Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Les faits

C’est un fait ! Réfléchir seul à une situation, faire son diagnostic et se fixer ses propres jalons, tout le monde en est champion. Maintenant, permutons l’approche personnelle par une approche collective. Et là, ça devient beaucoup plus compliqué !

En vérité, c’est un peu naturel. L’individu dégage à lui seul une bonne dose de passionnel pour donner de l’ardeur à ses idées, motivation à ses opinions et de la force à ses conclusions, souvent sans se soucier d’ébrécher le libre arbitre de son entourage.

En revanche, le chapitre du collectif se classe dans la catégorie des sciences de gestion. Réussir à s’écouter et à se concerter sur des pistes de réflexions ou fixer ensemble un projet et des priorités pour apporter des solutions, se fait généralement sans passion. Il demande une mixture de règles, de techniques, de connaissances et aussi beaucoup de patiente.

Là, il faut bien le constater : la mixture made in Tunisia de la gestion collective, est d’une efficacité mitigée. Nous avons pourtant des sommités dans toutes les sciences, … en musicologie, en biologie, en ingénierie, en médecine, … et même en astrologie avec des tunisiens qui travaillent à la NASA. Mais, le résultat du vivre ensemble est bien en deçà des nations les plus évoluées.

L’air du temps

Bien que l’individuel soit une réalité à l’air du temps et déclasse le collectif pour plusieurs raisons, le collectif est une nécessité … une nécessité au vivre tout simplement.

Dans une République et quelques soient la richesse d’une personne et son niveau d’apogée de réussite, ou la pauvreté d’une autre et son degré de précarité sociale, le riche et le pauvre seront appelés un jour à partager les services des mêmes hôpitaux, des mêmes antennes télécoms ou des mêmes infrastructures routières.

Or, il faut bien le constater, la mutualisation de nombreuses ressources d’usage publique, utilisées par tout un chacun, méritent un meilleur sentiment. Pour comprendre un peu plus la situation, il faut s’arrêter une seconde et observer : plages, routes, hôpitaux, jardins, gradins de stade ou embouteillages, ne sont ni jolis à voir ni à écouter.

Petites histoires au quotidien

Sans être péjoratif, ni en faire un repère, voici quelques situations :

Il est 7h30 et les réverbères de la rue sont encore allumés ! C’est le Rizk el bilik ! (c’est le bien public). L’embouteillage de folie est accompagné par une profusion d’apostrophes. Samahni ! (excuse moi), Missalech ! (c’est pas grave), Ti chbik ! (de quoi je me mêle ) .. et de .. Inaan x,y,z (série d’injures lancé comme pour se réconforter) qui tombent aux oreilles des grands et des petits.

L’organisation citadine, faite de feux de signalisation, de passage à piétons et de stationnement interdit semble sans autorité. Pire, elle est indignée par des poubelles remplies, par des sacs en plastic déchirés et par une mosaïque de gobelets, de bouteilles et de mouchoirs en papier.
A la file de voitures, s’ajoutent une double et une triple file par la quelle des motos et des voitures dévissent à toute vitesse causant des salves de klaxons et les apostrophes de soulagement.

J’ai oublié de dire que nous sommes au mois d’Août. C’est la séance unique et l’invasion de moustiques. Une chaleur de jour comme de nuit et un rythme infernal, où les veillées sont amplifiées et les budgets sont explosés. Arrivés au bureau, il est neuf heure dix et le travail à rendre n’est pas encore imprimé. Le patron arrive, sans dire bonjour en rappelant bruyamment le deadline de remise des documents. Avec des yeux globuleux et cernés, les retardataires placent convenablement leur argument joker : Allah Ghaleb ! (c’est malgré moi). Tout le monde se tait, on reprend le travail lentement, comme si de rien n’était. Les plus rigoureux comprennent qu’à force de se nouer les viscères et de se mesurer au fameux joker, c’est la programmation assurée des tensions névrosées.

Constats

Chaparder un rang dans la file d’attente est vécu au quotidien et j’en suis moi même adepte à force de me faire gruger ma place dans bon nombre de situation. Mais la question du vivre ensemble est beaucoup plus complexe et mérite réflexion pour ce qui est de laisser comme organisation de relais à nos petits !

Beaucoup s’agitent à ce sujet en invoquant la Raison, l’Education et les Parents ! Ils brandissent le spectre de l’Autorité suprême, celui de l’Interdiction, celui de l’Obligation, et bientôt celui de la Force à ceux qui marche différemment ! Un constat navrant et désolant !

