Introduction.

En réalité, mon intention était d’écrire un tout autre article. Un article se rapportant à un sujet qui a retenu mon attention depuis une semaine, « l’Indépendance ou la liberté, vrai ou faux dilemme ? » J’ai changé d’avis. Ajournant cet intéressant sujet à la semaine prochaine, je veux, cette fois, exploser une partie de cette colère qui est entrain d’altérer mes facultés intellectuelles et d’épuiser mes forces. Pour le faire, je suis, malencontreusement, contraint de parler de choses privées qui, normalement, ne concernent que ma personne. J’ai décidé de parler pour deux simples raisons.

La première est que je ne veux plus me taire ; étant convaincu que l’une de causes de notre malheur vient du fait que nous avons longtemps gardé silence. L’autre, est que l’histoire des mésaventures des exilés, des ex prisonniers et des victimes de la répression en général n’ont que rarement été enregistrées. Ce présent texte est une timide contribution, en attendant la grande qui sera en forme de livre, pour divulguer certains aspect cachés du quotidien de l’asile que je suis en train de vivre avec mes « deux amis dans l’infortune » comme nous appelle Luiza Toscane, Issam Zaoui et Chaker Hadri, tout trois demandeurs d’asile aux Pays-Bas. Je suis conscient que mes paroles auront des conséquences, évidemment néfastes, autant sur l’avenir de ma demande d’asile que sur mon cher dossier à la dakhiliyya. [1] D’autres témoignages suivront, dans lesquels je donnerais la parole à des demandeurs d’asile tunisiens, vivant aux Pays-Bas et ailleurs dont certains ont été carrément trahis par Annahdha (j’ ai entre autres un faxe signé de la main de R. Ghannouchi), et dont d’autres risquent sérieusement d’être la victime d’une extradition vers la Tunisie.

Monsieur X et la menace X-Ray.

Lorsque j’ai quitté la république islamique d’Iran pour la deuxième fois, (oui, ce même Iran des mollahs), c’était pour demander l’asile aux Pays-Bas. Je ne mens pas si je vous dis que mon choix pour ce pays, qui m’était inconnu, était entièrement basé sur les informations, positives, que j’ai recueillies auprès de certains de mes amis irakiens et autres, réfugiés de longue date dans ce pays nordique. Il n’est pas caché à personne que le simple fait de débarquer de Téhéran, déjà dans le monde d’avant le 11/9, était, aux yeux des polices de la planète, un crime politique sinon une raison légitime de paranoïa. Pour ne pas trop anticiper sur l’histoire, je dirais qu’il s’était avéré, ultérieurement, que depuis mon arrivée aux Pays-Bas, le 31 décembre 1998, j’ai été contrôlé, mon téléphone mis sur écoutes, mes correspondances interceptés, etc. J’ai même perdu l’original de mon baccalauréat, la preuve de mon bref passage par la faculté de droit de Tunis et une attestation de travail dans une entreprise publique, envoyés par un ami, mais jamais parvenus au destinataire, qui était par hasard votre serviteur. Au bout de deux ans, je me suis retrouvé, sur le plan des paperasses, dans la situation de celui qui n’a jamais fait d’études ou de carrière professionnelle. Et cette mésaventure m’était survenue dans une période où je comptais m’inscrire à l’université de Leiden et faire des études d’islamologie sous l’égide d’éminentes chaires, telles celle de l’Egyptien Nasser Abou Zayd. Après avoir eu une certaine maîtrise du néerlandais me permettant de suivre les cours et démontré qu’à côté de l’arabe, du français et de l’anglais, je parlais le persan, ce qui était sollicité dans ce genres d’études spécialisées sur l’Orient, l’organe qui finançait les études des réfugiés et des demandeurs d’asiles a refusé de soutenir administrativement et financièrement mon inscription, jugeant que mon dossier d’asile ne tenait pas et que je ne courais aucun risque en cas de retour en Tunisie ; cela en dépit de la lettre de soutien d’Amnesty International et d’autres organisations tunisiennes de défense de droit de l’homme, mettant en garde les autorité néerlandaise contre toute mesure d’extradition vers la Tunisie. En fin de compte j’ai décidé d’abandonner le rêve éphémère des études académiques pour se consacrer à mon occupation de toujours, la lecture et une autre nouvelle, l’écriture et la participation sur le forum de TUNeZINE.

