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* et pas les 5…

Ennahdha a gagné ?

Pour beaucoup, la source de tous nos maux présents et futurs, c’est le parti islamiste.

Premier fait : Ennahdha a obtenu 37% des suffrages exprimés, c’est-à-dire de 3.702.620 votes sur 4.123.600 inscrits, sur 7.562.224 tunisiens en âge de voter. Ces 37% leur ont donné 41,5% du nombre total de sièges. 37% de 49% = 18,11% des tunisiens en âge de voter. On est loin, très loin du tsunami électoral, censé être le prélude au califat transnational ou à la République Islamique.

Deuxième fait : tous les signes émis par Ennahdha sont allés dans le sens de la recherche du consensus, avec un attachement particulier à rassurer les puissances d’argent : poursuite du programme économique FMI-ien, évocation de la convertibilité totale du dinar, visite à la bourse de Tunis, etc. Ajoutons à cela un point qui me tient à coeur et qui représente beaucoup plus pour notre liberté en tant que peuple que le droit de porter un string et/ou de boire de la bière, au rythme de musiques frénétiques : l’endettement.

Pour un croyant, utiliser un dirham (pièce en argent) de riba équivaut à commettre 26 fois l’adultère. On peut alors légitimement se demander pourquoi des islamistes de longue date ayant traversé et vécu plusieurs courants de pensée islamique, n’ont pas dit un seul mot sur l’endettement scandaleux et les taux d’intérêts criminels qui nous sont imposés.

Pas plus qu’ils n’ont remis en cause la monnaie papier, fausse monnaie imposée un peu partout dans le monde.

Ces islamistes, dont le combat devrait “normalement” se situer sur le terrain de la justice (sociale, économique) n’ont pas non plus remis en cause les réformes néolibérales entreprises depuis 1986, dont l’effet visible de tous est la bipolarisation de l’économie tunisienne, entre PME qui luttent difficilement, et grands groupes toujours plus gros et prospères. Bipolarisation aussi entre une économie “moderne” et une économie de seconde zone, une sous-économie, flirtant souvent avec l’illégalité (entre autres, le marché noir).

De tout cela, pas un mot.

Si Ennahdha ne peut rien apporter sur le plan économique, qu’apportera-t-elle ?

Quelques réformes sociales, des réformes de l’éducation, un possible assainissement du cadre administratif (même si la proposition de maintenir Habib Essid ne va pas du tout dans ce sens), une “remoralisation de la vie publique”…

Sa non-majorité à la Constituante, couplée à l’intransigeance du CPR sur certains sujets, vont cependant lui rentre certaines tâches ardues.

Et donc contre quoi faut-il se battre ?

Deux choses.

Le conservatisme agressif

La dictature a su lâcher un peu de lest au niveau “libertés individuelles”… de consommer. Ainsi l’alcool coulait à flots, et l’été, les bikinis fleurissaient un peu partout sur les plages. Toutes ces métaphores pour dire que jusqu’ici, toute opinion religieuse exprimée de façon trop visible donnait lieu à une répression quasi-immédiate. Même s’ils ne l’avoueront jamais, beaucoup s’accommodaient parfaitement de ce deal forcé : ne t’occupe pas de politique, par contre tu peux boire, aller en boîte, et baiser si tu restes discret un minimum.

Aujourd’hui, un retour à ce type de répression est exclu, et nous allons inévitablement voir apparaître des gens qui s’estimeront responsables de la moralité de leurs semblables et de leur salut. Ces gens se mettront en tête de “corriger” la société, et puisque de leur point de vue, la police et/ou l’administration ne fera jamais son boulot assez vite, entreprendront de le faire eux-mêmes.

Le 14 janvier a été interprété comme la fin d’un pouvoir laïc répressif, et le retour de la morale. C’est donc tout naturellement qu’une femme de ma connaissance a entendu son propre frère lui dire, une semaine après la fuite de Ben Ali : “akahaw tawa, c’est fini, il faut que tu commences à faire ce que te dit ton mari”.

Dans les mois qui viennent, on verra se multiplier les remarques déplacées sur la tenue vestimentaire, le harcèlement sur le lieu de travail, les insultes, et peut-être même des actions violentes dont le but sera de rectifier toute atteinte aux bonnes moeurs. Bonnes moeurs dont la définition varie évidemment suivant les individus.

Notre société est fondamentalement conservatrice, et elle le restera pour encore longtemps. Ce contre quoi il faudra se battre, et je pense aussi aux femmes, c’est le caractère répressif du moralisme qui ne manquera pas de s’exprimer.

Le deuxième combat est beaucoup plus important, et plus crucial pour notre avenir.

La domination économique

Sitôt nommé, Béji Caïd-Essebsi s’est empressé de faire le tour des “partenaires” (des patrons). Accueilli comme un chef d’Etat au G8, il a montré une hâte toute particulière à signer des prêts pour la “relance de l’économie” et “l’aide à la construction démocratique”. Questionné à ce sujet par un journaliste d’Al Jazira, il a répondu avec tout l’aplomb du monde : “c’est le bon chemin à suivre, je le sais”.

Bien qu’humiliante, cette attitude n’a rien d’étonnant pour un bourguibien : la diplomatie bourguibienne a toujours bien pris soin de ne pas égratigner les “puissants partenaires”. Cette sollicitude passe par l’endettement et la soumission aux intérêts des grandes puissances (France, Etats-Unis, Russie).

Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’aucun homme politique n’a soulevé le problème de la dette structurelle. Les meilleures propositions qu’il m’ait été donné de lire portaient toutes sur la soumission des intentions d’endettement à l’approbation du parlement.

Ignorance ? Réalisme politique ? Je ne sais pas. En tout cas, quiconque s’extirpe de la dette structurelle est immédiatement puni militairement (Kadhafi) ou isolé (Venezuela).

Toujours est-il qu’à l’heure où les peuples du monde entier commencent à se rendre compte de la lente mise en esclavage que représente le système de la dette structurelle, je trouve dommage que nos politiques, pourtant prompts à parler de liberté, de démocratie et de souveraineté, n’aient rien d’autre à proposer qu’une simple modalité d’un système qui dans toutes ses formes n’est au final qu’un système de domination par l’endettement. Les islamistes sont les plus décevants sur ce sujet, eux qui devraient normalement être les plus réfractaires à la monnaie papier et à l’usure.

Il faut croire que comme les autres, ils ont très bien compris la règle du jeu.