Dans un récent rapport, trois organisations scientifiques révèlent que les guerres étatsuniennes contre le terrorisme en Irak, en Afghanistan et au Pakistan ont causé la mort de plus d’un million de personnes. Un chiffre 10 fois supérieur à ce qui a été communiqué au public par les experts et les décideurs, sans compter d’autres conflits, comme ceux du Yémen, de la Somalie, de la Libye ou de la Syrie. Cette enquête entend démontrer que la manipulation des faits et la désinformation occultent la responsabilité des crimes commis et justifient la poursuite des conflits armés.
Intitulé «Body Count: Casualty Figures after 10 years of the ‘War on Terror», ce rapport édifiant est publié par l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW, prix Nobel de la paix en 1985), Médecins pour la responsabilité sociale et Médecins pour la survie mondiale. Selon l’enquête menée par ces trois associations, les coûts humains des différentes interventions et opérations militaires, lancées sous commandement américain, depuis le 11 Septembre 2001, au nom de la « guerre contre le terrorisme », sont estimés, au moins, à un million de morts en Irak, 220 000 en Afghanistan et 80 000 au Pakistan, soit un total d’environ 1,3 million. Un véritable génocide qui dévoile l’écart avec les chiffres officiels, souvent, inexistants, d’ailleurs.
Pour les auteurs, le nombre de décès signalés porte avec lui le poids politique de la gravité du conflit engagé. Fait significatif, les chiffres qui sont le plus contestés par les médias dominants se rapportent à la guerre d’Irak. Déjà en octobre 2006, la célèbre revue médicale britannique The Lancet révélait que plus de 600 000 Irakiens sont morts de façon violente après l’intervention américano-britannique – soit 500 morts par jour après le début de l’opération “Iraqi Freedom”. Un chiffre qui équivalait à 2,5% de la population. Reconnues par « des spécialistes de renom, y compris le principal conseiller scientifique du ministère britannique de la Défense », les conclusions de la revue ont, pourtant, été qualifiées par les médias d’”excessives”.
Amnésie historique
Dans l’avant-propos, Robert M. Gould rappelle que ce déni ne date pas d’aujourd’hui. La guerre du Vietnam est emblématique d’une telle omission volontaire et de l’amnésie historique des Etats-Unis. Les victimes de cette guerre étant estimées à environ deux millions de civils vietnamiens, outre les problèmes de santé et les impacts environnementaux, qui ne sont toujours pas, entièrement, connus par la majorité du peuple américain. Gould affirme, ainsi, que «la déstabilisation politique de cette région de l’Asie du Sud-Est, au nom de la montée de l’horrible régime des Khmers rouges au Cambodge, rappelle la déstabilisation récente, au lendemain de la guerre, de l’Irak et de ses voisins. Ce qui a été propice à la montée de l’ISIS qui terrorise la région, avec les réponses brutales des raids aériens et des interventions terrestres menés par les forces américaines et canadiennes».
Le scientifique rappelle, également, comment l’administration américaine avait résolu les retombées d’un après-Vietnam catastrophique en utilisant des « Etats clients obéissants » ou des forces de substitution incarnées par les groupes de lutte armée « Contras » et les escadrons de la mort déployés en Amérique centrale et en Afrique australe. Ce réseau terroriste international, mis en place par le président Reagan, a commis les pires exactions. A ce propos, Noam Chomsky rappelait le cas exemplaire du Nicaragua qui a voulu répondre à l’action terroriste américaine (57 000 victimes dont 29 000 morts), avec les moyens du droit en saisissant la Cour de justice internationale.
Celle-ci «trancha, le 27 juin 1986, en condamnant l’« emploi illégal de la force » par les Etats-Unis (qui avaient miné les ports du Nicaragua) et mandant Washington de mettre fin au crime, sans oublier de payer des dommages et intérêts importants.
Les Etats-Unis répliquèrent qu’ils ne se plieraient pas au jugement et qu’ils ne reconnaîtraient plus la juridiction de la Cour. Le Nicaragua demanda, alors, au Conseil de sécurité des Nations unies l’adoption d’une résolution réclamant que tous les Etats respectent le droit international. Les Etats-Unis opposèrent leur veto à cette résolution… Puis le Nicaragua se tourna vers l’Assemblée générale des Nations unies. La résolution qu’il proposa ne rencontra que trois oppositions : les Etats-Unis, Israël et El Salvador. L’année suivante, le Nicaragua réclama le vote de la même résolution. Cette fois, seul Israël soutint la cause de l’administration Reagan. A ce stade, le Nicaragua ne disposait plus d’aucun moyen de droit. Tous avaient échoué dans un monde régi par la force ».
Là encore, il faut s’interroger pourquoi «ce précédent indiscutable d’une action terroriste à laquelle un Etat de droit a voulu répondre avec les moyens du droit» n’est pas « évoqué par les commentateurs dominants », relève Chomsky.
Dans le dernier numéro « Manière de voir » du Monde diplomatique, Serge Halimi revient sur ce « dinosaure hérité de la guerre froide » que fut l’école des Amériques pour la coopération de sécurité qui a été financé par le Pentagone pour former des dictateurs et des tortionnaires.