Fin 2002, le IND (le service de l’immigration et de la naturalisation) m’a envoyé la deuxième réponse négative à ma demande d’asile. Je devais désormais faire appel et attendre de comparaître devant le juge. Depuis plus d’un an et demi, je ne fais qu’attendre qu’on me fixe la date du tribunal, ma dernière chance. Entre temps, et, sans s’en apercevoir, j’étais, selon le terme des services secrets, « environnementé », c’est à dire bien surveillé, mon téléphone portable et même le téléphone de mon domicile où j’ai habité avec ma femme hollandaise auraient été sur écoutes, nos conversations, parfois tendres et amoureuses, ainsi que notre intimité intime auraient diverti plus d’un ! C’est le monde post 11/9.

Avant que je ne fasse la connaissance de ma femme, qui m’a sauvé de la misère monotone et abrutissante des centres des demandeurs d’asile, on m’avait claustré, avec mes deux amis, sur un bateau, converti lui aussi en centre, dans le coin le plus isolé du Nederland, à Delfzijl, une localité à l’extrême nord ; In the middel of nowhere ! Là, le vent du Nord et l’humidité glaciale de son allié, la mer du Nord, en plus de l’handicap financier propre à tout demandeur d’asile, obligent quiconque à choisir volontairement de s’emprisonner entre les quatre murs, de contreplaqué, de sa minuscule chambre à regarder la télévision et à voir passer le temps. Les centres de demandeurs d’asile sont une très grande salle d’attente, une attente qui dure des années. C’est le fruit de la politique dite de « lutte contre l’immigration illégale ». Puisque l’asile est classé sous cette catégorie indésirable et incriminée, les demandeurs d’asile sont par conséquent traités comme des ennemis qu’ils faut débarrasser le pays d’eux et ce par n’importe quel moyen. Souvent c’est par l’arme de l’humiliation, des tracas bureaucratiques et de la propagation du désespoir que la force psychique des demandeurs d’asile est minée. C’est la guerre psychologique d’un autre temps. Autre temps, autres mœurs !

Comme chaque demandeur d’asile qui n’habite pas dans les centres, je dois me rendre au pointage hebdomadaire auprès de la police des étrangers et du COA ( Organe Central d’accueil des demandeurs d’asile) au risque de ne plus recevoir la somme d’argent qui nous tient en vie, 39 euro par semaine. Si on tombe malade, si on rate le train, si on arrive cinq minutes en retard, si on se retrouve en face de n’importe quel empêchement étranger au système et à son administration fasciste, on nous coupe sans aucun souci ni pitié cette somme ; et à nous de nous emmerder pour survivre. C’est le prix à payer pour avoir était une victime d’une dictature ou d’une situation de guerre ou de conflit. Aux yeux du système, la victime des situations qui poussent à l’asile est toujours supposée pouvoir supporter plus de malheur que quiconque. Chaque victime de cette classe a l’habitude des épreuves, elle est donc insensible ! C’est pourquoi on est enclin à être plus solidaire avec les victimes du 11/9 ou ceux d’Israël que les habituelles victimes des massacres quotidiens en Palestine, en Tchétchénie ou en Afrique. C’est la philosophe du nouveau monde, comme lui, elle est myope !

Pour arriver au centre, qu’on place souvent dans un coin écarté, dans lequel je dois attester ma présence après des autorités, je suis obligé, puisque j’habite chez ma femme, de faire un trajet de trois heures allée trois heures retour et faire la file pendant une demi-heure, souvent sous cette pluie incessante des pays du Nord, pour qu’un agent dans un geste machinal qui ne dure que quelques secondes me met un cachet sur cette carte collée à la destinée de tout demandeur d’asile. Puis rebelote, à la semaine prochaine, et ainsi de suite. Cela continu depuis déjà quatre an et demi. Pour ne pas s’étaler sur les situations humiliantes, le manque de respect à l’égard des demandeurs d’asile et une culture de haine qui a été véhiculée par une bonne partie de la classe politique néerlandaise et leur médias de caniveau, je vous dis simplement que les Pays-Bas sont les fervents défenseurs, à côté de l’Italie, de l’Espagne et du Danemark, de l’idée de l’« accueil régional ». Une politique visant à ne plus accueillir les demandeurs d’asile en Europe, mais près de chez eux, dans des campements de fortunes en attendant la résolution des crises, des conflits et des situations qui les ont contraints à l’exil. A l’image des camps des réfugiés palestiniens, ceux des Afghans en Iran et au Pakistan, des Congolais dans les grands Lacs…etc. La coalition de droite, menée par le parti chrétien-démocrate, qui dirige actuellement le pays est l’héritière d’une politique d’asile qui a réussi à faire chuter drastiquement le nombre des requérants. Depuis la formation de cette coalition des mesures de plus en plus sévères ont été prises pour durcir la législation, diminuer encore le nombre des demandeurs d’asile et se débarrasser le plus rapidement et de la manière la plus inhumaine de ceux qui ont été mis hors procédure. Des familles entières de demandeurs, avec des enfants, sont jetées à la rue. Des vols charters, organisés parfois par des avions militaires, assurent, dans le plus grand secret, le rapatriement des non-aboutis. Les demandeurs d’asile mineurs, en nombres croissant dans toute l’Europe, sont littéralement enfermés dans des centres clos destinés à une « formation professionnelle accélérée » qui se couronne par un diplôme et un ticket de retour ; One way !

