diminuer le débit au niveau des robinets, ce qui pourrait réduire notablement le gaspillage de l’eau. En deuxième lieu, on doit préserver l’eau par les techniques de récupération par les citernes et les réservoirs à partir des toits ou des surfaces plates, et les exploiter avec parcimonie, pour les usages domestiques qui n’ont pas besoins d’une eau potable bactériologiquement propre », ajoute-t-elle.

Le Président américain Theodore Roosevelt notait qu’« un peuple civilisé doit savoir disposer de ses eaux usées d’une manière telle qu’il ne les retrouve pas dans son eau potable. » En effet, une famille de cinq personnes produit 250 litres d’excréments par an et l’usage de la chasse d’eau contamine 150 000 litres d’eau pour les évacuer.

C’est en citant le président américain que Moncef Marzouki, président de la république, a évoqué la crise de l’eau, mais il n’a pas été pris au sérieux.

En Amérique, beaucoup de pays commencent à promouvoir l’usage des toilettes sèches et du compostage, ainsi que d’autres techniques pour épargner les eaux souterraines et faire des économies d’eau et d’énergie. Avant d’en arriver là, des habitudes assez simples pour réduire la demande et rationner l’exploitation peuvent être adoptées en Tunisie.

D’après les pronostics de la Direction générale des ressources en eaus, à l’horizon 2030, la demande atteindra les 2770 109 m³/an, contre 3121 109 m³/an, des ressources conventionnelles exploitables. La demande va donc équilibrer les ressources disponibles.

La crise de l’eau s’accentue d’un jour à l’autre et se propage d’année en année. Certes, on dépend étroitement des précipitations, mais vu l’avancement des dunes sahariennes, le rétrécissement des zones forestières et l’orientation générale de la politique agricole Tunisienne, qui tend vers l’agriculture maraîchère ; l’inconscience et l’ignorance citoyenne, et surtout le changement climatique alarmant qu’on vit ces jours ci, on se retrouvera, bientôt, face à une pénurie critique de l’eau.

L’eau pourrait, alors, devenir un bien économique rare, voire même un motif de guerre.

A tous ces problèmes est venue s’ajouter l’exploitation de l’énergie non conventionnelle nouvelle, qu’est le Gaz de schiste « shale gas », notamment dans les régions pauvres en eau, comme Kairouan. Pour l’extraction de cette ressource, une quantité énorme d’eau provenant des stations d’épuration doit être utilisée pour la fracturation hydraulique.

La révolution énergétique aura-t-elle lieu aux dépens de la crise de l’eau en Tunisie ?