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Caricature par Needall Garryani (ERevolution)


Nous le savons tous : l’ancien chef d’Etat tunisien est un criminel ! Pourquoi, alors, intenter un procès contre lui ?! Pour formaliser cette certitude, le condamner à une quelconque peine et avoir un jugement susceptible d’être exécuté, dans l’objectif de nous venger contre lui ?! Nous ne l’aurons jamais, il ne se rendra point, il ne foulera plus le sol de la Tunisie, j’en ai une conviction profonde ! L’histoire nous enseigne que les dictateurs qui avaient fuit leurs pays, n’y sont pas revenus ! Et pourtant, ce procès, tant attendu, s’avère utile, s’il obéit à certaines conditions…

Le 20 juin 2011, le coup d’envoi du procès du président déçhu, est donné. Il est traduit en justice pour détournement de fonds publics, vol et transfert illicites de devises étrangères, détention de stupéfiants à usage de consommation, trafic de stupéfiants, détention d’armes et de munitions et non déclaration de possession de pièces archéologiques. A la fin de la journée, le Tribunal rend son jugement se rapportant à la première affaire et condamnant l’inculpé par défaut, à une peine d’emprisonnement de trente cinq ans et à une amande s’élevant à quelques millions de dinars et ce, en attendant l’examen des autres affaires dont certaines relèvent de la compétence des tribunaux militaires

Cette première audience était marquée par des débats de type procédural : les avocats de la défense pouvaient-ils plaider en faveur de « la cause » de leur mondant alors même que ce dernier n’avait pas comparu devant le tribunal ? Ces mêmes avocats invoquèrent la nullité de la procédure de poursuite pour vice de forme tenant au non-respect du délai de citation… Et avant l’ouverture du procès, l’Ordre National des Avocats n’avaient pas permis à deux avocats étrangers de représenté le président déchu parce qu’ils n’étaient pas de nationalité tunisienne. On peut formuler la première observation suivante, la raison juridique tunisienne est fortement imprégnée par la volonté de respecter les formes et les procédurières au point que cela devient une obsession. Nous pouvons appelés cet attachement excessif aux procédures, «procédurisme». Or, si nous voulons aller jusqu’au bout dans le respect des formes et des procédures, nous pouvons affirmer que le procès intenté contre l’ancien chef d’Etat, est contraire à la légalité puisque l’article 41 de la Constitution dont l’application est suspendue, dispose que le chef de l’Etat bénéficie d’une immunité judicaire même après la fin de l’exercice des ses fonctions. Cette disposition peut faire l’objet d’une interprétation de telle sorte qu’elle ne constitue pas un obstacle à la poursuite du président déchu, mais sa lettre est tout de même claire. Et il ne suffit pas de suspendre l’application de la constitution pour abroger d’une manière rétroactive ladite disposition. Car le principe de la légalité des délits et des peines, prévu par l’article 1er du Code pénal, toujours en vigueur, devrait l’emporter puisque les faits reprochés au président déchu, ont été commis sous l’empire de la constitution dont l’application est suspendue. Voilà à quoi pourrait nous conduire le procédurisme !

Les principes et les règles de la procédure notamment, pénale, sont prévues pour assurer l’organisation et le fonctionnement de la justice et, surtout, pour sauvegarder et protéger les droits des différentes parties au procès : la victime constituée en partie civile,la société, linculpé avec les droits de défense dont il jouit … Il s’agit de protéger chaque partie contre les abus des autres parties. Cependant, lorsque le respect de la procédure devient excessif, scrupuleux, lorsque la procédure devient un dogme sacré, cette procédure risque d’entraver la bonne organisation et le bon fonctionnement de la justice. Le procédurisme transforme la justice en un ensemble de formes et de procédures ; elle perd sa mission d’instance chargée de dire le droit. Le procédurisme risque de tuer le Droit.

Par ailleurs, c’est cet logique procéduriste qui a entrainé le morcellement du crime commis par l’ancien chef d’Etat. Ainsi, le crime est devenu des crimes. D’ailleurs, les chefs d’accusation retenus contre le président déchu sont ceux qui peuvent être retenus contre n’importe quel chef de bande de quartier, contre n’importe quel kaïd : trafic de stupéfiant de devises étrangères et de pièces archéologiques, détention d’armes, homicide … pourquoi traduire l’ancien président en justice pour répondre de ces délits de droit commun ?Ne faut- il pas envisager la question autrement ?

