« Bien informés, les hommes sont des citoyens ;
Mal informés ils deviennent des sujets.
 »

Alfred Sauvy [1]

Il est patent de constater que la routine et le manque de curiosité et d’innovation entraîne un manque de souplesse, d’ouverture, de recherche d’inédit et d’enjeux collectifs. Il est également constaté que l’absence d’échanges réciproques dans un système viable d’alliance peut non seulement empêcher l’affinement mais également menacer la conservation. Ceux qui n’existent qu’à travers les gesticulations stériles se croyant à l’abri dans le statu quo, ne font que contrarier leur évolution et se condamner, par conséquent, à la perdition et la désintégration. Tel un capital qui se déprécie sans valorisation, leur légitimité est contesté à défaut d’actions constructives.

Mais des fois face à des vrais défis certains s’accrochent à des faux rêves. Face à l’adversité, ils préfèrent le confort de l’habitude. Ils pensent qu’un pseudo privilège acquis prévaut un droit légitime à obtenir se confortant dans l’idée que se qu’on leur donne est plus accessible, donc préférable à ce qu’ils peuvent obtenir par l’effort.

Qu’ils se détrompent ! Les autorisations qu’ils obtiennent pour exister ; Les permissions qu’ils quémandent pour se réunir, circuler ou voyager ; Les incitations à la participation silencieuses, les écarts infimes de langages accordés ne sont que des leurres, des appâts, que des moyens pour mieux les compromettre et entretenir artificiellement l’espoir d’une éventuelle ouverture tant attendue. A force de vouloir exister l’également dans un système dont ils dénoncent les premiers – avec une certaine retenue d’ailleurs – les dérives totalitaires et liberticides, ils se corromprent jusqu’à la moelle. A force de trop s’exposer avec son geôlier, l’opposition visible et légale c’est brûlée les ailles. De trop pactiser avec le diable elle a fini par vendre son âme.

Il est évident que la fonction première d’un parti politique est de porter les aspirations de ceux qui y adhérent en défendant leurs intérêts et leurs revendications. Mais il est manifeste que cela n’est possible que dans un système politique fiable et au sein d’institutions saines. Il est nécessaire que l’opposition admette finalement que le respect des citoyens qui mettent leurs espoirs dans leurs actions passe par l’aveu de leur incapacité à les représenter et à défendre leurs intérêts. C’est, paradoxalement, par ce peccavi que débutera le chemin tortueux de la réconciliation avec le peuple. Il est donc incontestable que la légitimité à la quelle l’opposition tunisienne asspire ne peut être donnée par un système illégitime. Le droit qu’elle exige ne peut être garantie par un état de non droit. Croire ou faire croire qu’un jour Ben Ali finira par accepter un vrai débat démocratique et un pluralisme politique est une grave erreur stratégique et un manque de considération éloquent envers les Tunisiens. Le changement réel ne pourra se faire que sans lui, plus encore, la légitimité d’exister politiquement ne sera possible qu’après l’abolition totale du système qu’il a instauré. Pour cela, les formations politiques de l’opposition qu’elles soient reconnues, ou se battant pour l’être, doivent impérativement cesser d’exister en tant que telle. Elles doivent préconiser, pour exister, une refonte complète des institutions actuelles.

Un constat s’impose donc à nous. L’action émancipatrice de l’opposition tunisienne ne peut pas être politique dans le sens d’un rapport de force électoral dans un système d’alternance fiable. Cette action ne peut, donc, qu’être citoyenne. Elle ne peut se baser que sur le citoyen en tant que fondement indispensable à n’importe quel édifice institutionnel. Le régime a œuvré pour transformer le peuple tunisien en une masse d’individus déconnectés de leurs semblables sans possibilités d’échanges et de débats. Il a érigé l’avidité, la délation, la calomnie et la peur en model social. C’est à vous opposition, et à nous citoyens en devenir, de reprendre notre éducation démocratique en main et briser les carcans du système corrupteur qui liquéfie toute initiative citoyenne. C’est à nous peuple de Tunisie de se réapproprier les réflexes de la citoyenneté. Tous ceux qui oeuvrent pour une renaissance tunisienne qu’ils soient dirigeants, membres, sympathisants d’un parti politique ou simples militants anonymes doivent se diffuser dans la société tunisienne pour amorcer le débat entre les individus. Il est plus qu’évident qu’une première étape nécessaire au préalable de toute action, consiste à démocratiser le débat et la circulation de l’information. Il faut que toutes les forces militantes oeuvrent pour que le dialogue quitte les salles de conférences pour retrouver sa place légitime dans la rue tunisienne. Il est plus que nécessaire que l’information sorte des cercles d’initiés de l’élite intellectuelle pour arriver à la connaissance du plus grand nombre. L’injustice que subie son honneur le juge Mokhtar Yahyaoui ou encore l’incarcération ignoble de Maître Abbou ont connu, et connaissent encore (à juste titre) une grande médiatisation dans les médias étrangers alors que la grande majorité des tunisiens – en dehors des cercles d’initiés – en ignore même l’existence, et pour ceux qui en ont eux écho ils ne détiennent pas d’éléments susceptible de leurs permettre un quelconque jugement. C’est un exemple parmi tant d’autres qui montre la nécessité d’un changement d’orientation de l’action émancipatrice.

En tant que tunisien défendant ma citoyenneté, en tant que militant oeuvrant pour une renaissance tunisienne. Je lance un appel solennelle à tous les dirigeants des partis politiques de l’opposition tunisienne, qu’ils soient légaux ou tolérés de dissoudre officiellement leurs formations ; à tous les élus des systèmes de quotas et à tous ceux qui ont participé à des élections truqués aux résultats biaisés, de rendre leurs mandats. C’est un signal fort qu’il faut lancer a l’infâme régime. En refusant de participer à son système corrupteur, les forces de l’opposition montreront l’exemple et ouvriront la voie au peuple tunisien pour ce détaché du système et vivre en dehors. C’est seulement de cette manière qu’ils tenteront de s’en défaire eux même dans leur vie quotidienne. Le processus se déclinera à l’infini touchant toutes les classes de notre société. C’est seulement dans les rangs du peuple, débarrassés de tous les dogmes et les slogans que le militantisme peut atteindre sont but initial, à savoir une participation accrue, des tunisiens, au débat et une meilleur conscience citoyenne. Cette fusion volontaire avec la société civile se doit d’être un préambule et un point de départ d’une compagne nationale d’information en préparation du Sommet Mondial de la Société de l’Information. C’est une offensive informative de grande envergure qu’il faudra lancer pour donner des éléments d’informations au peuple afin qu’il puisse mûrir une réflexion constructive sur sa condition et les moyens de la transcender. Il faudra transformer la frustration stérile en une énergie positive qui servira de locomotive à un mouvement populaire, citoyen et apolitique. C’est un discours constructif, pédagogique, dénouer de toute démagogie populiste qu’il faudra adresser au Tunisiens. Cet événement est l’occasion rêvée pour, enfin, offrir à nos compatriotes une tribune pour exprimer leurs mécontentements et montrer leurs maturités civique et citoyenne. C’est leurs voix qui doivent arrivées aux oreilles du monde libre. C’est leurs mots qui doivent résonnés dans le ciel bleu de notre Tunisie, chère à nous tous.

[1] Alfred Sauvy, sociologue, 1898-1990