Dimanche 21 février 2016, le président de la République, Béji Caid Essebsi, a décrèté la prolongation de l’état d’urgence pour une durée d’un mois. Le communiqué de presse, publié hier par la présidence de la République, évoque des motifs liés à « la sécurité nationale, surtout la situation aux frontières et dans la région ».
Entre 2011 et 2015, la Tunisie a décrété 24 fois l’état d’urgence pendant 1274 jours, soit 72 % des cinq dernières années. Chaque année, la présidence décrète ou reconduit l’état d’urgence 6 fois en moyenne. Les taux élevés des année 2011 et 2012 sont en rapport avec les conséquences de la chute du régime. À partir de 2013, les assassinats politiques puis la menace terroriste a motivé son déploiement. Après un net déclin en 2014, l’année 2015, qui a enregistré trois attentats terroristes, annonce une reprise qui se poursuit en 2016. L’attentat du musée de Bardo en mars, l’attentat de Sousse en juin et l’attentat de Mohamed V en novembre. Les trois attentats ont fait 75 morts et 84 blessés.
Selon le décret du 26 janvier 1978 seul le président de la République peut décréter l’état d’urgence pour une période pouvant aller jusqu’à un mois, renouvelable, selon les risques sécuritaires et les perturbations de l’ordre public. D’où le caractère équivoque de cette mesure exceptionnelle. Car l’état d’urgence peut se révéler comme instrument de répression des mouvements sociaux et une menace pour les libertés individuelles. En effet, ce décret permet au pouvoir exécutif de suspendre certains droits comme les grèves, les manifestations, les réunions ou toute autre activités jugées par les autorités comme « dangereuses pour la sécurité et l’ordre public ». L’état d’urgence permet, entre autres, de suspendre, sans contrôle, la liberté de la presse ainsi que la création artistique sous les mêmes prétextes.
En novembre 2015, l’état d’urgence a permis aux pouvoir exécutif d’assigner à résidence des dizaines de personnes sans pouvoir de recours à la justice. Le mouvement social du janvier 2016 a été, aussi, réprimé à travers l’état d’urgence. En effet, les jeunes de Gafsa venus à pieds, le 8 février, jusqu’à Tunis ont été bloqués au niveau de la cité El Mourouj sous prétexte d’état d’urgence. Des manifestations à Sidi Bouzid, Gafsa, Kef et Siliana ont été interdites pour la même raison. Et un groupe de jeunes chômeurs ont été interdits de se rassembler à la Kasbah. En même temps, les syndicats des forces de l’ordre réitèrent leur menace d’une grève générale dans les jours qui viennent.
État d’urgence et couvre-feu ne sont que des moyens ultimes dont disposerait le pouvoir, en Tunisie, dans les luttes contre la terreur dont est victime la population, et qui ébranle la société et ses institutions tout en freinant l’évolution vers la démocratisation.
On pourrait trouver quelque justification à ce tropisme lorsqu’on considère la situation dans sa singularité : un pays pourvu de moyens dérisoires doit faire face à un ennemi bien implanté, avec ses réseaux et commanditaires loxaux, et internationaux. Un contexte régional et international troublé, où des pays tentent de faire régner un ordre en leur faveur, trouvent des relais sur place.
Certes, ces arguments ne satisfont pas la raison et n’excusent, ni ne justifient toutes les mesures, au moins mettent-ils l’accent sur le contexte et le climat.
En somme, il ne suffit pas d’intégrer Ennahdha.
Ni d’une politique sociale plus attentive aux plus humbles et a la jeunesse.
Il faut mener le combat contre les ennemis de la démocratisation, au premier rang desquels figurent les islamistes qui continuent à creuser et à labourer le terrain.
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