Selon les auteurs du rapport «Body count», depuis 2001, des milliers de milliards de dollars ont été dépensés pour la guerre contre le terrorisme, mais que les décideurs ne révèlent pas à des populations occidentales distraites par les effets dévastateurs de la crise économique mondiale. Si le « chaos constructif » rabâché par Condolezza Rice & Co a montré ses limites, les atrocités de l’empire ne se sont pas arrêté pour autant. En témoigne la conclusion du rapport expurgé du Sénat américain, publié en décembre 2014, affirmant que les « techniques d’interrogatoire renforcées » de la CIA, dans les années 2000, n’étaient pas efficaces. L’agence de renseignement a donc menti au Congrès et à la Maison Blanche en affirmant que la torture avait permis de « sauver des vies ». Pour rappel, le “programme de détention et d’interrogatoire de la CIA” avait été autorisé, secrètement, par l’administration de George W. Bush en 2002, quelques mois après la signature d’un mémorandum autorisant la CIA à tuer, capturer et interroger des hauts responsables d’Al-Qaida à travers le monde. Barack Obama qui a mis fin à ce programme, après son élection, en 2009, avait affirmé que les Etats-Unis avaient “franchi une ligne”. Pourtant, ce n’est pas la seule.
Dans un e-mail adressé au New York Times, qui rapportait comment s’est formée la « coalition anti-rapport », un ancien directeur de la CIA du temps de George W.Bush et de Dick Cheney, écrit : « Nous ne sommes pas là pour défendre la torture. Nous sommes là pour défendre l’Histoire ». L’Histoire amnésique sans doute.
Occident vs Islam
Une option politiquement utile a été d’attribuer la violence permanente à des conflits internes de divers types, y compris les animosités religieuses historiques, comme si la résurgence et la brutalité de ces conflits ne sont pas liées à la déstabilisation causée par des décennies d’intervention militaire, écrit encore Robert M. Gould.
Ainsi, avec la fin de la guerre froide, les responsables américains ont, triomphalement, prononcé la fin du «syndrome du Vietnam», en inaugurant une nouvelle ère de “bottes sur le terrain” qui a conduit finalement à la débâcle en Irak, en Afghanistan et dans la région environnante.
Quelques mois après les événements du 11 septembre 2001, Noam Chomsky écrit :
Au moment où les éditoriaux du New York Times suggèrent qu’« ils » nous détestent parce que nous défendons le capitalisme, la démocratie, les droits individuels, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le Wall Street Journal, mieux informé, explique après avoir interrogé des banquiers et des cadres supérieurs non occidentaux qu’ils « nous » détestent parce que nous avons entravé la démocratie et le développement économique. Et appuyé des régimes brutaux, voire terroristes.
Contre l’amnésie : Dans son livre « L’Islam dans les médias », Edward W. Saïd relevait les effets médiatiques pervers en notant que « les étiquettes de « l’Islam » et de « l’Occident » se sont aiguisées au fil du temps. Notez que c’est toujours l’Occident, et non le christianisme, qui est opposé à l’Islam. Pourquoi cela ? », se demande-t-il. Saïd cite notamment un article paru, en 1996, dans le New-York Times, intitulé «The Red Menace is Gone. But here’s Islam» (La menace rouge n’est plus. Place à l’Islam).
Cette enquête va-t-elle servir d’ « aide-mémoire aux gouvernements et aux organisations inter-gouvernementales pour qu’ils assument leur responsabilité légale et morale de tenir les coupables responsables », comme l’espère Hans-C. von Sponeck, Secrétaire général adjoint des Nations Unies, qui a préfacé ce rapport. Cela serait déjà bien si les médias dominants signalent l’existence de ce rapport pour sensibiliser une opinion obnubilée par les effets de l’austérité et l’urgence de la sécurité. Sinon, difficile d’espérer une quelconque redevabilité de ces crimes contre l’humanité, quand un consensus dans l’administration Obama prévoit de prolonger « la guerre contre le terrorisme », pendant, encore, au moins une décennie, sans limite géographique. De plus, comme le signalait le Washington post, en 2012, une série de dispositions a été prise pour permettre de décider qui doit être tué, emprisonné sans inculpation ou traité autrement.
En outre, le journaliste Glenn Greenwald rapporte que le site Bloomberg signale que, « les plus grandes entreprises de défense américaines, dirigées par Lockheed Martin Group (LTM), négocient à des prix records, tandis que leurs actionnaires récoltent le fruit de l’escalade des conflits militaires dans le monde entier ». C’est particulièrement excitant, note Greenwald, que « les investisseurs voient grimper les ventes pour les fabricants de missiles, drones et autres armes, pendant que les Etats-Unis frappent les combattants de l’État islamique en Syrie et en Irak ». En outre, « les Etats-Unis sont également le plus grand fournisseur militaire étranger d’Israël, qui a mené une offensive de 50 jours contre le mouvement islamique Hamas dans la bande de Gaza ». Et Greenwald de conclure: « L’ISIS utilise des munitions et des armes made in US, ce qui signifie que des armes fabriquées par les entreprises américaines vont fournir toutes les parties de la Nouvelle Guerre Infinie; pouvez-vous blâmer les investisseurs d’être pris de vertige? »
On ose, à peine, imaginer, quant à nous, les retombées de cette « Nouvelle Guerre Infinie », avec son lot de “Patriot acts” dupliqués à l’infini et son arsenal de distribution sécuritaire sur des pays qui viennent à peine de mettre les pieds en Démocratie, ceux-là même que « eux » appellent « les Pays du Printemps Arabe ».
