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Pour ou contre la destitution du président égyptien Morsi par l’armée ? Est-ce un coup d’Etat ou pas ? Le débat fait rage en Tunisie. Pour certains, ce qui qui se passe en Egypte est jouissif car chasser, à tout prix, les islamistes du pouvoir est nécessaire. Pour d’autres, c’est un coup d’Etat militaire et les avis sont encore plus partagés.

L’armée entreprend une vague d’arrestations et d’attaques contre les médias islamistes

Depuis dimanche 30 juin et le mouvement “Tamarod” (NDLR : “désobéissance” en arabe) qui vise à chasser M. Morsi du pouvoir, l’armée a démontré que c’était bien elle qui menait le jeu. Le général Abdel Fattah al-Sissi (ex-chef des renseignements militaires) a démis son “bienfaiteur” Morsi alors que ce dernier l’avait mis en place pour remplacer son prédécesseur Tantaoui en août 2012…

Dans un contexte très tendu et avec des violences qui ont déjà fait 47 morts et des centaines de blessés, et ce depuis le 26 juin selon l’AFP, l’armée réagit en imposant un ultimatum de 48 heures pour trouver un consensus et une “feuille de route”. Hier, mercredi 3 juillet vers 17 heures, c’était déjà fini. Le président de la Cour constitutionnelle, Adly Mansour, est devenu président par intérim, grâce à l’armée. Morsi est renversé. Jusqu’à maintenant, aucune information n’a été donnée au sujet du lieu de sa détention. Le soir même, l’armée interrompt la diffusion d’Al Jazeera et d’une vingtaine de chaînes de télévision proches des islamistes. Arrahma, Misr 25 El Hafedh et Al Nas notamment, sont suspendues un quart d’heure avant la communication de l’armée sur l’évincement de Morsi.

Les arrestations usuelles dans ce genre de situation n’ont pas tardé à commencer. D’après l’agence de presse d’Etat, MENA, Mohamed Saad al-Katatni, chef du Parti de la justice et de la liberté des Frères musulmans, et Rashad al-Bayoumi, guide général adjoint du groupe, ont été arrêtés. Les anti-Morsi justifieront ces graves atteintes par les “appels à la haine” des islamistes sans penser au rôle anormal accaparé par l’armée, devenue juge et parti.

Aujourd’hui, jeudi 4 juillet, le journal égyptien Al Ahram parle d’ordre d’arrestation de 300 membres des Frères musulmans. Mohammed Badie, Guide suprême des Frères musulmans égyptiens, a été lui aussi arrêté par la police militaire égyptienne dans le village d’el Andalousseya, à Matrouh.

Réactions en Tunisie : entre pro et anti-islamistes

  • Ennahdha

Les réactions en Tunisie face à ce qui se passe en Egypte sont diverses. Celle d’Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir, a été claire dans son communiqué en qualifiant la destitution de Morsi de “coup d’Etat contre la légitimité” :

Nous refusons le coup d’Etat évident et nous réaffirmons que la légitimité en Egypte est unique et n’est représentée que par Mohamed Morsi, uniquement.

Ennahdha a aussi condamné “les arrestations des Frères musulmans et leaders du parti de Morsi ainsi que l’interruption des chaînes télévisées et leur interdiction de transmettre les vérités“, sans défendre explicitement la liberté d’expression.

De son côté, Lotfi Zitoun du même parti et ancien conseiller de l’ex-Chef du gouvernement Hamadi Jebali, a émis un avis plus nuancé en affirmant :

Nous devons faire la différence entre notre point de vue vis-à-vis du coup d’Etat militaire en Egypte, qui doit être condamné et fermement rejeté, et la position quant à la performance du mouvement des Frères musulmans au sein du gouvernement, qui a fourni les arguments du renversement… Certes, les Frères musulmans n’ont pas commis de meurtres, mais ils ont commis des erreurs mortelles dont les plus importantes sont le fait de s’être accaparé le pouvoir et d’avoir marginalisé les jeunes de la Révolution, même parmi ceux qui étaient dans leur camp.

  • La présidence du gouvernement

Le communiqué du Chef du gouvernement Ali Laaridh a été subtil en évitant de parler explicitement de “coup d’Etat en Egypte”. Il a rappelé que les étapes d’une transition démocratique subissent beaucoup d’entraves. La présidence a ainsi affirmé son attachement à la neutralité de l’institution militaire, d’où sa position qui

considère que l’intervention de l’armée dans la vie politique et l’isolement d’un président élu et l’obstruction de la Constitution représentent un assaut contre les piliers d’un Etat démocratique, outre le fait que cela est rejeté au niveau international et dans la Charte de l’Union africaine. [La présidence] condamne également les arrestations de politiciens, de journalistes et la fermeture des médias.

Néanmoins, l’une des réactions qui a retenu l’attention des internautes tunisiens a bien été celle de Hichem Laaridh, fils du Chef du gouvernement actuel Ali Laaridh qui a cité dans ses tweets un verset coranique appelant au meurtre : “Et tuez les mécréants comme ils vous tuent, tous, et sachez que Dieu est avec les prudents.” Déclaration suivie d’un appel au Djihad, “qui sera le chemin et la mort pour Dieu, le plus cher des voeux” …

 

  • Le parti Nidaa Tounes

Le parti Nidaa Tounes, considéré comme le parti politique le plus concurrent aux islamistes d’Ennahdha, a rejoint le courant dissident en Egypte en félicitant les manifestants dans son communiqué :

Nous félicitons le peuple égyptien sur l’esprit de responsabilité et de discipline, restaurant les grandes leçons de la révolution du 25 janvier 2011.

