Par Gadhoumi Atef

Le sondage d’opinion “Les tunisiens et la politique après le 14 janvier” fut réalisé du 1er au 22 Mars 2011 par le bureau d’études tunisien General Management Services (GMS).

Il a été mené “d’une manière indépendante, et exclusivement financé sur fonds propres” précise GMS qui souhaite ” apporter sa contribution à la construction de la nouvelle Tunisie”.

Deux points de détails doivent être, illico, précisés pour mettre ce sondage en situation:

  • Il a touché un échantillon de 1060 personnes , représentatif de la population Tunisienne, réparti selon les critères de l’âge, de la région et de la condition socio-professionnelle;
  • huit objectifs lui ont été spécifiés :
  • 1. Mesurer le degré d’intéressement des tunisiens à la politique après le 14 janvier;
    2. Cerner les principales préoccupations des tunisiens;
    3. Mesurer la notoriété spontanée des partis et identifier les principales sources d’informations;
    4. Mesurer la notoriété spontanée des personnalités politiques et identifier celles qui inspirent confiance aux interrogés;
    5. Mesurer l’adhésion des tunisiens à des partis politiques;
    6. Identifier le mode de gouvernance privilégié par les tunisiens;
    7. Identifier les formes et les voies qui pourraient apporter des changements positifs;
    8. Cerner les motivations et les freins à l’adhésion à un parti politique.

    Le sujet choisi et les objectifs ciblés, entendons-nous, sont d’actualité, pertinents et passionnants et même si ce sondage n’est, en réalité, qu’une photographie à un instant T, les résultats qui en ont découlé ont le mérite d’identifier les tendances émergentes et d’anticiper les changements politiques que vivra, inéluctablement, notre société.

    Aussi, focalisons-nous sur les principaux enseignements de cette enquête d’opinions et ses singularités tout en admettant, sans polémiquer, qu’à tout niveau de réalisation du sondage, l’objectivité et la valeur des résultats peuvent être mises en cause.

    Enseignement 1: Le tunisien renoue avec la politique

    Le sondage a dévoilé un regain d’intérêt des tunisiens pour la politique après le 14 Janvier. La réconciliation est semble acquise. En effet, 88% des sondés disent être intéressés par la politique mais à des degrés différents. Car, 48% ne voient leur intérêt porter sur la politique qu’à l’occasion des grands rendez-vous électoraux. Leurs profils varient selon le critère utilisé. Ce sont les jeunes âgés de 18 à 25 ans qui sont en tête du peloton des autres tranches d’âge recueillant plus de 53% des opinions exprimées. Leur enthousiasme et leur capacité à se mobiliser pour de tels événements circonscrits dans le temps peuvent expliquer cet intérêt. Aussi, remarquons-nous que ce sont les sondés issus de la région du Nord Ouest avec près de 54% et ceux appartenant à la catégorie socio-professionnelle des ouvriers et des employés avec plus de 55% qui se rangent dans cette tranche du sondage.

    40%, par contre, s’intéressent pleinement à la politique. Ce sont les 44-55 ans avec 50% des voix émises mais encore, ceux issus du Grand Tunis avec près de 41% et les cadres supérieurs avec près de 53%.

    L’explication probable voire “plausible” du profil dégagé de ce qui à précédé nous renvoie à cette effervescence politique, mais pas seulement, que vit la capitale et ses environs, à la condition socio-professionnelle plus stable de ceux qui ont opté pour ce choix et à l’âge qu’on peut qualifier de “mûr”…

    Signalons, enfin, que 12% des personnes interrogées, et ce n’est pas négligeable, ne sont pas inspirés par la politique. Ils sont ceux âgés de plus de 56 ans, ou ceux issus du Centre Ouest et ceux qui sont à la retraite.

    Enseignement 2: La sécurité d’abord !!

