\" Pour la libération des prisonniers\". Banderole lors des manifestations à Redayef.

Coup sur coup on apprend que les tribunaux du régime, à Gafsa et à Tunis, ont prononcé des condamnations de dix ans et d’un an. Dix ans pour les pauvres de Redyef (Gafsa), qui ont crié leur colère et leur désespoir contre l’injustice et l’arrogance d’un régime mercenaire impitoyable, tout comme pour revendiquer leurs droits les plus élémentaires à la vie. Une colère que les policiers et les militaires, qui ne peuvent avoir en tant qu’individus sans uniforme aucune excuse pour le faire, ont réprimée dans un bain de sang. Il y a eu au moins un mort et plusieurs blessés. Et une condamnation d’un an, susceptible d’une prorogation qui pourrait durer encore plusieurs années, contre l’opposant, le Docteur en chimie, Sadok Chourou, juste quelques semaines seulement après avoir été relâché au bout d’une horrible détention qui a duré une éternité : 18 ans. Un temps largement suffisant pour détruire complètement et plusieurs fois un être humain. Beaucoup hélas, n’ont pu résister tant de souffrances sont morts ou plutôt ont été assassinés de la manière la plus lâche et la plus sadique au bout d’un processus de tortures indescriptibles qui ne peuvent s’achever autrement. On ignore leur nombre pour le moment. Mais que leurs bourreaux en soient sûrs, tous leurs crimes sont enregistrés et auront à en rendre compte beaucoup plus tôt qu’ils ne le pensent devant des instances judicaires véridiques.

L’accusation contre les premiers serait la « délinquance » suivie « d’attaques contre les édifices publics, les propriétés privées » et des élucubrations pseudo-judiciaires propres à l’esprit morbide des juges locaux dont tout le monde connaît aujourd’hui leurs caractéristiques les plus néfastes. Ils comptent parmi les plus corrompus de l’administration générale. Ils sont bien loin de répartir justice, ils sèment à toute volée, les grains de la haine de la vengeance dans une société qui s’en serait passée. En leur âme et conscience, ils ont fini par faire de la profession et de sa noblesse, une vulgaire marchandise comme toutes les autres. Mais dans ce terrain des privilèges étriqués et oh combien éphémères, ils ignorent ou feignent d’ignorer, que sans liberté, sans justice, sans équité la vie se vide de toute substance.

Envoyer des personnes à la fleur de l’âge dans les affres des prisons pour avoir revendiqué, par le seul moyen qui leur reste, la manifestation dans la rue, leurs droits à la vie, équivaut tout simplement à une condamnation à mort. Une condamnation non seulement pour eux mais pour toutes leurs familles, proches ou voisins qui tous auront les sentiments déchirés en lambeaux et leur vie disloquée. Et raison de plus dans une région injustement plus appauvrie que les autres.

Pour ce qui est du Docteur Chourou, on l’accuse d’avoir tenté de remettre sur pied une organisation politique interdite, en l’occurrence le Parti Ennahdha. À moins d’avoir des aptitudes et des forces surhumaines, il est pratiquement inimaginable de penser qu’une personne qui vient de passer toute une vie dans ces innombrables lieux insalubres en réclusion, traversant ainsi un océan de calvaires, de supplices indescriptibles et un sans fin de privations et sévices aussi bien physiquement que moralement, ne soit en mesure, ainsi au bout de deux jours, de penser à remettre sur pied une organisation ou un « dangereux » parti politique, comme s’il s’agit d’un gang rival qui n’attendrait qu’un signe de leur chef pour se remettre immédiatement en marche.

Même si on est, malheureusement, habitué à ce genre de terreur ces deux cas, et, particulièrement le second, sont réellement de nature à faire geler le sang dans les veines. Est-il possible de s’attendre à ce genre de terreur et même au pire ? – La réponse est définitivement oui. Le régime mercenaire de Tunis a démontré à plus d’une occasion ses aptitudes et ses forfaits les plus sinistres dans ce domaine et son triste et prolifère palmarès en est témoin. En effet un demi-siècle lui a permis de passer du stade amateur à devenir toute une école.

Le réseau infernal de quadrillage mis sur pied par le régime, il y a une cinquantaine d’années, est constitué de tous les volets permettant le contrôle permanent de toute la population et la destruction systématique, comporte en premier lieu un travail de sape au niveau de la dignité et de l’intégrité morale et spirituelle de la personne. Des moyens considérables et des petits pseudo-intellectuels-mercenaires qui manipulent la plume d’une manière aussi meurtrière que les mitraillettes entre les mains des « marines » américains ou leurs coreligionnaires, les troupes de choc françaises ou occidentales en général. Leurs munitions sont aussi létales qu’abondantes. Tous ceux qui lisent ce qu’ils écrivent ou regardent ce que produisent leurs cerveaux au niveau des médias audio-visuels se rendent parfaitement compte du haut degré d’intoxication et des manipulations continues des esprits dans le but bien clair : La défiguration suivie de la destruction morale inéluctable de l’être. Par la suite la destruction physique devient un jeu d’enfant. C’est avec du mensonge continuel, de la duperie, de la falsification, de la corruption, de la terreur et surtout la compréhension bienveillante des commanditaires d’outre-mer, gouvernements, institutions et médias que fonctionne le terrifiant appareil qui maintient en place ce régime mercenaire.

