Le président Par intérim, Fouad Mbazaa (à droite) et le premier ministre du gouvernement de transition, Mohamed Ghannouchi

Pourquoi un télégramme? Parce qu’en femme d’action habituée à l’analyse et la synthèse, j’ai appris à faire l’économie des mots inutiles, je n’ai pas de temps pour les circonlocutions et les paraphrases, et bien que polyglotte je n’ai pas l’intention d’inclure sur mon CV la langue de bois. Parce que la Révolution extraordinaire opérée par la jeunesse tunisienne et Internet demande à se traduire par des actes immédiats.

Monsieur Foued M’Bazzaa, je ne parviens pas à vous faire confiance. Pourquoi continuez-vous de ne pas communiquer votre agenda? Vous n’êtes notre Président que par intérim, votre légitimité est constitutionnelle et non pas celle des urnes et il y a peu de chances pour que votre mandat soit prolongé. Pourtant, dans ce laps de temps si crucial, votre sens des priorités me préoccupe:

1. La première priorité serait la demande d’entraide judiciaire pour geler DANS LE MONDE ENTIER les avoirs de la famille mafieuse de Ben Ali, Trabelsi, Chiboub, Matri, Mabrouk, mais qui tarde à se concrétiser. Le mandat d’arrêt international contre Ben Ali n’est pas suffisant, car il doit préalablement être extradable et des accords doivent encore être signés avec plusieurs pays. Je ne doute pas de l’intégrité de Monsieur Lazhar Karoui Chebbi, ministre de la Justice, mais c’est vous qui donnez les ordres ! C’est vous qui décidez des noms des personnes visées et l’ampleur de l’action. Où est cette liste ? Pourquoi ces demi-mesures?

2. La deuxième priorité serait la révision du code électoral et l’amendement de la Constitution afin de lever tous les obstacles que le RCD y a greffés pour empêcher l’émergence d’une vraie démocratie. Où en sommes-nous ? Qui sont les juristes chargés de cette tâche ? Nous voulons connaitre leurs noms, ainsi que leurs appartenances politiques. Comme il n’y aura pas de référendum pour approuver ces amendements, le peuple est en droit de les consulter sur internet, les discuter et les commenter. Vous ne pouvez plus faire l’économie de la communication, et le peuple n’a pas confiance en les médias traditionnels trop longtemps sous tutelle et qui continuent à l’être.

3. La troisième priorité serait la dissolution du RCD. Le peuple a appelé massivement et réitéré son appel pour cette dissolution. Cependant, votre gouvernement continue de faire la sourde oreille. Le RCD, cette pieuvre tentaculaire qui a mis le pays au pas, formaté les serviteurs de l’Etat dans la pensée unique avec toutes les mauvaises habitudes de l’impunité n’est plus tolérable. La tâche n’est pourtant pas aussi difficile que certains semblent le croire et le faire accroire: le RCD est juridiquement une personne morale à but non lucratif. S’il est exonéré d’impôts, il est tenu néanmoins d’avoir une comptabilité, justifier de ses ressources qui doivent provenir des cotisations de ses membres, avoir acheté tous ses biens, ou les avoir reçus par donation de ses membres. Eh bien c’est très simple, il suffit d’exiger cette comptabilité et nous aurons vite constaté qu’aucune de ses obligations légales n’avait été remplie. Et je vous mets au défi de pouvoir produire, vous-même, le moindre récipissé, le moindre reçu ou copie de virement avec le montant de vos contributions personnelles ! Le RCD a utilisé les impôts des citoyens pour distribuer ses faveurs à ses membres. Vous avez tous été bénéficiaires et non contribuables ! Rien que par ce fait, le RCD n’a plus aucune légitimité, et je renouvelle l’exigence de sa dissolution.

4. Vous venez de déposer tous les gouverneurs et en nommer des nouveaux. Cette tâche est-elle nécessaire ou urgente, puisque le futur Président démocratiquement élu choisira les siens ? Quel est le bénéfice pour le peuple et la démocratie de remplacer un RCDiste par un autre ? A qui vont vos loyautés aujourd’hui ? A Ben Ali, au RCD ou bien au peuple tunisien et à la Patrie ?

Monsieur Mohammed Ghannouchi, je ne vous aime pas, je ne vous ai jamais apprécié et cela ne risque pas de changer. Je ne souhaite pas vous connaitre davantage, dans l’espoir de déceler chez vous quelque vertu cachée, car vous êtes malheureusement affublé d’un défaut majeur : la lâcheté. Ajouté à cela l’entêtement à vous croire indispensable et la myopie.

Votre discours, expliquant pour votre défense que vous aviez peur comme tout le monde, ne plaide pas en votre faveur, bien au contraire : qui mieux que vous, serviteur zélé et fidèle parmi les fidèles depuis la première heure, pouvait se rendre compte que l’ogre de Carthage n’était qu’un ballon de baudruche, un épouvantail propre à effrayer les moineaux ? Vous vous êtes mis au service d’un fantoche, sacrifiant le bien-être du peuple tunisien, et votre propre dignité, si vous en aviez.

Je lis beaucoup de posts louangeurs, vantant votre « technocratie », votre compétence, comme s’il s’agissait d’une qualité rare. Pire encore, que vous êtes un mal nécessaire. Cela sonne terriblement familier : ne disait-on pas la même chose de Ben Ali, qu’il était un mal nécessaire contre l’Islamisme et pour la stabilité du pays ? Il a surtout été un mal pour son peuple… nécessaire pour les intérêts occidentaux, sans oublier les siens! La Tunisie regorge de talents et nul n’est irremplaçable, surtout ceux qui croient l’être.

La Tunisie mérite mieux, elle a besoin aujourd’hui d’hommes et de femmes courageux avec une vision à la hauteur des ambitions de son grand peuple digne du plus grand respect. Or les visionnaires ne se recrutent pas parmi les technocrates, mais bien plutôt parmi les citoyens avec des têtes remplies de rêves et des yeux pleins d’étoiles. Seuls les jeunes sont porteurs d’une telle flamme, et vous ne leur laissez pas de place.

Pour cela, je désire, souhaite et réclame, au nom de cette magnifique jeunesse qui fait tant plaisir, qu’au moins le 50 % de tous les futurs cadres du prochain gouvernement soient âgés de moins de 40 ans et l’autre moitié de pas plus de 60 ans.

Après la défaite de Zama, Caton avait clamé « Delenda est Carthago » ! Aujourd’hui, par le sacrifice de Mohamed Bouazizi, tel le phoenix, Carthage renait de ses cendres, portée par la ferveur de sa jeunesse, son ambition légitime et sa foi en son avenir radieux. Que d’émotions ! Allah bénisse mon peuple ! Allah bénisse mon pays !

Alyssa