Revenant maintenant à notre histoire.

Deux moi auparavant quelqu’un m’avait appelé à la maison :

-   Allô, bonjours… Je veux parler à monsieur Sami Ben Gharbia s.v.p !

-   Oui, C’est bien moi. Que puis-je faire pour vous ?

-   Je suis X-man de l’AIVD, je suis entrain de faire une enquête et je veux parler avec vous à propos de votre séjour en Iran.

-   AIVD, c’est quoi ça ?

-   C’est les services des renseignements et de sécurité des Pays-Bas !

-   Waooouh ! C’est dangereux ça !

Au bout de téléphone, un éclat de rire, à la fois, fier, courtois et surpris par ma réaction qui était très, très spontanée. Un court silence, puis, la voix reprit son sérieux.

-   Non pas du tout c’est n’est pas dangereux, C’est une enquête de routine.

Puis, sans me donner le temps de reprendre mon souffle qui était coupé ni d’apaiser l’irritation de mon ouïe allergique à l’écoute du mot « enquête de routine », que j’ai entendu dans plusieurs pays arabes, il s’invitât chez-moi, le lendemain.

-   Puis-je vous voir chez-vous le lendemain.

-   Ici, mais je ne suis pas seul, je vis avec ma femme et je ne vous cache pas que le fait d’avoir l’AIVD chez-moi, n’est pas trop confortable aux yeux de ma sensible femme.

-   C’est rien, elle peut assister à l’entretien si elle veut.

-   Ok, vous êtes le bien venu.

Apres avoir fixé avec mon interlocuteur l’heure du rendez-vous, j’ai réalisé que mon voyage en Iran n’était pas seulement cause de mon malheur en Tunisie, mais ailleurs aussi et peut être pour le reste de ma vie. Pourtant, je n’ai jamais regretté ce voyage que je considère comme mon pèlerinage intellectuel et mystique qui m’a donné la chance de côtoyé le réformisme post révolutionnaire iranien, de sentir les limites et les lacunes de l’idéologie islamiste et de vivre la splendeur du mysticisme musulman qui trouve en Iran son terreau le plus fertile.

Ayant peur d’être surpris par une éventuelle mésaventure, j’ai alerté, le soir même Amnesty Internationale et certains de mes amis en France et ailleurs. Dans de telles situations, surtout lorsqu’on est demandeur d’asile et qu’on vie dans un no man’s land juridique, il est impératif d’être toujours aux aguets. Une action a été lancée sur Internet grâce au travail de Mourad, de Luiza et d’autres.

Le lendemain, monsieur X, tout en me posant plusieurs questions sur mes voyages en Iran, mes relations, m’assura que je ne risquais rien. Ses tentatives d’apaiser ma peur étaient simplement vaines, car ma crainte s’éveillait à chaque question ou remarque vagues que prononça sa bouche, celle d’un professionnel de la sécurité. Ayant appris que moi et ma femme étions entrain de préparer notre aménagement vers une grande ville des Pays-Bas, quittant le petit village où nous avions vécu plus de trois ans, monsieur X m’avait paru ne pas apprécier cela. C’était comme s’il voulait que je reste dans ce même village isolé. Tout en prenant congé de moi, il m’a pressé de lui contacter en me laissant ses coordonnées.

J’ai appris par la suite que mes beaux-parents, néerlandais, avaient été interrogés par le même service deux ou trois fois ; bien sûr sur mon sujet. Eux aussi m’ont assuré que je ne courais aucun danger et que le résultat de l’enquête m’était favorable, puisqu’ils n’ont rien trouvé ce qui pourrait me compromettre aux yeux des autorités hollandaises.