    Garantir la sécurité des Hommes et des biens est la préoccupation principale des tunisiens. C’est ce qui découle de ce sondage. Une large frange de la population sondée estimée à plus de 70% !!! met la sécurité en tête de ses préoccupations. Et le fait saillant est ce consensus quasi unanime, et indépendamment du critère appliqué, autour de la question. En effet, les personnes interrogées de toutes les tranches d’âge , avec un pic concernant les plus de 56 ans avec près de 83%, de toutes les régions, sauf pour le Centre Ouest, et de toutes les catégories socio-professionnelles, à l’exception des chômeurs et des inactifs, partagent ce constat.

    Ceci n’est guère surprenant au vue de l’échec de la politique en matière de la sécurité menée par tous les gouvernements provisoires. Cet échec est aussi bien dans les méthodes préconisées que dans les défis relevés. Comme si le fait de redéployer la police dans tous les carrefours permettra de reconquérir la confiance des citoyens??!! N’était-il pas opportun de traquer et d’engager des poursuites, tout en respectant la présomption d’innocence, à l’encontre des commanditaires et des exécutants des martyrs? Les habitants de la ville de THALA n’ont-ils par eux-mêmes identifié les assassins de leurs enfants?!! N’était-il pas judicieux de mettre en lumière, sérieusement, tous les dossiers de détournement de fonds, d’enrichissement illicite et de corruption?

    La sécurité, la vraie, est une justice rendue.

    Résorber le chômage et édifier la démocratie, pourtant deux des principales revendications de la révolution, sont recalés loin derrière avec successivement 50,5% et 40,2% des opinions exprimées.

    Enseignement 3: Les chaines de télévision première source d’informations politiques !!

    Le sondage d’opinion a révélé également que les chaines de télévision captent 32% des opinions des sondés et constituent la première source d’informations sur les partis politiques. Mais, si ce choix pourrait être attribué à l’abondance des chaines satellitaires et à la place qu’occupe ce média dans notre mode de vie, sa suprématie n’est que relative. En effet, les chaines de télévision sont talonnées par l’Internet qui recueille 28 % des “suffrages” exprimés. Et, nul ne peut contester, aujourd’hui, le rôle des réseaux sociaux, de la presse en ligne et des divers canaux disponibles sur la toile dans la diffusion de cette masse d’informations politiques dont la véracité reste à prouver. Mais, là est un autre problème.

    Aussi, remarquons-nous, que la presse écrite traditionnelle n’est source d’informations politiques que pour 15% des interrogés. Également, faiblement cotés, les meetings organisés par les partis politiques qui ne recueillent que 3%.

    Enseignement 4: Le droit de vote arme citoyenne

    Le sondage a dévoilé que 62% des tunisiens interrogés comptent participer à la vie politique du pays. Leurs implications s’expriment différemment. Mais, c’est le vote aux élections présidentielles et / ou législatives avec plus de 71% qui vient en tête des actions à entreprendre. Viennent, ensuite, le fait de s’exprimer dans les médias et l’Internet avec 34% et l’adhésion à un parti politique avec 28,2%.

    Et l’utilisation du droit de vote réapparaît, encore, en premier lieu avec 61% en réponse à la question : ” Parmi les actions suivantes, laquelle vous paraît la plus appropriée pour permettre des changements positifs en Tunisie ?”. Il devance de très loin les Sit-in (10%), les manifestations (10%), l’engagement associatif (8%) et le militantisme dans un parti politique (5%).

    Aussi, demandons-nous si le fait que ces dernières actions sont considérées comme négatives et ne menant pas à des changements positifs n’est pas causée par le mot “positifs” qui prête à confusion.

    Mais, en tous les cas, le droit de vote retrouve, après le 14 Janvier, toute son efficacité. Ce n’est plus une théâtralisation d’une démocratie bafouée au quotidien mais une véritable arme citoyenne au service du changement. C’est ce qui ressort du sondage…

    Quoiqu’on pense de ce sondage d’opinion, et des autres, l’émergence d’une démocratie d’opinion ne peut être que bénéfique. L’opinion publique doit être considérée comme un acteur politique majeur. A bon entendeur.