Les citoyens tunisiens en France s'inscrivent pour voter en Octobre, beaucoup d'entre eux pour la première fois. Photo de Karim Bensaida

La première étape de la transition démocratique – La création de nouvelles listes électorales – ne s’est pas déroulée sans embuches mais les volontaires ont relevés leurs manches.

Par Yasmine Ryan

Des citoyens tunisiens résidant en France s’inscrivent au scrutin d’octobre, nombre d’entre eux pour la première fois.

Une affiche délavée accueille les tunisiens de France qui sont venus s’inscrire à un scrutin qui sera, ils l’espérent, la premiere élection libre et honnête du pays.

On peut lire «La Tunisie, un désir de sérénité” sur cette affiche qui semble avoir été placée de manière à ce que les citoyens qui se trouvent dans la file d’attente ne puissent pas la rater.

Sur cette affiche touristique, une femme vêtue d’une robe rouge a le regard tourné vers un paysage apaisant et luxuriant de palmiers, mais ce n’est pas le seul élément de ce consulat tunisien de Pantin, un quartier populaire de la banlieue Nord de Paris, qui évoque l’ère pré-révolutionnaire.

Dans ce bâtiment consulaire, où peu de visages ont changé, les gens parlent doucement comme s’ils attendaient encore la confirmation de la fin de l’ère de la police politique.

La plupart des réponses données aux questions posées par Al Jazeera révèlent un optimisme prudent.

Taoufik Chebil, un homme âgé qui vient s’inscrire sur les listes électorales pour la première fois de sa vie, affirme que des efforts ont été déployés pour rendre le processus aussi simple que possible.

Je n’ai jamais voté de toute ma vie, cela ne servait à rien de venir avant car les résultats étaient décidés d’avance“, regrette-t-il.

À l’extérieur du consulat, un jeune homme de 32 ans est plus sceptique.

Brahim Mezri, qui lui non plus n’a jamais voté, nous apprend qu’il est venu renouveler son passeport et qu’il ne s’inscrira pas sur les listes électorales avant que la classe politique n’ait gagné sa confiance.

À l’heure actuelle, rien n’est clair dans notre pays“, dit-il, ajoutant qu’il voterait dans le futur, si ces élections s’avéraient honnêtes.

L’automne approche

Le gouvernement provisoire tunisien s’est engagé à faire disparaître les listes électorales irrémédiablement entachées du régime de Zine El Abidine Ben Ali, et de leur substituer de nouvelles listes d’électeurs qui aideront à mettre la démocratie naissante sur le droit chemin.

“Nous devons nous battre. Et la bataille sera difficile. Pour changer les choses, il faut jouer un rôle actif.”

Houda Zekri, citoyen volontaire.

Les citoyens résidant en Tunisie et à l’étranger ont pu s’inscrire sur les listes électorales entre le 11 juillet et le 2 août.

Samedi soir, à seulement trois jours de la date limite, 1,76 millions des citoyens qui vivent sur le sol Tunisien s’étaient inscrits – moins d’un quart des 7,5 millions d’électeurs admissibles estimés, selon la Haute Autorité électorale tunisienne (ISIE par son acronyme français).

Kamel Jendoubi, le Président de la ISIE, a annoncé samedi soir, lors d’une apparition télévisée, que les bureaux d’inscription seraient ouverts jusqu’au 14 août, en vue d’inciter un plus grand nombre de Tunisiens à venir s’inscrire.

Le ISIE n’a pas publié les statistiques concernant les quelques 600.000 citoyens tunisiens qui vivent en France.

Les Tunisiens résidant en France éliront dix des 218 membres de l’assemblée constituante, mais aucune information n’a été fournie quant aux heures d’ouverture des bureaux de vote.

Houda Zekri, un bénévole de la Fédération tunisienne des citoyens des deux rives (FTCR) qui aide à collecter les inscriptions à Pantin a déclaré que 5000 électeurs se sont inscrits sur les listes électorales samedi soir.

Certaines personnes ont appelé le gouvernement à autoriser l’inscription à distance, mais pour l’instant les électeurs doivent se présenter en personne, à la fois pour s’inscrire, et pour voter en octobre. Et pour bon nombre de résidents des régions les plus reculées de France, cela signifie qu’ils devront parcourir de longues distances à deux reprises.

Maria Cristina Paciello, chercheuse à l’Institut des affaires internationales (IAI) et maître de conférences en géographie économique et politique à l’Université de Rome, affirme que si les autorités tunisiennes ne tiennent pas compte du faible taux d’inscription, les citoyens ayant la possibilité de voter en octobre seront minoritaires.

