J’ai toujours été neutre vis-à-vis du personnage controversé de Rached Ghanouchi. Depuis son retour en Tunisie j’ai vu certains de mes amis exprimer leur haine envers cet homme qu’ils traitent d’hypocrite, d’opportuniste, et qui vont même jusqu’à le diaboliser. Moi je ne me mêlais presque jamais de ce genre de parti pris, après tout je ne connaissais pas cet homme et donc je ne me reconnaissais pas le droit de le juger que ce soit dans un sens ou dans un autre. Mais hier j’ai vu l’émission de “Al saraha raha” sur Hannibal TV avec le journaliste charismatique et chevronné Samir El Wéfi (expiré) et l’invité c’était Mr Rached Ghanouchi, ennemi n°1 des enfants de 7 à 77 ans résidant dans la belle cité de la majorité silencieuse. La vidéo dure deux heures, c’était dimanche je n’avais rien à faire, allez on va voir ça juste par curiosité.

Dès les premières minutes de l’émission je me suis demandé sérieusement si je pouvais souffrir cet animateur qui a déjà commencé à s’auto féliciter du succès de son émission, de sa chaine, dans un arabe d’une pauvreté affligeante (rien de surprenant pour l’élève fidèle de son Godfather de Arbi Kassra). Mais voilà qu’il accueille enfin Mr R.Ghanouchi sous les rythmes de la bande originale du film Godzilla. Godzilla étant un monstre je me demande si ce n’était pas juste une blague de mauvais goût. Et nous voilà partis pour deux heures où l’animateur loin de l’objectif annoncé au début, celui d’explorer le coté humain de son invité, l’a bombardé de toutes les questions qui fâchent, tous les dossiers épineux concernant son parti Ennahdha, ses relations avec Bourguiba puis Ben Ali, en passant par Saif el Islam Gaddéfi… avec au surplus une bonne dose d’amateurisme (plus d’une fois il était incapable de citer ses sources) et de “bléda” (un concept purement tunisien, la traduction n’existe pas :). Alors devant ce petit minet qui avait l’habitude d’interviewer les chanteurs à deux balle et les joueurs de football, et qui s’est retrouvé soudain face à un homme de la pointure de R.Ghannouchi parce qu’un jeune s’est immolé à Sidi Bou Zid en décembre dernier et que le président a été assez con pour ne pas y prêter attention, face à ce réel examen de patience et d’abnégation, Mr Rached Ghanouchi a été tout simplement .. impeccable dans sa prestation, exemplaire dans sa perfection et avec l’œil critique et pointu que j’ai, je n’ai pas pu dénicher la moindre faille, la moindre hésitation, le moindre faux clignement de l’oeil trahissant un mensonge, un secret qu’il aurait essayé de nous cacher.

Bien évidemment comme me l’a dit un ami, c’est facile de briller face à un journaliste inculte qui est plus accoutumé à Fatma Bou Seha qu’à des hommes politiques et intellectuels de grande envergure, n’empêche que les réponses de Mr. R.Ghanouchi étaient si claires, si bien réfléchies, si convaincantes que je me demande si le fait de changer l’animateur aurait changé quelque chose! Alors les moments phares de cet entretien, je tiens à m’y arrêter pour que ce ne soit pas juste de la parlote et pour ceux qui n’ont pas pu/voulu suivre l’émission :

Samir El Wéfi : tous les politiciens nous promettent monts et merveilles, vous en l’occurrence, comment vérifier alors la véracité de vos paroles ? Comment savoir si vous allez tenir vos promesses ?

Rached Ghannouchi : la seule façon de vérifier cela est de donner la chance à tel ou tel parti d’agir, tout en ayant le pouvoir de le licencier à travers les urnes au cas où il échouerait à l’examen et qu’il faillerait à ses promesses.

Samir El Wéfi : est-ce que t’es pour la munu jupe ? (pardonnez-lui il est incapable de prononcer le i) (question existentielle de première urgence, plus urgente encore que le chômage et l’inflation qui sévissent dans le pays)

Rached Ghannouchi : je suis pour la liberté, on n’oblige personne à s’habiller décemment, ça doit émaner d’eux, sinon c’est de l’hypocrisie, ça ne sert à rien. On peut essayer de sensibiliser, de conseiller, mais pas plus. (sa réponse était infiniment plus riche mais j’en fais un résumé)

Samir El Wéfi : ta fille Soumaya est une star sur le net, elle écrit des articles Je PENSE en anglais mais elle ne parle pas de la Tunisie, c’est comme si elle n’est pas vraiment tunisienne.

Rached Ghannouchi : si tu as lu ses articles sur The Guardian, tu aurais su qu’elle parle de la Tunisie et qu’elle est bien tunisienne.

Moi : excuse-le, c’est à peine qu’il arrive à articuler un mot en français tu veux qu’il lise encore des articles en anglais ? sans blague !

Samir El Wéfi : concernant les événements de Bab Swika..

Rached Ghannouchi : il faut mettre les choses dans leur cadre historique, les évènements de Bab Samir El Wéfiika ont eu lieu à une période où le régime en place persécutait, emprisonnait et tuait les membres du parti Ennahdha (110 tués pourquoi personne n’en parle ?) ces actes terroristes et meurtriers étaient une réponse isolée et incontrôlée à ces crimes commis par le vrai bourreau, c’était bien évidement un acte individuel, tous les chefs d’Ennahdha étaient en prison lors de ces émeutes et nous avons publié une note pour condamner ce qui s’est passé. Par ailleurs on n’a pas mis plus qu’une semaine pour condamner les inculpés, la façon dont ils ont été jugés est loin d’être équitable.

