Après les dernières offensives réussies par les insurgés et leurs avancées rapides, les forces de kadhafi ont contre-attaqué et repris, à l’Est, le terrain perdu. A l’Ouest, le Colonel continue son œuvre de terre brûlée. Le martyre de Misrâtah, assiégée, depuis six semaines ! sans nourriture, sans eau, sans médicaments, sans communication, touche à sa fin. Kadhafi l’aura rendu aux sables. « Mni as-sahra li-sahra » avait aboyé le Duce en guise d’avertissement, et il est en passe de tenir parole. Résistance exemplaire, destructions sans précédent. La ville héroïque connaîtra le sort de Zaoui, détruite et dominée dans les premiers jours du mois dernier. Zentan est entrain de connaître le même sort.

Suivront Yefren, Natou et les autres villes de Al-Djabal Al-Akhdar.

L’aviation du Nato n’est guère intervenue, à l’Ouest. A l’Est, contrairement aux frappes françaises, britanniques et américaines du début, elle intervient dès que les forces de Kadhafi menacent de dépasser El-Brigua. Ces deux derniers jours, on a allégué les conditions météorologiques pour ne pas intervenir du tout. Désormais on avance que la nouvelle tactique des troupes de Kadhafi qui ont abandonné les blindés pour des véhicules légers rend très problématique voire impossible tout intervention.

Le Nato, par les avancées et les reculades qu’il autorise de part et d’autre, semble hésiter sur le tracé d’une nouvelle frontière.

Rien d’étonnant dans tout cela. Le transfert du commandement, après l’accord des Français, des Britanniques et des Américains, des mains des deux premiers à celles, plus consensuelles quant aux intérêts de l’OTAN, s’est accompagné d’une mise au point qui est en fait un rappel et une rectification de trajectoire : « Protéger les populations civiles » ; rien de plus. Toutes les lectures sélectives et réductrices de la résolution 1973 ont été dès lors permises, à la grande satisfaction de Merkel, d’Erdogan et de quelques autres, surtout dans les pays arabes et en Afrique, qui voyaient d’un mauvais œil l’élimination totale du régime Kadhafi et la réduction des parts du gâteau de la reconstruction, aux profits de la France et de la Grande Bretagne.

La déclaration du Secrétaire général du Nato, M. Rasmussen, consultable sur le site de cette organisation, précise : « Les pays membres de l’OTAN ont décidé d’assumer la totalité de l’opération militaire en Libye dans le cadre de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Notre but est de protéger les populations et les zones civiles menacées par le régime du colonel Kadhafi. L’OTAN appliquera tous les aspects de la résolution de l’ONU, ni plus, ni moins. » Le désengagement des Etats-Unis à partir d’aujourd’hui, 3 avril, que signifie-t-il sinon moins de pression sur les troupes de Kadhafi et plus de liberté pour qu’elles détruisent et tuent davantage ?

Les craintes qui ont été formulées sur Nawaat, dans « Le Hitler du Désert, conduit-il le pays vers la partition », publié le 24 février, et rappelées dans « Les Tomawaks et après ? », publié le 22 mars, ne relèvent plus de la simple hypothèse : le Nato et Khadafi sont entrain d’œuvrer activement à la partition de la Libye.

Cette sombre perspective, l’avocat libyen, Mohammad Al-Allagui, Chargé de la Justice dans le Conseil National de Transition, vient de l’évoquer ouvertement, tout à l’heure, sur Al-Jazzera.

Il a, en outre, dénoncé, dans les termes les plus vifs, la façon dont le Nato mène les opérations qui lui ont été confiées, sa façon de cibler et de suspendre les frappes.

Notons que le cessez-le feu vers lequel on a poussé le Conseil National de Transition depuis deux jours, et que ce conseil a fini par demander, conduirait inévitablement à la partition du pays. Doit-on se réjouir de voir Kadhafi le repousser pour « conditions inacceptables » ?

Rappelons qu’en Occident, des officines, des Think Tanks, des politiques et des militaires évoquent cette partition, depuis le début du soulèvement. D’autres y travaillent activement. Les journaux depuis quelques jours en parlent.

On n’entend plus Bernard Henry Lévy, homme d’affaires et philosophe, qui, avec Sarkozy, voulait sauver les Libyens de la dictature. Se serait-il rangé aux arguments de ceux qui agitent le chiffon d’Al-Qaïda et qui voient des intégristes en foule courir de Tobrouk à Syrte ? Déjà, vers la fin janvier, il voulait faire peur, avec d’autres maîtres à penser français, porte-voix du gouvernement israélien, en évoquant la confiscation de la Révolution égyptienne par les Frères Musulmans. Et cela revenait à réclamer le maintien de la dictature de Moubarak. Humanisme de salon, à la Botul ; fiction dont B.H. Lévy, seul, a le secret et les dividendes réels.