Il conviendrait, à mon sens, d’appréhender les crimes commis par le président déchu, dans leur unité , en ce sens qu’il faudrait rechercher le lien qui les unit ; ce lien consiste dans la dictature. Si l’ancien chef d’Etat était trafiquant de stupéfiant et de pièces archéologiques, s’il avait détenu des armes, s’il était l’auteur d’homicide volontaire, c’est parce qu’il était un dictateur ! Mais, ce ne sont là que des aspects extérieurs et simples de la dictature. Celle-ci, on le sait, repose sur le culte de la personnalité du chef entouré et souvent, protéger par un clan, sur des services de renseignements préventifs et des appareils de sécurité oppressifs, sur un appareil judicaire répressif … La dictature repose, également, sur la diffusion du sentiment de la peur et de la terreur … Elle finit par imposer l’ordre et le silence, étouffer la politique, le débat, la créativité, le plaisir,la parole libre ; elle finit par asservir la population ! C’est cette dictature qui rend possible la torture et l’homicide des opposants et créatifs … c’est ce crime de dictature qu’il faudra juger. Il ne conviendra pas de juger le trafiquant de stupéfiant et de pièces archéologique,ni l’instigateur d’homicide, mais il faudra juger le dictateur qui a réduit les Tunisiens à la sujétion … c’est cela l’objectif qui devrait présider à un procès historique d’une telle envergure ,en vue de décomposer cette dictature et d’ établir la verité !

Toutefois, on peut objecter à ce raisonnement le défaut de ce texte en droit positif tunisien, qui incrimine la dictature. Cela est vrai. Mais, le génie juridique tunisien peut inventer un fondement pour incriminer cette dictature. Ce fondement pourrait consister, par exemple, dans le Droit naturel. Les philosophes et les jus naturalistes ont, toujours, condamné le despotisme ; ils l’ont ,toujours,dénoncé comme étant une dérive et comme étant un régime politique détestable … Et cette hostilité au despotisme a, toujours, marqué la conscience humaine universelle. Et, on le sait, les crimes commis en infraction du Droit naturel, sont imprescriptibles. Par conséquent, le chef d’Etat par intérim peut adopter, sur proposition de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, un décret-loi à cet effet. Ce texte a, en toute légalité, un effet rétroactif. Il peut prévoir les éléments constitutifs du crime de dictature ainsi que les sanctions dues à l’exclusion de la peine de mort et des peines dégradantes pour la personne humaine. Ce texte peut prévoir, également, la constitution d’une juridiction spéciale ad hoc compétente pour connaitre de ce procès. Cette juridiction collégiale sera composée de vingt et un magistrats dont des magistrats de l’ordre judicaire, des magistrats administratifs, des magistrats militaires, tous élus par leurs collègue, des universitaires, des avocats, des notaires, des journalistes et représentants de la société civile, tous élus. Ce tribunal procédera lui-même à l’instruction des différentes affaires dans la transparence et l’indiscrétion c’est-à-dire qu’il abandonnera le caractère secret de l’instruction dont l’existence n’est pas, d’ailleurs, établie. Le texte en question peut, aussi, permettre à des avocats étrangers d’assurer la défense de l’ancien chef d’Etat. Ce qui compte, à mon avis,est de parvenir à découvrir et à établir la vérité de la dictataure au niveau de ses structures, de son fonctionnement et ce, dans le dessein de la déstructurer et de la déconstruire, en vue de reconstruire la personnalité tunisienne et de pouvoir construire, par conséquent, un avenir viable dans un pays où régnent la paix et la liberté.

Cette vérité sera consignée dans un document officiel qui est le jugement qui aura été rendu par le Tribunal spécial, chose qui permettra de sauvegarder la mémoire nationale tunisienne. Et c’est là, toute la vertu pédagogique, instructive et édifiante de ce procès dont les audiences publiques devront êtes retransmises en directe, sur les chaines de télévision nationale et ce, à fin de permettre aux Tunisiens de découvrir les rouages de la dictature. C’est là, à mon sens, que réside l’intérêt de ce procès. En revanche, un procès tel que celui qui a eu lieu le 20 juin 2011, ne présente aucun intérêt.