Ceci m’a rappelé une idée fondamentale que j’ai croisée dans “Crime et châtiment” : tue un homme t’es un criminel, tue 1000 hommes t’es un héros! Cinq membres présumés d’Ennahdha ont tué quelques innocents par réaction à l’oppression dans un contexte historique et politique bien déterminé et là on n’a pas mis plus d’une semaine pour les juger et tout le monde les condamne( moi aussi) et Bourguiba en a tué des centaines de tunisiens, de ceux-mêmes qui se sont battus tout comme lui pour libérer le pays( physiquement) et pourtant il est présenté comme le sauveur et l’ultime militant pour la liberté de la Tunise, un vrai dieu pour certains, avec des statues et un temple à Monastir ! Et justement à ce propos ..

Samir El Wéfi : Bourguiba a quand même fait beaucoup de bonnes choses (9arrana w 3allamna), il nous a éduqué, il manquait plus que “wakalna w charrabna fal 7amdou lah”. Tu sembles plutôt le critiquer pour des raisons d’ordre personnel.

Rached Ghannouchi (avec un sourire) : mais il a voulu ma peau ! il m’a condamné à mort ! Et puis il était un vrai dictateur, et si les Youssoufistes ou les Abd Laziz ethalbi ont pris le pouvoir est-ce qu’ils n’auraient pas construit des écoles, des facultés et des hôpitaux? Et surtout la liberté n’a pas de prix, rien ne peut nous faire oublier notre droit à la vie, on ne vend pas la liberté pour l’éducation et la santé, c’est plus sacré que la nourriture même !

Dites-moi si ce n’est pas sensé ce qu’il dit !!! Mais les tunisiens sont curieux, leur problème c’est pas vraiment la dictature, pourvu que leur dictateur soit cultivé, ils sont prêts à l’accepter voire l’aduler, voilà pourquoi ils adorent(comme un dieu :) Bourguiba et méprisent Ben Ali. Schizophrénie !

Samir El Wéfi : Tu es ami avec Saif el Islem, et tu as fait l’éloge du rôle de son père dans le soutien de la révolution tunisienne.

Rached Ghannouchi : J’ai rencontré Saif el islem quelquefois à Londres, ensuite je l’ai contacté pour lui dire que la position de son père m’a déplu quand il a condamné la révolution tunisienne et qu’il a dit clairement que le peuple tunisien n’aurait pas dû expédier son dictateur. J’ai eu peur pour la Tunisie, étant à proximité de la Lybie, ce pays armé jusqu’aux dents (on l’a vu), j’ai agi pour protéger mon pays en rappelant à Gadéfi qu’il se présente comme le leader de la révolution lybienne du 1er septembre 1969 et qu’il devrait donc plutôt soutenir celle du peuple tunisien. Autrement dit, le message qui a fait tant de bruit était une vraie leçon de diplomatie orchestrée par un homme très intelligent j’ai nommé R.Ghannouchi et dirigée pour le bien de la Tunisie, voilà.

Bon excusez ma paresse, j’ai déjà fait beaucoup d’efforts sur moi-même pour gribouiller cette note, je vais zapper beaucoup d’autres points clés de l’émission, franchement ce genre d’entretien ça ne se raconte pas, que ceux qui veulent vraiment découvrir cet homme ou le redécouvrir prennent la peine de visionner la vidéo. Vous avez beau le détester, vous en apprendrez des choses: modestie, patience, intelligence et sagesse notamment quand vers la fin, le petit minet de journaliste inculte a essayé désespérément de lui soutirer des déclarations peu flatteuses sur Mohamed Talbi et Abd el Fatteh Mourou, l’animateur désemparé a assisté à une vraie leçon de morale, de respect et de diplomatie. R.Ghanouchi a été extrêmement patient et collaborateur même lors des questions d’une bassesse inouie et d’ordre très personnel. Voilà un homme qui a dit que son plus grand amour c’est sa mère, ensuite sa femme et ses filles(docteur, doctorant, avocate et j’en passe), pas à l’image de Moncef Swissi qui face à ce même animateur est venu annoncer fièrement qu’il trompe sa femme Khdija Swissi à plusieurs reprises et qu’elle est au courant :)

Alors au final, merci Samir El wéfi, par ta bêtise, tu as rendu un énorme service à R.Ghanouchi : tu croyais l’attaquer, le déstabiliser mais tu lui as fourni l’occasion de montrer à quel point il est respectable, intelligent, authentique et sûr de lui. Tout cela avec le calme et le sourire. La musique sublime du film Gladiateur qu’on a écouté tout au long de l’émission était bien méritée.

Rached Ganouchi je te découvre et je dois dire que la Désenchantée a été vraiment enchantée de faire ta connaissance ! Pas étonnant après ça qu’un homme aussi intègre que Moncef Marzouki, surnommé l’Erdogan de la Tunisie, entretienne avec toi de bonnes relations basées sur le respect mutuel.

PS : les propos cités dans cet article représentent ce qui m’est resté en tête, je n’ai pas revisionné la vidéo, et donc je m’excuse pour les erreurs éventuelles aussi petites seraient-elles.