Plus inquiétant, le 21 février, Franco Frattini, ministre italien des Affaires Etrangères, taxait le soulèvement de Benghazi et ses premières victoires de « soi-disant émirat islamique de Benghazi ». La participation de l’Italie à la coalition, suite à la volte-face de Berlusconi, ne doit pas faire oublier cette appréciation. Non pas comme une position ou un constat ; mais comme un prétexte. Combien d’années, les pouvoirs occidentaux ont-ils préféré et appuyé les dictatures du Sud, du Maroc à la Jordanie, à la menace islamiste ?

Un mois après la saillie de Frattini, le 21 mars, l’Amiral Lanxade, ancien chef de la première guerre du Golfe, ancien ambassadeur de France en Tunisie, disait sur France Infos que la partition est envisageable. L’Amiral, stratège écouté et non pas seulement sur les antennes, s’est même fait ethnologue pour dire de fortes et définitives paroles : deux cultures différentes se partageraient selon lui la Libye, celle du couscous à l’Ouest ; et à l’Est, celle du riz. Rompez ! La partition est en marche.

Le vénérable préretraité de réserve doit se souvenir confusément des dissertations académiques sur la cuisine au beurre et la cuisine à l’huile qui se partagent la France, et qui, pour moi, font son unité et sa richesse. Mais l’Amiral, comme beaucoup, sépare consciemment ici ce qu’il réunit inconsciemment là-bas.

Les journaux français de la fin de cette semaine, 30-31 mars, y compris les régionaux (cf. les Dernières Nouvelles d’Alsace, par exemple) parlent d’une partition probable et semblent, dans leur majorité, y préparer l’opinion.

C’est « la menace islamiste » qui sert de couverture à l’ignoble dessein. Lancée par Kadhafi, dès les premiers jours du soulèvement, elle est allée grossissant. Aujourd’hui, les lobbies sionistes font dire aux USA et en Europe que de nombreux militants de Hizbollah et du Hamas se battent aux côtés des insurgés libyens ;

qu’en contre partie, ils récupèrent des armes chimiques et des missiles sol-air. Voici ce qu’on peut lire sur l’un des sites sionistes : « Le 29 mars, le Commandant des Forces américaines à l’OTAN, l’Amiral James Stavridis, a pour la première fois révélé devant une Commission du Sénat US « que des éléments du Hezbollah se trouvaient à Benghazi en même temps que des membres d’Al-Qaïda », mais sans préciser comment ils étaient arrivés ni dans quelle intention. » Cela est colporté par des journaux français, comme le Figaro, alors même que L’amiral Stavridis a déclaré : « Les renseignements que je reçois pour le moment me donnent l’impression que les dirigeants que je vois sont des hommes et femmes responsables qui se battent contre le colonel Kadhafi ».

Le risque du partage du pays n’a jamais été aussi grand. Et cela nous ramène quelque 62 années en arrière, aux heures sombres où l’Europe de l’après-guerre, ruinée par ses propres démons, cherche à se reconstruire, sur le dos des peuples colonisés. En infâme butin de guerre qu’on disait au détriment de l’Italie fasciste (sic), M. Ernest Bevin pour la Grande Bretagne, en accord avec M. Carlo Sforza représentant l’Italie, présenta, début mai 1949, un plan de partage de la Libye en trois zones, la Cyrénaïque (Barqa) aux Britanniques, la Tripolitaine pour les Italiens, et le Fezzan pour les Français.

Cette première tentative, combattue par la Libyens, fut fort heureusement rejetée par l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Le Nato et le Colonel sanguinaire vont-ils réussir, cette fois-ci, le partage ?

Pour l’instant, les ilots de résistance à l’Ouest empêchent le plan funeste d’être pleinement réalisé ; pour combien de temps encore ? La commercialisation du pétrole de l’Est qui commence par l’entremise du Qatar devrait déboucher normalement sur l’achat d’armement adéquat pour résister aux troupes de Kadhafi et de reprendre l’offensive pour libérer le pays entier. Si le Nato le permet des armes et des combattants libyens et arabes peuvent arriver à l’Ouest, dans les plus brefs délais.

Que fait la Ligue Arabe pour cela ? Que font les peuples arabes ?