Aujourd’hui se réunissent des personnalités de l’opposition démocratique sur le thème de l’instauration d’une nouvelle République. Je ne sais pas si la réunion qui se tiendra aujourd’hui accouchera d’une souris ou d’une impulsion vers un projet national mobilisateur par sa cohérence institutionnelle et son ampleur. Je ne sais pas également si derrière une telle réunion sera susceptible de se profiler un authentique projet commun de prise du pouvoir, y compris, s’il le faut, programmée, faute de mieux, sur le moyen terme (et au pire sur le long terme).
L’année dernière à l’occasion du 25 juillet, j’écrivais ceci :
Tout le monde est d’accord pour mettre fin à la dictature. Mais quant à savoir quels sont les moyens envisagés, quels sont les mécanismes préconisés pour que cesse ce que tous dénoncent, on ne sait toujours rien. Et c’est d’autan plus incompréhensible lorsque l’on constate l’unanimité au niveau de l’opposition démocratique pour dire que le principal drame de la Tunisie est la dictature. Or, pourquoi, face à cette unanimité, le principal cheval de bataille de l’opposition ne repose-t-il pas sur les mesures destinées à mettre fin à ce drame ? Pourquoi n’articule-t-elle pas toute sa lutte sur ces mesures de nature à mettre fin à cet état de fait ? En l’occurrence pourquoi l’opposition ne concentre-t-elle pas toute son énergie pour faire prévaloir ce qui relève de l’urgence absolue, si changement il va y avoir un jour … et notamment :
1.- La description des mécanismes qui assurent l’indépendance réelle du pouvoir judiciaire. Des propositions détaillées également pour émanciper le Conseil supérieur de la magistrature afin de reléguer le cadre actuel qui fait que, hormis deux juges élus par leurs pairs, l’actuel CSM ressemble plus à une antichambre du palais présidentiel qu’à autre chose. Et à ce propos, pourquoi pas des propositions dans le sens d’une élection de l’intégralité des membres du CSM par les magistrats eux-mêmes ?
2.- La limitation des mandats présidentiels. Et en l’état actuel des velléités des “ogres tyranniques” pourquoi ne pas aller encore plus loin et proposer à limiter les candidatures à un mandat unique de 5 ans. Une limite qui réduit les risques des glissements vers le despotisme. N’est-ce pas ces glissements que la Tunisie a connus tant avec Bourguiba qu’avec Ben Ali. Alors pourquoi laisser la porte ouverte au suivant ? Et est-ce que les inconvénients d’un mandat unique de 5 ans font réellement le poids face aux risques despotiques que nous avons connus et que nous connaissons encore ? Et face à la situation exceptionnelle en matière de risque d’accaparement du pouvoir, pourquoi (même symboliquement) ne pas songer à inclure dans le libellé du serment présidentiel « que rien ne sera entrepris pour contourner cette limitation » ? C’est bien de dénoncer la confiscation du pouvoir par Ben Ali, mais il serait encore plus utile de la part de celui qui aspire à le remplacer de proposer des éléments concrets pour que cela ne soit plus envisageable par tous ceux qui « goûteront » au pouvoir suprême et chercheront à le prolonger.
3.- La soumission du président de la République à la loi comme tous les citoyens, soit par une procédure spéciale durant son mandat soit/et par la procédure de droit commun après la fin de son mandat.
4.- La clarification des positions vis-à-vis de la Chambre des conseillers qui est une insulte permanente à la souveraineté populaire et à la démocratie.
5.- La soumission du chef de l’exécutif à une véritable responsabilité politique. En d’autres termes, soumettre le réel auteur de la politique nationale à une responsabilité politique devant la Chambre des députés et non de son “fusible”, un premier ministre fantoche. N’était-ce pas la solution adoptée par la Tunisie depuis 1976, et ce, jusqu’à l’arrivée de Ben Ali qui a supprimé ce schéma de la Constitution dès 1988 ? (Un mécanisme qui avait le mérite d’exister, même s’il n’a jamais été mis en application, car trop rigide pour permettre une telle mise en cause de la responsabilité du président).
6.- La soumission de tous les actes réglementaires du gouvernement, président de la République compris, au contrôle de la juridiction administrative.
7.- Un Conseil constitutionnel dont la nomination des membres ne dépendrait plus si étroitement ni de l’exécutif ni du chef de l’Etat. Et si l’on écarte le mimétisme ridicule des régimes occidentaux, il n’y a pas d’obstacle à ce que la nomination des membres du Conseil constitutionnel puisse relever d’une procédure élective. De surcroît, envisager un Conseil constitutionnel pouvant être saisi par voie d’action lors de la procédure législative et par voie d’exception, pour les lois déjà votées. Ceci pour écarter progressivement l’application de tout un arsenal répressif accumulé sur des décennies aux mépris des droits fondamentaux. Enfin, un Conseil avec une compétence élargie à toutes les lois quelles que soient leurs natures.
8.- L’élection des gouverneurs de région (Wali) par les maires et les conseillers municipaux. Les gouverneurs devant être les représentants de la loi républicaine et de leurs électeurs et surtout pas des intérêts patrimoniaux de certaines familles, ni des intérêts du parti politique au pouvoir.
9.- Le Renforcement substantiel des mécanismes de l’immunité parlementaire pour que l’opposition parlementaire ne relève plus du rôle guignolesque qu’elle a. Et pour éviter que les députés ne deviennent juges et parties, conférer le pouvoir de lever cette immunité à la fois au Conseil supérieur de la magistrature, au Conseil constitutionnel et à la Chambre des députés. En somme, pour que la levée de l’immunité n’ait plus lieu pour permettre les règlements de compte ordonnés par le chef de l’exécutif, il n’y a rien de choquant à envisager que le Conseil constitutionnel ou/et le CSM confirme l’acte de la levée de l’immunité. Lequel acte devant être motivé et rendu public.
10.- Des propositions concrètes et détaillées pour que les discours qui stigmatisent le monopole actuel d’Etat -de fait- en matière de médias audio-visuels, ne soient pas de simples manoeuvres pour prendre la place des despotes actuels afin de perpétuer les mêmes pratiques. C’est bien de dénoncer la situation présente, mais encore faut-il proposer de nouveaux schémas instituant des organes de régulations indépendants du pouvoir politique pour le contrôle a posteriori des contenus et l’octroi des fréquences.
En tout état de cause, sans de telles mesures incarnant un préalable absolu et sans l’engagement solennel de tous pour les garantir par les actes, rien ne changera. Ben Ali disparaîtra tôt ou tard, et si rien n’est fait en ce sens, inutile d’espérer un quelconque changement de la part de tous ces sots qui nous proposent des programmes ridicules. Ce n’est pas tant une question de programmes d’intendance, voire d’hommes du changement dont il est besoin (sur ce point, les Tunisiens ont assez donné), il est surtout question d’un projet national qui consacre la démocratie par d’authentiques institutions démocratiques -consacrées par le droit et non par des discours- et la volonté de TOUS de les faire respecter.
Alors si la “seconde République”, thème de la rencontre d’aujourd’hui, va dans ce sens en contribuant à réévaluer les priorités, si cette rencontre est en mesure d’initier un nouvel élan mobilisateur de l’ensemble de nos concitoyens pour la restauration de l’Etat démocratique, alors, le citoyen que je suis, de cette seconde République je suis preneur. La seule chose que je regrette, c’est de ne pas être présent en ce moment parmi l’auditoire pour écouter “sagement” les uns et les autres sur ce thème.
Astrubal, le 7 juillet 2007
http://astrubal.nawaat.org
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