L’accusation portée contre le Docteur Chourou ne pourrait en aucun cas être justifiée et n’a aucune signification sauf dans la mesure où elle trahit les véritables intentions diaboliques du régime et consorts. Car les déclarations faites par ce monsieur à la chaîne de télévision « Al Hiwar » n’avaient rien qui soit de nature à être considérée comme un appel à la révolte et ainsi constituer un délit susceptible de provoquer, comme on le prétend, des troubles sociaux. Mais ce qui est sûr c’est que l’honnêteté aux yeux des « barons » de Tunis soit devenue synonyme de péril imminent. La vérité a été et restera un ennemi potentiel pour les mauvaises consciences.

En effet le Docteur Chourou a surpris les amis et les ennemis en même temps. Les appréciations des premiers, sont bien sûr, radicalement contraires à celles des seconds. L’homme est resté, surprise majuscule, debout. Tel un gigantesque chêne impassible à tous les vents et marrées tout au long des longues et terribles années passées entre les mains d’authentiques tortionnaires sans âme. Même si son physique semble avoir inexorablement accusé les effets de ces longues années de tortures, car au fond il s’agit bien de tortures et de rien d’autre que ça, sa conscience tranquille, par antonymie à celle de ses bourreaux directs et indirects, est restée imperturbable. Et ça, a fait énormément peur à tous les barons de Tunis. Le régime s’est rendu compte qu’en le relâchant, il venait de perdre la partie. Oui le régime-mercenaire a définitivement perdu la partie.

De très peu ou de rien ça va lui servir une année supplémentaire d’acharnements inhumains contre un homme qui a fait une démonstration élégante et éblouissante de sa lucidité, de son honnêteté et d’une foi inébranlable dans ses revendications légitimes de son droit et de sa liberté d’opiner sur tous les sujets sans restriction aucune. Les déclarations du Docteur Chourou, sont les reflets incontestables de l’écrasante majorité de la population malgré toutes les destructions sans répit dont elle fait l’objet nuit et jour. Des dizaines d’avocats se sont portés volontaires pour défendre les accusés. Ils seront capables de désavouer les juges et les mettre à nue. Même s’ils ne seront peut être pas capables de libérer les pauvres suppliciés des griffes de leurs bourreaux pour le moment.

Oui le Docteur Chourou a une fois de plus clairement et sans détour délimité le contour net de ses convictions fermes d’avoir une personnalité avec ses racines dans sa propre terre, sa propre histoire, sa propre culture et ses propres valeurs. Des convictions d’ailleurs largement partagées par la presque totalité de la société. Mais elles ne sont certainement pas celles qui sont de nature à préserver les privilèges matériels des barons qui conforment cette minorité et que le membre du Comité Consultatif du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, Jean Ziegler, qualifie avec justesse et précision d’ « oligarchies du Sud (qui) se contentent de reproduire le système mondial de domination et d’exploitation inventé par les occidentaux. » Un système qui se résume parfaitement en ces phrases et ces chiffres qui disent bien long sur sa nature et la barbarie incarnée par l’Occident : Un Occident qui a tout au long des cinq derniers siècles a exclu la majorité écrasante de la population de la planète. Enfin de compte dans leur totalité les blancs ne représentent plus que 12,8%[1] de l’ensemble de la population totale du monde, mais raflent avec une féroce voracité plus des 85%[2] des ressources et richesses de la terre laissant dans leurs sillons partout où ils passent les misères les plus atroces, sans oublier d’installer des mercenaires locaux pour parachever les actes suivants de la tragédie. C’est à ce système que s’accrochent éperdument et d’une manière organique tous ces mercenaires, petits et grands. Les uns aussi insignifiants que les autres et qui dans d’autres conditions personne n’en aurait jamais fait mention ni pour une raison ni pour autre et dans aucun contexte.

C’est à ce niveau que se situe la bataille, entre les mercenaires aux services de l’Occident avec sa gauche, sa droite et toutes les nuances entre les deux, et ceux qui ont choisi de continuer la lutte pour la réelle liberté et une souveraineté totale sur leur terre, leur mer, leurs ressources et les richesses de leurs peuples et aux valeurs qui sont les leurs. La ligne qui divise cette minorité de mercenaires et leurs privilèges criminels de la majorité écrasante de la population est claire. Et les vents de fin de monde qui soufflent ces derniers temps sur « la glorieuse civilisation » occidentale n’apportent, sans aucun doute, rien de rassurant pour tous les régimes mercenaires dans le monde arabe et ailleurs. Tous ses emblèmes sont en train de s’écrouler les uns après les autres. La paire de chaussures sur le visage de Bush à Bagdad était le dernier acte tant attendu ou comme le décrit le Prix Nobel José Saramago, le dernier coup qui manquait. Le coup final.

[1] La Haine de l’Occident de Jean Ziegler édit. Albin Michel.
[2] Voir l’article de Samir Amin http://www.michelcollon.info du 26-11-2008