Or, depuis mon déménagement, et surtout depuis l’action qui a été lancée par RT, les problèmes avec la centrale d’accueil des réfugier n’ont pas cessé de se multiplier. Ainsi, on n’a pas voulu accepter le fait que j’habite avec ma femme là où on venait de déménager. On m’a prié de changer d’adresse et de trouver une autre hors de cette ville ou de revenir loger au centre des demandeurs d’asile. La dernière option était et est pour moi inacceptable. Je préfère quitter ce pays que de revenir loger dans un centre de demandeurs d’asile. J’en ai fait l’expérience et je ne vous cache pas que le nombre de cas de folie au sein des centres est en pleine hausse. Certains de mes amis, dont un journaliste irakien, ont subit un traitement psychiatrique. A cause du stress, de l’attente, de l’oisiveté et d’un désespoir rampant, ils étaient au bord de la folie. J’ai donc choisi de calmer le jeu et de trouver une autre adresse. Ce qui aurait pu résoudre le problème bureaucratique. Mais, au lieu de cela on a arrêté de me verser l’argent qui me servait à payer le loyer et le prix de mon ticket de transport pour le pointage hebdomadaire. Je ne reçois actuellement que 39 euro par semaine au lieu et place de 92 euro. Et j’utilise plus de la moitié de la somme pour acquérir un ticket de train afin de me rendre au pointage hebdomadaire. Le comble est que la police des étrangers m’a convoqué pour le pointage hebdomadaire le mardi à 13 heure dans le Sud du pays alors que l’organe d’accueil des demandeur d’asile me convoque le même jour et à la même heure de pointer au nord du pays, à trois heure d’intervalle. Ce qui est impossible à réaliser ; à moins que je ne procure un jet ou un tapis volant.

Lorsque je me suis rendu à l’administration de la centrale d’accueil des demandeurs d’asile pour régler ce problème et pour acquérir une autorisation de travail, [2] comme main d’œuvre agricole, on m’a informé, à ma grande surprise, que mon nom n’est plus enregistré dans leur fichier, c’est à dire que je n’existe plus aux yeux de cet organe en tant que demandeur d’asile. La fonctionnaire m’a carrément dis que quelqu’un a effacé mon nom du système depuis le 14 février 2003 ! L’Aide aux réfugiés, un organe indépendant offrant gratuitement un soutien juridique aux demandeurs d’asile, a lui aussi perdu toute trace de mon dossier et est dans l’incapacité de me fournir une aide. Et, mon avocate que je n’ai pas vue depuis un an et demi et que j’ai tenté de contacter sans succès, et ce depuis deux mois, est, selon la même palette de phrases martelée chaque fois par sa secrétaire : très occupée, pas à son bureau, en plein entretien, en vacance, dans le tribunal, etc. Selon un autre malheureux tunisien qui l’a sollicitée de prendre sa défense après qu’on lui a refusé définitivement, après 9 années d’attente, la demande d’asile, l’avocate serait entrain d’écrire un livre sur la situation des droits de l’homme en Tunisie ! Et les droits de ses clients tunisiens bafoués sur cette terre démocratique qui risque de devenir une démocratie bananière !

N’ayant trouvé aucun interlocuteur, j’ai choisi d’écrire les périples que contient normalement la vie de tout demandeur d’asile. Je ne sais pas si j’arrive à écrire le prochain article. Je ne sais pas si tout ce qui est en train de se produire n’est qu’une façon de faire pression sur moi, de me faire taire. Je n’ai aucune preuve pour soutenir une telle présomption. Mais j’ai la foi en ma juste cause et en l’utilité de l’écriture. Tant que j’aurais la chance de démystifier quoi qu’une petite facette de l’injustice qui veut nous atomiser, je continuerais à informer, à penser et à déranger. Et si, cette page serait mon dernier article, j’ai heureusement laissé une surprise : 330 pages qui dérangeront mille fois plus que tout ce que j’ai écris jusqu’à aujourd’hui. Au cas où je serais menacé sérieusement par une mesure d’extradition, quelqu’un mettra la totalité de cette oeuvre en ligne sur les sites qui en seront intéressés. Ainsi ma voix ne s’éteigne pas même si je me trouve un jour au Camp X-Ray !

Notes

[1] Ministère de l’Intérieur.

[2] Les demandeurs d’asile sont autorisés à travailler trois mois par ans spécialement dans le domaine agricole.