Il est important de signaler que cette position ne concerne pas ses alliés Al Jomhouri et Al Massar dans le front politique l’Union pour la Tunisie.

Mise à jour :
Dans la même journée, Nidaa Tounes a publié un autre communiqué appelant à la dissolution du gouvernement et à la constitution d’un gouvernement de salut national, à la préparation d’une feuille de route pour les élections, à la mise en place d’une commission technique pour corriger le projet de constitution et à la dissolution des ligues de protection de la révolution.

  • Union générale des travailleurs tunisiens

Par ailleurs, dans un bras de fer évident visant la classe politique au pouvoir, notamment Ennahdha et ses deux partenaires, CPR et Ettakatol, l’UGTT (l’Union générale des travailleurs tunisiens) a émis un point de vue divergent de la Troïka, bénissant clairement le mouvement Tamarod :

Nous félicitions le peuple égyptien, qui a imposé sa légitimité et sa volonté par son unité, sa détermination et la clarté de ses revendications, rappelant que c’est bien le peuple qui donne la légitimité ou la retire quand le gouverneur fait semblant d’avoir oublié les objectifs de la Révolution et ses promesses.

  • Le Front populaire

Suite à une réunion des leaders du Front populaire (FP) le 4 juillet 2013 [1], sous l’égide de Hamma Hammami, pour discuter des retombées de la destitution du président égyptien Mohamed Morsi sur la situation politique en Tunisie, le FP a décidé d’inviter les partis politiques, les organisations et les composantes de la société civile engagés dans les objectifs de la révolution à une réunion de consultation au plus tard le mardi 9 juillet pour délibérer sur :

1- la dissolution de l’Assemblée nationale constituante et la formation d’un comité qui jouera le rôle de substitut afin de compléter la rédaction de la Constitution ;
2- la formation d’un gouvernement de salut national avec un programme accéléré pour résoudre la crise en Tunisie et superviser les prochaines élections.

Le Front populaire a félicité la destitution du président égyptien par l’armée et considère qu’en Tunisie, le parti islamiste Ennahdha s’est détourné des objectifs de la Révolution.

  • La présidence de la République

Réalisant l’importance du moment, le président de la République Moncef Marzouki, pourtant occupé par la visite du président français François Hollande à Tunis, a également réagi par un communiqué pour rappeler que l’Etat tunisien

considère que l’intervention de l’armée dans les affaires politiques directes et le fonctionnement des institutions civiles est inacceptable au niveau international et dans le projet de loi de l’Union africaine, car elle peut aggraver la crise politique plutôt que de la résoudre en élargissant le cercle de la violence et de l’extrémisme, et l’alimente s’il n’y a pas une remise rapide du cheminement démocratique sur ses rails.

Plusieurs partis comme Wafa, le CPR, le courant démocratique, El Amen et autres condamnent aussi la destitution du président égyptien en le qualifiant de coup d’Etat.

  • Réactions de la société civile

Bien conscient de ces jeux politiques à coup de communiqués, l’activiste et blogueur Azyz Amami mettra d’ailleurs l’accent sur la différence entre le rôle de la centrale syndicale en Tunisie et l’armée en Egypte en écrivant sur son mur Facebook :

N’avez-vous pas remarqué qu’en Egypte, ils usent de tous les moyens d’activisme, et qu’à chaque fois que ça devient chaud, ils ne proposent jamais la grève générale comme alternative ? Alors que, politiquement, la grève générale est l’arme la plus redoutable pour toute revendication et la meilleure menace. Voici où se situe la grande différence entre la Tunisie et l’Egypte.

Parmi d’autres réactions, pro-coup d’Etat, la question de la légitimité des urnes et des institutions n’avait aucune importance. Pour Kalthoum Jmail, écrivaine, ce coup d’Etat était bénéfique :

Elf Mabrouks pour l’ Egypte, “mère du monde”. dit-elle. Je suis heureuse pour ce premier pays Arabe qui prend enfin son destin en main. Quelle merveilleuse innovation historique : un coup d’Etat militaire pour un futur pays laïc, des droits de l’Homme… Les prochains rounds sont encore à venir mais le plus important est remporté… Que la chance soit avec vous, peuple d’Egypte. Que tous vos enfants soient à présent en sécurité…

Cependant, d’autres Tunisiens, critiques avec plus de modération envers le renversement de Morsi, analysent la chose autrement. Ainsi, selon Slim Laghmani, professeur de droit international

Ce qui s’est passé en Egypte est un coup d’Etat militaire, donc un acte par définition illégal. Qu’on le juge légitime ou pas, nécessaire ou pas est une tout autre question, une question de positionnement politique.
J’aurais personnellement préféré que l’armée demeure activement neutre, c’est-à-dire qu’elle prive une partie du bras armé de l’Etat sans pour autant l’accorder à l’autre. Qu’elle se limite à protéger les manifestants, à s’interposer entre eux et les partisans de Morsi, à laisser faire la dynamique populaire en garantissant son caractère pacifique.
La mobilisation populaire aurait probablement abouti au même résultat, dans un laps de temps plus long peut-être, mais là on aurait parlé de révolution.

Jusqu’à maintenant, les réactions des Tunisiens, toutes classes confondues, ne cessent de fuser, voire d’évoluer pour devenir plus dubitatives, surtout après les arrestations et les atteintes à la liberté d’expression des dernières 24 heures. Pour d’autres, un mouvement similaire en Tunisie devrait avoir lieu pour mettre fin au “règne des islamistes”, comme ils le disent. Une pétition avait déjà été entamée pour soutenir la “désobéissance” en Tunisie, récoltant jusqu’à maintenant 11 000 signatures.