Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Personne ne peut nier que depuis le 14 janvier – certes le parrain a quitté le pays, mais la mafia est toujours présente et semble toujours maitriser, ou du moins influencer, le pouvoir – le système est toujours en place. Et il est tout à fait naïf de penser que ce système va gentiment accepter la joute démocratique et risquer alors la perte du pouvoir; cette perte pouvant (et certainement) engendrer des conséquences non négligeables à certains de ses membres : prison, redressements fiscaux, pertes économiques, etc.

Maintenant, quelle fût la stratégie employée par le système depuis le 14 Janvier pour s’assurer du maintien du pouvoir. Face à l’énorme union populaire qui s’est concrétisée entre le 17 décembre et le 14 janvier, et qui a réapparu promptement à la fin de Kasbah 2, la stratégie était assez simple et a suivi les étapes suivantes :

  1. Division pour régner.
  2. Diversion pour œuvrer en toute tranquillité.
  3. Manipulation en utilisant la peur des islamiques et de l’insécurité.

Dit autrement, le système réitère la stratégie de 1989 qui consistait, au final, à proposer au peuple deux choix : soit les islamistes et le danger potentiel qu’ils représenteraient, soit les destouriens, c’est-à-dire eux, qui agiraient alors comme un rempart face aux islamistes. Depuis quelques temps, on peut dire qu’on a réussi à nous proposer de nouveau, et comme seule alternative, cette bipolarité. Cependant, de mon point de vue, il existe une troisième alternative, une troisième voie; je la juge possible et souhaitable.

1- Une troisième voie existe

Cette troisième voie comprendrait tous les tunisiens qui sont à la fois opposés à l’ancien système et sa mafia, qui sont donc pour un changement réel, et qui n’ont pas forcément une affinité/une sympathie pour les partis religieux et, à leur tête, le parti El Nahdha.

Cette troisième voie s’est manifestée depuis le 17 décembre. C’est elle qui a œuvré à la chute du parrain: elle fût donc clairement contre la mafia et le système qui l’a engendré; et elle n’avait rien à voir avec le principal parti religieux du pays. Donc, une double gifle qui est venue de nulle part et qui a effectivement marquée les esprits. Cette troisième voie rassemblait une bonne partie de la population du pays; par conséquent, en terme électoral, elle constituait et constituerait facilement une majorité absolue.

Cependant depuis le 14 janvier, grâce à la stratégie de la division et de la peur, mentionnées précédemment, cette troisième voie a volé en éclat (au profit des deux autres voies) :

  • on a vu des personnes (étudiants universitaires, etc.) dirent que si le système continuait à œuvrer avec ses anciennes pratiques, ils seraient prêts à voter El Nahdha;
  • on a vu des personnes, beaucoup de personnes, qui de peur que ce parti religieux prenne le pouvoir, ont exprimé le fait qu’ils seraient prêts à revenir en arrière, quitte à supporter de nouveau la mafia car, pour elles, ce qui est sûr est que cette mafia sait, quand elle le veut, et à l’instar de toutes les mafias de ce monde, gérer la sécurité.

Aussi, elle a volé en éclat car, contrairement aux deux autres blocs, avec respectivement à leur tête K. Morjan et R. Ghannouchi, cette troisième voie n’avait pas de guide clairement identifié: ni de parti, ni de personnage charismatique clairement identifiés.

2- Une troisième voie est possible

Cette troisième voie a donc existé sans prendre conscience de sa propre existence, à l’exception de ces quelques moments magiques que je n’ai malheureusement pu vivre en live avec mes amis et mes concitoyens, mais que j’ai ressenti du plus profond de mon cœur malgré les milliers de km qui me séparent de ma patrie; ces quelques moments magiques où les personnes composant cette troisième voie se sont avant tout senties comme des tunisiens, fiers de l’être, sans distinction des pratiques religieuses de chacun. Le seul point qui reliait ce beau monde est le fait qu’elles aspiraient à un nouvel horizon pour le pays, un horizon qui n’offrait cependant et naturellement pas de place pour les mafieux de toutes sortes.

Cette voie est possible si on coupe l’herbe sous les pieds de la mafia en résistant fortement à leurs doubles stratégies de la division et de la peur, et en focalisant au maximum l’attention sur leurs actions (pour contrer leur diversion). Il est donc nécessaire de créer un pôle qui réunit les gens du centre, les démocrates, bref, les personnes de cette troisième voie; ce pôle devrait comprendre tous les partis qui ont clairement montré qu’ils refusaient toute alliance avec la mafia et qui, à travers leur programme, se distingue clairement des partis religieux.

