Par Amjad Ghazi,

Que faire de ce gouvernement que des gens bien intentionnés soutiennent, que des gens raisonnables soutiennent ; certains pleinement, qui expliquent qu’il fait ce qu’il peut, que c’est un moindre mal ; d’autres, j’en fais partie, sont de plus en plus perplexes, inquiets. Il est temps de demander des comptes.

Que faire d’une équipe dont le noyau dur était partie prenante/partie écrasante de l’ancien régime?

Que faire d’un gouvernement qui défait le soir ce qu’il a fait le matin ? Nous apprenons avec la plus grande colère le début du démantèlement du RCD, la mise sous séquestres des ses biens, le transfert sans délais de son affaire à la justice avec une demande de dissolution. Quelques heures plus tard, on nous dit qu’il n’en est plus question.

A l’instant, sur la chaîne nationale, une téléspectatrice plaide pour une réconciliation nationale qui intégrerait les ercédistes, des membres de sa famille étant concernés. M. Chabbi, Ministre se précipite pour développer ce point et insister grandement sur l’importance capitale de cette réconciliation qui ferait une Tunisie unie et forte.

M. le ministre n’a rien dit, pas plus que son collègue de l’agriculture, quelques minutes auparavant quand l’animateur leur a demandé de se prononcer sur ce revirement concernant la dissolution du RCD.

(Monsieur l’animateur, dressage ancien, n’a pas reposé cette question, bien impertinente.)

Que faire d’un gouvernement qui décrète une amnistie générale pour les victimes innocentes de l’arbitraire policier étendue à leurs bourreaux ? pour le régime sanguinaire le sang reconnaissant de sa victime ?!

Que faire de certains responsables et coupables à qui on a délivré un peu rapidement, un peu lâchement, des certificats de virginité, dont l’obsession est de sauver leur mise et l’optimum de l’ambition repentie est de faire de nouveaux vers

Quelques-uns semblent s’attacher aux vrais problèmes, à l’Intérieur, à la Justice, à l’Éducation. Avec beaucoup de difficultés d’ailleurs, et d’erreurs que nous osons croire d’apprentissage pour eux et de jeunesse pour la Révolution. Des difficultés et des erreurs dont pâtissent d’abord ceux qui ont été le moteur de la révolution. Pourquoi à nouveau Sidi Bouzid plongé dans l’horreur ? Pourquoi le Kef ? pour ne citer que ces deux villes ?

Quand M. Baccouche reçoit des élèves dont certains trainent dans la boue le corps enseignant sans distinctions et sans nuances, quand ils les écoute sans user de la pédagogie nécessaire qui donne la parole mais qui responsabilise sans démagogie ni complaisance, M. Baccouche ajoute du malaise au malaise et grossit la longue file de ceux qui cessent le travail.

Quand M. Rajhi, en dépit de tous ses efforts, participe à la nomination de gouverneurs corrompus ou seconds couteaux de l’ancien régime, et que ces fonctionnaires se font chasser massivement par les populations, le signal qu’il envoie est qu’il est complice de la reconquête dont on voit des signes évidents.

Quand il ne prend pas l’initiative d’œuvrer activement à la dissolution de la pieuvre RCD et ne le fait que sous la pression qui monte de tous bords, il se met à la remorque de la rue, et ouvre la voie à toutes les critiques.

Messieurs les nouveaux ministres, vous qui n’étiez pas chez Ben Ali et sa bande, n’avez-vous pas l’impression de vous faire rouler dans la farine brunâtre du RCD, n’avez-vous pas l’impression d’être le jouet de ceux qui vous ont ouvert la porte ? vous rendez-vous compte que vous faites le lit des revanchards qui sont toujours à l’œuvre ?

D’autres enfin, comme M. le ministre des Affaires Étrangères, sont vraiment ailleurs.

