Une injustice qui doit cesser
Traduit de l’Arabe par Luiza Toscane.
(…) Les prisonniers et leurs familles ont attiré l’attention des militants des droits de l’homme [1] sur le fait que des condamnations multiples leur avaient été infligées pour des accusations sur la base desquelles ils avaient été jugés plusieurs fois !! L’affaire paraît difficile à croire, car lorsque la loi incrimine un acte, elle ne peut en condamner l’auteur plus d’une fois. Mais une comparaison entre les copies des jugements suffit à provoquer la stupéfaction et à inviter les militants et nombre d’avocats à s’arrêter longuement sur la plupart des injustices qui ont broyé ces prisonniers politiques et leur ont causé des préjudices. La voix des prisonniers s’est enrouée à force d’exiger la révision des jugements qui avaient été prononcés contre eux sans pouvoir faire valoir leur droit à la jonction des affaires, d’autant qu’ils n’étaient pas en mesure d’étayer leurs assertions puisque l’administration des prisons ne délivrait pas les numéros des jugements et que le greffe du tribunal à son tour ne donnait pas copie de ces derniers, le greffe ne délivrant pas de jugement dans les affaires à caractère politique.
- Zouhaïer Ben Hassine a été condamné à deux reprises pour appartenance à une association non autorisée : dans l’affaire n°24570 le 16/12/1994 à Sousse et dans l’affaire n°99261 le 31/05/97 à Tunis
- Doniel Ben Mohammed Sadok Zarrouk a été condamné à trois reprises pour appartenance : dans l’affaire n°72922 le 11/11/1992 et dans l’affaire n°18980 le 26/01/1994 ainsi que dans l’affaire n°19630 le 23/05/1995..
- Même chose pour Farid Ben Ali Rezgui qui a été condamné à deux reprises : dans l’affaire n°23672 le 10/07/1997 en appel à Tunis et dans l’affaire n°23303 le 25/11/1996 en appel à Tunis
- Frej Jami a lui aussi été condamné pour ce motif à deux reprises par la Cour d’Appel de Tunis : dans l’affaire n°19102 le 05/05/1994 et dans l’affaire n°18926 le 30/03/1994
- Toujours pour cette même accusation, Mohammed Bouazza a été condamné dans deux affaires par la Cour d’Appel de Tunis, dans l’affaire n°23672 le 10/07/1997 et dans l’affaire n°23303 le 25/11/1996
- De même pour le prisonnier Sami Nouri qui a été condamné dans deux affaires par la Cour d’Appel de Tunis : dans l’affaire n°23672 le 10/07/1997 et dans l’affaire n°23303 le 25/11/1996
- Quant à Adel Ben Amor, il a été condamné à deux reprises pour les mêmes accusations : dans l’affaire 76111 le 30/08/11992 par le tribunal militaire de Bouchoucha à Tunis et dans l’affaire n°20702 le 13/04/1995 par la Cour d’Appel de Tunis.
- La Cour d’Appel du Kef a condamné Hamadi Labidi pour les mêmes accusations cinq fois : dans l’affaire n°41553 le 25/03/1992, dans l’affaire n°2296 le 30/03/1992, dans l’affaire n°28339/41168 le 25/03/1992,dans l’affaire n°28288/41376 le 29/01/1992 et enfin dans l’affaire n°39574/28287 le 29/01/1992.
- Et enfin, la Cour d’Appel de Tunis a condamné le prisonnier Sadok Akkari à deux reprises au moins pour les mêmes accusations : dans l’affaire n°23672 le 10/07/1997 et dans l’affaire n°23303 du 25/11/1996.
Une relecture des jugements prononcés contre les prisonniers politiques (quand ils ont pu les obtenir) révèle des situations identiques à celles des dix précitées (…) dont le nombre dépasse les trente, ainsi : Houssine Ghodhbane, Abdallah Drissa, Ali Ghodhbane, Taoufik Zaïri, Béchir Laouati, Mondher Béjaoui, Maher Selmane, Mohammed Galoui, Abdelkarim Baalouche, Nabil Nouri, Choukri Ayari, Ahmed Bouazizi, Maher et Ramzi Khalsi, Aïssa Amri, Anouar Belhajj, Chedly Mahfoudh, Lotfi Snoussi, Hamadi Ben Abdelmalek, Adel Ben Amor, Abdelbasset Sli’i et Khaled Drissi.
Signalons que plus de 120 prisonniers politiques ont passé en prison une période dépassant la durée légale, et ce en vertu de condamnations multiples pour les mêmes faits avant leur élargissement à diverses occasions dans le passé. Parmi eux quatre prisonniers qui ont bénéficié de la « grâce de 2005 » et de la « grâce de février 2006 » : Ali Neffati, Taoufik Fatnassi, Ahmed Abdelli, et Nacer Bejaoui qui n’ont été intégrés à la liste des prisonniers libérés qu’après que l’organisation Human Rights Watch ait soulevé le problème des condamnations multiples.
Quant aux prisonniers Taoufik Chaïeb et Lotfi Amdouni qui ont mené des grèves de la faim en prison, respectivement de 52 jours et de plus de 67 jours (dont 15 jours de coma), ils n’ont été libérés qu’après avoir été exténués par leurs grèves et suite à une intervention de l’organisation Human Rights Watch, de la Croix Rouge Internationale, de l’AISPP et d’Amnesty International, qui ont adopté leur cas, car ces prisonniers n’avaient d’autre recours que la grève de la faim pour sensibiliser la société civile tunisienne et faire parvenir leur voix aux organisations internationales et leur faire connaître l’injustice qui les poursuivait [2].