Les Tunisiens ne font pas confiance au système, ce qui pourrait les empêcher de participer au processus électoral », assure-t-elle, en faisant référence aux nombreux membres de l’ancien régime encore en mesure d’influencer les élections.

Alexander Keyssar, spécialiste de l’étude des démocraties et des élections à la Harvard Kennedy School, soutient qu’il faut trouver un équilibre entre les mécanismes de prévention de la fraude électorale et l’inscription d’un maximum d’électeurs, élément vital s’il en est, même si cela n’est pas une tâche facile en un laps de temps aussi bref.

Tout mécanisme ou règle électorale qui facilite l’inscription et le vote des électeurs comporte en soi un risque de fraude“, affirme-t-il. D’un autre côté, des électeurs légitimes perdent bien souvent leur droit de vote à cause des mécanismes conçus en vue de prévenir la fraude électorale“.

Selon lui, pour permettre au plus grand nombre de citoyens de participer aux élections, il faut envisager une approche flexible et prendre des mesures supplémentaires si nécessaire

Et une grande partie du défi à relever pour préparer le pays à voter pour élire une assemblée constituante est ancrée dans le calendrier ambitieux fixé par le gouvernement de transition.

Ben Ali, qui dirigeait le pays depuis le coup d’Etat sans effusion de sang perpétré en 1987, a été contraint d’abandonner le pouvoir le 14 janvier. Des élections ont rapidement été organisées pour que les Tunisiens puissent élire un nouveau gouvernement, mais à l’approche de la date fixée, le vote a été repoussé au 23 octobre.

Les élections d’octobre seront cruciales, car elle définiront l’avenir politique du pays. Les candidats élus seront chargés de développer une nouvelle constitution et de définir le futur système politique.

Les Tunisiens qui avaient pris part aux manifestations espèrent plus que tout être en mesure de réclamer et de recueillir les fruits de leur soulévement, et d’avoir l’opportunité de voir leurs votes comptabilisés en faveur des dirigeants qu’ils auront choisis.
Yet the transitional period has thus far been marked by instability, as rival political factions compete to influence the transitional process.

Cependant, la période de transition a jusqu’à présent été marquée par l’instabilité, car les factions politiques antagonistes rivalisent pour influencer le processus électoral.

Tout en portant peu attention aux obstacles bureaucratiques qu’une transition aussi rapide peut engendrer, les principaux partis d’opposition ont fait pression sur Jandoubi – et tout particulièrement le parti islamiste Al-Nahdha déjà bien implanté, qui devrait remporter les élections selon les récents sondages -, pour faire en sorte que les électeurs se rendent aux urnes le plus rapidement possible.

Ce rythme soutenu démarque la Tunisie des nations post-autoritaires qui ne se sont pas transformées aussi promptement.

Par exemple, quand Augusto Pinochet a renoncé au pouvoir au Chili, le processus négocié était progressif, indique Sergio Bitar, qui a fait partie du gouvernement qui a succédé au régime militaire tristement célèbre.

En Tunisie et en Egypte, j’ai noté que le défi à relever était autrement plus important, car les évènements se sont déroulés très soudainement” , affirme Bitar, qui est devenu le Vice-Président du Chili en 1990.

Mais d’un autre côté, le mouvement vers la démocratie a pris son essor“, ajoute-il, remarquant que l’engagement et la vigilance des citoyens seront vitaux pour surmonter les défis auxquels font face les Tunisiens.

Bien que le Plébiscite de 1988 au Chili ait débuté alors que Pinochet était encore au pouvoir, ajoute-t-il, il a néanmoins remporté un franc succès grâce a la mobilisation massive des citoyens chiliens et des observateurs internationaux.

Je pense que c’est là le point le plus crucial si l’on veut être absolument sûrs de s’engager vers une élection libre” , assure Bitar, qui a suivi de près les récents évènements survenus en Tunisie et en Egypte.

Keyssar reconnait que peu de transitions démocratiques se sont déroulées sur une période aussi courte qu’en Tunisie.

Il observe que de ce point de vue, la situation est comparable aux élections portugaises d’avril 1975. Le Portugal a réussi à mener à bien des élections dans les mois qui ont suivi le coup d’État militaire, avec à la clef l’établissement d’une démocratie stable.

Cependant, le fait que l’armée portugaise ait été en position d’assurer une transition stable constitue une différence capitale.