Entre voisins, entre collègues, au marché, au cinéma, chez le boulanger, et dans nos plus simples gestes de vie, ces situations, bien que dénoncées par tout un chacun reviennent comme une inlassable chanson, sans que nous puissions collectivement, y trouver une solution.

Le refrein de la conclusion est aussi le même : Mentalité, Mentalité, Mentalité !! Et à ce refrein, chacun change de sujet pour parler du lendemain.

Alors que faire ? Que faire devant l’invasion des sacs en plastique, devant les gros mots dans les stades et dans la rue, devant l’agressivité des enfants dans les écoles, devant le non respect des sens interdits et des feux rouges de jour comme de nuit ? Sans parler du regard porté sur les personnes âgées et sur les handicapés. Mais au fait, les médias en parlaient beaucoup avant le 14 janvier. Pourquoi ce silence si bruyant sur ce sujet ?

Au lendemain des élections pour la constituante, aurais-je des réponses ? Aussi démocratique soit elle, et aussi importante soit elle, la constituante ne résoudra pas le problème des rues sales, des retards au bureau, ou encore de la communication violente entre deux personnes d’avis différents.

Mon avis est qu’à trop attendre le messie, je crains que l’élan de la Révolution ne se métamorphose en souffle d’agonie, tel un corps gisant qui a déjà donné son dernier coup de rein dans sa quête de vie. Attendre l’ordre d’avancement est le propre de la contre Révolution !

Quelles sont les solutions ?

Toujours est il que donner seul la solution, on est tous champions ! Cependant essayons de découvrir dans la fameuse mixture des pays avancées, les ingrédients magiques qui leurs permettent d’être à l’apogée de l’organisation pour faire la queue chez le boulanger ou pour monter dans le bus, dans l’ordre d’arrivée !

Pour avoir moi même vécu pendant un bon nombre d’années à l’étranger, je tiens à témoigner d’une expérience sur le réfléchir et le vivre ensemble.
J’habitais pendant une période dans un foyer international. A peine quelques semaines de mon arrivée au mois de septembre, j’avais trouvé une feuille collée sur un écriteau d’informations au bas des escaliers. Elles indiquaient le lieu, la date et l’heure des élections du délégué des résidents du foyer.

Arrivé à la salle de télévision, là où était programmée la réunion, tous mes voisins, étrangers pour la plupart, étaient assis et le dernier à entrer dans la salle me talonnait de quelques minutes. A l’heure convenue, le délégué sortant était à côté du régisseur du foyer. Tous deux ont prit la parole dans une ambiance sympathique pour annoncer le rôle du délégué et les règles de candidature. Une série de discussions s’en est suivie et a fini par un vote par décompte de billets écrits à la main. Tout le monde a félicité le nouveau en plaçant des recommandations générales sur le cadenassage des boites aux lettres et sur le mécanisme de la porte principal qui s’est usé avec le temps. Ces recommandations ont été notées dans un registre et cosignées par le régisseur.

Quelques semaines plus tard, les recommandations étaient réalisées. D’autres réunions ont suivies au sujet de la salle de ping pong et pour la peinture de la cage d’escalier.

A l’époque, je m’étais renseigné sur ce registre et je m’étais demandé combien mon voisin, étudiant comme moi, allait être payé pour son rôle de délégué ! J’ai appris que ce cahier s’appelait Livre Blanc et que mon voisin allait se faire arnaquer ! Il faisait ce boulot pour rien, comme volontaire m’a t on dit et que son travail était même suivi par la mairie !? .. L’équivalent de la municipalité chez nous. Franchement, je n’avais pas compris ce qu’il cherchait par ce rôle, peut être un visa à vie ? Dans tous les cas, mon voisin sénégalais s’adonnait à la tâche à cœur joie !

Avec un peu de recul et ne pouvant échapper à la présumé arnaque, j’avoue que ce rôle de délégué dans un foyer universitaire m’avait appris bien des choses. On comprend que le bien public appartient à tout un chacun et qu’une distribution de responsabilités est réalisée suivant des règles collégiales avec la participation de chacun. J’avoue aussi que ce travail de volontaire au service de mes voisins étudiants comme moi étaient pas mal non plus ! Nous avons organisé des joggings en week end et des sorties nocturnes ou chacun de nous était responsable de tous les autres, sans se priver de rappeler des mises en garde pour se protéger !