Pourquoi ce ministre étranger à la Révolution, aux Affaires qu’il prétend diriger, à la dignité de tout un peuple ? Il se dit heureux d’avoir accompli un vieux rêve – d’enfant sûrement et cela, nous le croyons sur parole ! Il est sur son petit nuage, ce ministre ébahi, un nuage de vapeur pour moitié égo nébuleux, et pour l’autre incompétence gorgée de moiteur et ruisselante ?

Voler au secours d’une ministresse décriée de partout et à juste titre, qui proposait, pour l’amour des Tunisiens sans doute, un savoir faire policier moderne et efficace au régime sanguinaire du fuyard ! Belle coopération en vérité avec un peuple en lutte les mains nues, dans le droit fil des positions du gouvernement auquel elle appartient, du Tunisien Frédéric Mitterrand au Chef de l’État français. Une dame arrogante, gaulliste de bas de gamme et menteuse à dévoilement successif… La confondre avec la France ! lui reconnaître cette qualité qui insulte les hommes libres, en France, comme en Tunisie, d’être l’amie de la Tunisie !

Le temps des carpettes est révolu, M. le ministre. Les aides économiques et l’appui politique que vous accordera chichement M.

Sarkozy -fameux ami de qui vous savez et qui appuie sa ministresse contre vents et marées- ne se monnayent pas par le déshonneur, mâ’ al-wajh yâ sî Hmid ! La diplomatie n’oblige pas à tant de courbettes, surtout pour des gens de cette nature. Ni la saine coopération d’ailleurs.

Ensuite, se congratuler sur les écrans ! Oyez bonnes gens ma sagesse, et louez ma suffisance ! Cela est révolu, yâ sî Hmid ! Après les qualités sublimes auto-dispensées « responsabilités » « éthique professionnelle » « devoir », quelque deux heures durant, devrions-nous nous attendre, comme jadis, à l’exposé complet des petites affaires intimes ?

Et puis cet art misérable de l’esquive. Ne pas répondre aux questions que l’on vous pose, quand vous êtes responsable, Quand vous êtes responsable surtout de cette révolution !

Comment l’accepter dans un pays où la contre-révolution s’agite encore où les gens se font tuer encore pour les libertés et la transparence ?

Mais il y a pire. Vous dites, M. le Ministre, que « ce que le peuple tunisien a réalisé n’est pas à considérer comme un exemple et (que) nous n’avons (sic) pas de modèle à exporter ».

Les acceptions du mot « mithâl » sont nombreuses. Arrêtons-nous au plus fréquentes. Voulez-vous dire « exemple », « modèle » ou « idéal » ? Dans ma traduction j’ai opté pour la moins ruineuse pour votre position. Et c’est déjà terrible, car vos propos disent, sans le dire mais en le disant tout de même, ceci en particulier :
– que ce qui est arrivé, ce qui arrive ici, est, somme toute, assez ordinaire ;
– que ce qui se passe ailleurs, dans les pays arabes par exemple, où des despotes et leurs pays amis, silencieux et actifs font verser le sang des peuples, n’a aucun lien avec le combat héroïque de notre peuple qui dure depuis plus d’un demi-siècle.

Bravo, M. le Ministre, pour ses considérations sidérantes et ses messages clairs à tous ceux qui luttent ici et ailleurs et aux revanchards d’ici et aux despotes de là-bas.

Belle coopération, belle solidarité, de vous, ministre de la Révolution.

Ce monde imaginaire peuplé de fausses alliances d’où vous parlez nous révolte car il injurie la Révolution. Il insulte et les morts dont le sang n’a pas séché, et les vivants qui se battent et saignent encore.

Nous étions nombreux, Monsieur, à penser que vous étiez là, pour guider le pays sur les voies de la liberté vers une vraie démocratie.

Vos saillies à l’extérieur comme à l’intérieur du pays sont tout simplement indignes ; indignes, de n’importe qui. D’un ministre, fût-il provisoire, c’est impardonnable. Ce gouvernement provisoire doit en tirer les conclusions, si vous ne le faites pas vous-même.

Dix jours, il est temps de dire Dégage! à certains, à celui-ci d’urgence. De dire Attention ! à tous les autres. De réclamer la liquidation du RCD tout de suite.