L’ère des interventions americaines dans l’impunité en Amérique Centrale et du Sud est révolue, aurait déclaré à Panama, ces derniers jours, monsieur Obama.
Il s’agit d’un aveu au plus haut niveau et la reconnaissance, qui ne seront suivis d’aucun effet, comme de coutume, de la criminalité des USA et de ses responsabilités dans l’établissement des dictatures dans cette partie du globe, longtemps demeurée un champ d’exercice et d’expériences pour l’armée de l’oncle Sam.
Le droit international, et le droit en général, comme l’illustre par l’exemple le propos de monsieur Obama ne sont que la légitimation du droit du plus fort, de celui qui fabrique ce droit, appelé Le Droit.
Dès lors, voir les USA et Israël se soustraire au droit, celui appliqué aux autres États et nations, y compris dans l’objectif de les détruire- le terme n’est pas usurpé en la circonstance – ne surprend que ceux qui ne veulent pas comprendre.
Les crimes entrepris au quotidien dans nombre de pays, au moyen d’armes fort meurtrières et le secours de discours de justification repris par des médias asservis ou laquais, quand ils ne sont pas objectivement et pleinement complices, disent bien en quoi l’espace d’intervention a changé, sans que la nature du système ni ses visées aient subi la moindre inflexion.
Naguere, l’hyperpuissance des USA était contenue par l’existence face à elle de la puissance soviétique, freinant ses élans et son hegemonisme. Au moins, limitait-elle ses prétentions. Depuis les années 1990, elle gère le monde selon sa loi, sans retenue et sans scrupules, distribuant urbi et orbi les belles normes et valeurs démocratiques sur quoi elle s’assoit, pour user d’une formule vulgaire qui passe pour une litote à côté de la vulgarité et des crimes commis en leurs noms.
Il se trouve même de “grands esprits” à l’intelligence sans égale, du moins le croient-ils, qui vous taxent de partisan de la “théorie du complot” lorsque vous soutenez la résistance à l’Imperium et ses crimes, par lui commis aussi bien que par ses supplétifs comme les dictateurs qu’il a installés ou des États fantoches qu’il soutient sans désemparer.
Un seul exemple, puisé dans l’actualité pas si lointaine, suffit à convaincre de l’inanité de la prétention des “intelligents”, est l’attitude et les discours des USA lorsque son supplétif Israël faisait sa guerre aux Gazaouis. Les USA établissaient une équivalence entre une armée et des partisans, entre les bombes au phosphore larguées sur des habitations et les fusées artisanales à portée approximative tout comme leur précision. Ainsi, fut justifiée “l’intervention défensive” et les livraisons d’armes pendant les tueries…
Alors, instrumentaliser une Arabie pour effectuer le sale boulot au Yémen contre une supposée ou réelle participation de l’Iran aux côtés des Houthis apparait comme une ruse grossière dont l’objectif est d’accréditer la thèse d’une rivalité Sunnites/Chiites.
Il est inutile voire contre-productif de passer son temps à dénoncer l’hégémonie des États-Unis. Ceci n’est pas pour défendre les crimes commis ou leurs auteurs mais tout simplement pour rappeler que l’histoire est faite d’empires qui dans leurs quêtes du pouvoir, des ressources et du gloire commettent les pires exactions possibles. Le scénario est le même depuis Alexandre Le Grand et jusqu’à l’empire britannique. Maintenant, c’est le tour des États-Unis d’Amériques. Dans un futur proche, ce sera probablement les russes ou les chinois. Dans dix siècles, ce sera une autre nation. Toutefois, cette hégémonie n’est pas toujours une fatalité pour les petites nations. Pour éviter d’être une des victimes de l’empire, il faut se donner tous les moyens nécessaires et suffisants pour être fort et respectable. Le cas de l’Iran dans les temps modernes est plus qu’éloquent!
Les États-Unis n’arrêteront jamais leurs exactions dans les pays arabes (et au-delà) alors que ces pays sont encore gouvernés par des despotes ténébreux et dont la majorité de leurs peuples sont encore arriérés et vilains. En Tunisie, l’histoire nous a donné le 14 janvier une occasion inouïe de se soustraire au lot de ces “losers” et ces “infâmes” mais notre vilaine et hypocrite populace a choisi de mettre les compteurs à zéro en cherchant l’avenir dans une lointaine histoire, peu glorieuse et peu reluisante! Ce n’est donc pas la faute aux Américains et autres occidentaux si les tunisiens sont des castrés, dépourvus de toute dignité et toute rationalité! Idem pour les autres populaces arabes qui sont encore au stade des guerres fratricides éthnico-religieuses!