Aujourd’hui, je ne suis plus en contact avec Papsy, Eric, Dali, Barbas, et tout ces potes que j’ai côtoyé. Chacun de nous a pris sa route et chacun de nous a appris de l’autre.

En réalité, ce jeu de rôle auquel nous avons été naturellement convié est toujours d’actualité ou peut être même amélioré. Il fait partie de la mixture magique pour le bien vivre ensemble, pour le mieux communiqué ensemble et le mieux évoluer ensemble. Cette mixture nous a permis de se copier mutuellement pour tenir un livre dans les métros et de se dire bonjour chaque matin entre voisin.

Des pensées en mouvement

e foyer dans lequel j’habitais était il une exception ? J’ai habité dans d’autres immeubles sans en être le délégué et la civilité était la même ! Le modèle est reproduit dans tous les immeubles, de tous les quartiers là où j’ai habité. Je ne pense pas non plus que ça soit une question de moyen, mais bien de mentalité. J’ai aussi habité en banlieue et beaucoup de balcons étaient décorés avec des pots de géraniums débordant et fleuris.

Pourquoi alors à quelques heures d’avions sommes nous dans un total désistement de civilité ? Pourquoi n’avons nous pas de Livre blanc et pourquoi la Société Civile est dans une telle construction ? A vrai dire, j’ai découvert ce terme de société civile au lendemain du 14 janvier. Parait il, le politique l’avait phagocyté depuis des dizaines d’années avec des choobas de quartier et des choobas d’entreprises, assurant telle une toile d’araignée un maillage sans faille, vertical et horizontal, territoire et métier.

Sommes-nous capables de construire notre Société Civile et de se dire à nous mêmes que la situation doit changer ? Sommes-nous capables d’écrire des Livres Bancs pour nous donner orientation à certaines situations ? Sommes-nous capable de cesser d’apostropher et de changer de mentalités ? En sommes nous capable dans la durée sans faire seulement bonne figure le temps d’une circonstance d’occasion !

Là, il n’est pas question de fierté. A écouter « es tu capable », tout le monde se cabrera pour gonfler sa poitrine et dire « yes I can ! » Mais, il ne s’agit pas de l’individuel, mais du collectif. Peux t on dire ensemble « Yes We Can ? » Pour l’instant le ‘we’ s’écrit en petite minuscule parmi les baobabs grandissants !

Le point exe

Il est courant en informatique d’écrire un programme et de le compiler pour obtenir un fichier exécutable, le fameux .exe. Ce programme s’écrit généralement par des personnes maîtrisant des langages de programmation, des algorithmes et du génie logiciel pour permettre à tout un chacun, sans pour autant être informaticien, d’utiliser le programme en question.

Par analogie à l’informatique, les informaticiens de la société civile se nomment les parents, les maîtres et les maîtresses des crèches et des écoles et les professeurs des lycées et des universités; les langages de programmation se nomment les pédagogies orientées et le fichier exécutable se nomme Mentalité !

Encore une analogie avec l’informatique. Si les fichiers exécutables fonctionnent sous un environnement déterminé fait d’une bibliothèque de ressources, appelé système d’exploitation, la mentalité fonctionne aussi sous certaines conditions d’environnement, avec une bibliothèque de notions dénommées Droit à la liberté, Droit à l’égalité, Droit à la justice, Droit à l’éducation, Droit de se déplacer, Droit d’exister, Droit à la vie privée, Droit de jouer ou encore Droit de s’exprimer.

Cette bibliothèque est elle du ressort du politique pour la dicter ou de la Société Civile pour l’exiger ? Et là, j’y réponds par une citation de Saint-Exupéry qui dit ceci :

“Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de ces hommes et ces femmes le désir de la mer.”

Pour clore ce billet

Il faut dire que le monde dans lequel nous vivons est en permanente évolution et que l’analogie avec l’informatique se limite à seulement quelques notions.

Eduquer et initier ne suffisent pas. Il faut aussi se donner du temps et apprivoiser son environnement en puisant en permanence dans son imagination.

Et à feu Abdelaziz El Aroui, une pensée en récitant pour lui une Fatiha pour toutes les soirées où il nous a bercé par ses contes tellement bien racontés.
Peut être d’ailleurs est-ce un peu grâce à ce personnage, que j’imagine une Société Civile Tunisienne en Mouvement, en mouvement et unie contre l’ignorance, l’oubli et le mépris.