Il n’est plus guère utile aujourd’hui de se demander si ces procès remplissaient les conditions de procès équitables car au regard de ce qu’ont produit les prisons et de ce qu’elles continuent de produire, la question est aujourd’hui de savoir comment une justice en arrive à consumer les prisonniers politiques et à les priver de leurs mères, de leurs femmes et de leurs enfants sans raison légale ? Qu’est-ce qui pousse une justice qui s’enorgueillit de son indépendance à refuser la jonction des affaires (…) ? La mort a rattrapé le prisonnier politique Ridha Khemiri à la suite d’une grève de la faim qu’il a entamée lorsqu’il s’est vu refuser la jonction des affaires car il avait été condamné à plusieurs reprises pour les mêmes faits [3]. Paradoxalement et bizarrement, la justice a prononcé un non-lieu à son endroit après sa mort… Quant au prisonnier politique Hechmi Mekki, décédé le 15 juillet 2006, soit quatre mois après sa libération, qui avait été condamné lui aussi à plusieurs reprises pour les mêmes accusations, il aurait pu remédier à sa maladie par des soins s’il avait été mis un terme à l’exécution des condamnations multiples à son endroit : il aurait pu quitter la prison en bonne santé s’il avait pu bénéficier de la jonction des affaires et être libéré avant 2000 [4].
Mais il est trop tard pour se poser ces questions. Des dizaines de prisonniers politiques pâtissent jusqu’à aujourd’hui du refus de leur droit à la jonction des affaires, et on peut craindre que leur destin ne soit identique à celui de leurs pairs avant eux. Qu’est-ce qui peut bien inciter à repousser l’examen de leurs plaintes à plus tard, s’il y a encore de la justice dans la « justice » ?
L’administration des prisons y perdrait-elle en prestige si elle délivrait aux prisonniers les numéros de leurs affaires ? Qu’est-ce qui empêche les greffes des tribunaux de remettre aux avocats et aux familles des prisonniers politiques des copies de leurs jugements afin qu’ils défendent un droit piétiné, qu’ils corrigent une erreur qui s’est répétée au détriment d’une catégorie spécifique de prisonniers et qu’ils évitent ce qui, avec la durée de l’incarcération, deviendra une injustice qui a happé de longues années des vies de ces Tunisiens. Lorsque le prisonnier est acculé à faire le choix entre : la libération ou la mort, comme l’a fait le prisonnier Ridha Khemiri, car il sait qu’une injustice programmée le vise depuis longtemps,-son procès était en soi en injustice, que les incriminations qui le visaient relevaient de calculs politiques, que les condamnations étaient multiples, que ni le prisonnier ni sa famille ni son avocat n’ont eu les moyens de se défendre pour stopper l’exécution des condamnations multiples-, lorsque l’injustice atteint ce degré de complexité, on ne peut éviter que le prisonnier ne soit au bout du rouleau, et à bout de ressources pour en arriver à croire que la mort par la faim ou liberté immédiate soient les termes uniques du choix qui s’offre à lui.
A l’instar de la libération du prisonnier politique Lotfi Amdouni après la délivrance d’une levée d’exécution de la peine par le procureur auprès de la Cour d’Appel, suite à l’examen de ses condamnations multiples, on peut dire que ces injustices ne prendront fin qu’avec le respect dû au droit des prisonniers de voir leurs condamnations révisées et la levée de l’exécution de leurs peines. (…)
(Source : Nawaat, reprise d’El Maoukef n°374 du 22 septembre 2006)
(Traduction d’extraits ni revue ni corrigée par l’auteur de la version en arabe, LT)
[1] L’AISPP a mentionné dans son communiqué du 28 avril 2006, ce que les familles lui répercutaient à savoir que nombre de prisonniers politiques étaient alors incarcérés, au titre de condamnations multiples pour les mêmes faits. L’association a exhorté les autorités judiciaires, dans ce même communiqué, à réviser les dossiers d’environ trente prisonniers dont elle a cité les noms, qui sont à ce jour toujours victimes de cette injustice.
[2] L’ex prisonnier politique Taoufik Chaïeb a été condamné à trois reprises pour la même accusation et par le même juge. Dans le cas du prisonnier Lotfi Amdouni par exemple, on aurait pu supposer que les peines qui lui avaient été infligées prendraient fin en 2001, mais il a supplié les officiels et les organisations pendant quatre années jusqu’à ce que les organisations interviennent. Suite à quoi, l’administration l’a convoqué pour qu’il rencontre un représentant du ministère de la Justice qui lui a confirmé après investigation qu’il s’avérait qu’il avait effectivement été prononcé contre lui des condamnations multiples et qu’il aurait dû être libéré depuis belle lurette. Notre prisonnier aura ainsi passé en prison un « surplus de justice » de quatre ans.
[3] Ridha Khemiri a rendu le dernier soupir avant que l’ambulance ne parvienne à l’hôpital de Monastir.
[4] Jusqu’en 2000, Hechmi Mekki n’avait pas été affecté par la maladie qui est devenue par la suite en tumeur maligne, et lorsqu’il a été libéré en mars 2006, les médecins ne pouvaient plus lui éradiquer le mal avait fait des métastases sur l’ensemble du corps.
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