Aussi, cette voie n’est possible et ne peut aboutir (être gagnante) que si elle se mobilise en bloc et en masse face au système; comme on l’a vu, ce dernier a beaucoup de faciliter à contrôler une centaine de personnes qui tentent de se mobiliser («Kasbah 3»).

Cependant, face à des mobilisations de masse, à la grandeur du pays, comme celles du 14 janvier et de la fin de Kasbah 2, et à la forte pression qu’elles engendreraient, le système mafieux ne pourra tenir. En d’autres mots: l’union fera la force.

3- Une troisième voie souhaitable

On entend ici et là que la France appuie en douce le système en place depuis plus de 60 ans (je ne m’attarderai pas sur les raisons justifiant cet appui; ça prendrait un article pour ça) et que les saoudiens et américains appuient en douce le parti El Nahdha (même remarque). La troisième voie se situerait donc à un autre niveau, à un niveau plus national, plus authentique, proche du peuple, et surtout bien éloigné des lobbies étrangers. Cette troisième voie constituerait la voie qui mènerait vers une vraie démocratie, vers une 2ème indépendance, et qui assurerait à tous, religieux ou non religieux, jeune ou vieux, homme ou femme, etc., liberté et justice.

De plus, dans une optique où les prochaines élections seront réellement démocratiques (il faudra auparavant régler le problème engendré par ces dizaines de partis issus de membres influents de l’ex-RCD, et qui fausse complètement la donne démocratique), ce pôle aspira à jouer le premier rôle dans la constituante. Dans le cas contraire, c.-à-d. un horizon moins clair concernant les élections à venir (il semble que ça correspond à ce qu’on vit actuellement dans le pays), la masse populaire représentée par ce pôle pourra inciter les changements par une mobilisation pacifique, et seulement pacifique, à l’instar des Kasbah 1 et 2.

Conclusion : au sujet du pôle concrétisant cette troisième voie

Parmi les partis/individus qui se distinguent «clairement» de l’ancien système et dont le programme se distingue clairement du principal parti religieux du pays, on retrouve principalement deux groupes :

  1. le Pôle Démocratique Moderniste (PDM) qui regroupe plusieurs partis dont (malheureusement) certains ne semblent pas s’être clairement distancés de l’ancien système;
  2. un regroupement de partis (FDTL, CPR, POCT, etc.), non unis sous une même bannière, qui se veulent clairement distants de l’ancien système et dont le programme n’a rien à voir avec l’idéologie d’El Nahdha.

Il est nécessaire que ces deux groupes s’entendent pour former un seul et unique pôle, fort et majoritaire, qui pourrait prendre le pouvoir (un représentant unique du pôle pourrait être élu parmi tous les membres des différents partis le composant) et entamer les changements recherchés depuis le 14; les membres (la masse) de ces partis doivent inciter leurs dirigeants à aller dans cette voie (ces derniers n’auront pas le choix si, encore une fois (l’union fait la force), les membres sont unis dans cette volonté de cohésion avec d’autres partis). Ce pôle viendrait concrétiser cette troisième voie. Pour arriver à cette fin, il est nécessaire que chaque parti fasse des concessions, dans ses plans et ses alliances passées, indique clairement son intention pour un réel changement et arrête d’espérer atteindre tout seul le pouvoir; de plus, pour certains, un nettoyage interne est nécessaire …

À défaut de quoi, je pense qu’effectivement ou éventuellement, certains du deuxième groupe de partis pourraient s’allier avec le parti El Nahdha, non pas parce qu’ils partageraient les mêmes principes et la même idéologie, mais tout simplement pour espérer mettre fin aux actions de la mafia. Ils miseraient alors sur le fait que le parti El Nahdha accepterait davantage le jeu démocratique, ouvert à tous, que les partis entourant la mafia. C’est un pari risqué mais c’est un risque qui va s’imposer à nous si on ne prend l’initiative de créer ce pôle représentatif de cette troisième voie. Autrement dit, on a le choix entre nous laisser manipuler par la mafia tout en prenant le risque que ce deuxième groupe de partis, dont certains sont assez populaires, soit amené, malgré lui et dans l’unique but de s’opposer ultimement au système, à s’allier avec le parti El Nahdha; ou d’ignorer les manigances de la mafia et d’appeler ces deux groupes de partis à former un pôle afin de concrétiser cette troisième voie.