Selon le professeur de Harvard, “La difficulté de la situation [ Tunisienne ] réside en partie dans la question de l’identité du parti qui légitimera le pouvoir jusqu’à ce que de nouvelles institutions soient crées.

“Il est plus aisé de prendre son temps si les institutions sont perçues comme ayant un pouvoir légitime.”

Dnas ce contexte chaotique, certains citoyens tunisiens résidents à l’étranger ont déclaré à Al Jazeera qu’ils estimaient que le gouvernement provisoire avait fait peu d’effort en vue de s’assurer que les les expatriés allaient être en mesure de participer à ces élections historiques.

Ali Gargouri, un citoyen tunisien résidant en France qui envisage de se présenter comme candidat indépendant aux élections à venir, a déclaré à Al Jazeera que les autorités n’avaient pas fait beaucoup d’efforts pour que les Tunisiens comprennent comment s’inscrire sur les listes électorales. Il a officiellement demandé aux autorités d’informer ses compatriotes en diffusant des messages sur les stations de radio écoutées par les Nord-Africains résidant en France, et de rendre le processus électoral plus transparent et mieux coordonné.

Les bénévoles prennent des mesures

Houda Zekri était l’un des membres d’un groupe de bénévoles né d’un triste constat – le manque d’enthousiasme du personnel du consulat de Pantin en charge des inscriptions sur les listes électorales-, et qui a décidé de prendre les choses en mains.

« Nous leur avons dit que nous n’étions pas satisfaits », déclare Zekri. « Ils ne font rien, ils ne se s’impliquent pas. Ils ne comprennent pas pourquoi nous sommes ici, ils nous prennent pour des comédiens »

Selon Zekri, les sessions d’inscription se sont déroulées de manière chaotique, et seulement 500 personnes se sont inscrites sur les listes entre le 11 et le 18 juillet.

Zekri est l’un des membres fondateurs d’un organisme indépendant appelé Collectif des citoyens pour des élections libres en Tunisie, qui est intervenu pour s’assurer que les fonctionnaires respectent les règles.

« Nous ne sommes pas des partisans de l’ancien régime », explique-t-elle.

Jusqu’à ce que les bénévoles prennent d’assaut le consulat une semaine après le début des inscriptions, il n’y avait pas de panneaux informatifs, pas de personnel en charge des inscriptions, et les coordonnées des électeurs potentiels étaient prises sur des bouts de papier, et de manière incomplète.

Depuis que les bénévoles sont arrivés, les heures d’ouverture ont été prolongées (9h00 -18 h00, sept jours par semaine) pour que les futurs électeurs aient le temps de venir s’inscrire.

Zekri a affirmé qu’un employé du consulat a demandé aux bénévoles d’ajouter à leur liste d’électeurs des noms de personnes inconnues qui ne s’étaient pas présentées au consulat jusqu’à présent.

Les bénévoles ont refusés, et lui ont rétorqué que ces pratiques faisaient partie d’une époque révolue.

Elle craint tout de même que la liste ne soit modifiée une fois qu’elle aura été remise aux autorités consulaires par les bénévoles.

“J’ai vraiment peur que les listes ne soient trafiquées”.

Ils ne vont pas devenir démocrates et gentils du jour au lendemain“, dit-elle. “Nous devons nous battre, et la bataille sera difficile. Pour changer les choses, il faut jouer un rôle actif“.

Selon Keyssar, des observateurs civils neutres tels que le Collectif des citoyens peuvent collaborer avec la bureaucratie Tunisienne actuelle, en vue de rétablir la confiance des électeurs, et de s’assurer que les élections se dérouleront parfaitement bien, même en ayant peu de moyens.

Karim Bensaida, venu s’incrire pour la première fois de sa vie au consulat de Pantins, affirme que les Tunisiens doivent prendre le temps d’apprendre ce qu’est vraiment une démocratie.

“Je pense que les Tunisiens ont toujours eu un sens du devoir civique” affirme-t-il.

“Même si le suffrage libre n’a jamais existé, ajoute-t-il, c’est aux citoyens tunisiens de s’engager dans le processus démocratique et d’apprendre à se faire confiance les uns les autres.”

Selon Bensaida, “On ne peut pas mettre tous les fonctionaires tunisiens dans le même sac. C’est le système qu’il faut combattre et non les individus“.

“Après tout, nous devons apprendre à nous faire confiance les uns les autres.”

Article Original publié sur AL Jazeera English : Challenges to Tunisia’s fast-track democracy

Traduit de l’anglais sur PiratePad