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De gauche à droite : Sadok Chourou Hammadi Jebali et Rached Ghannouchi

Par Hassen Ben Hamida

Ennahdha continue à souffler le chaud et le froid sur la scène politique tunisienne et envoie en quelques jours des signaux complètement contradictoires. D’un coté, en début de semaine Hamadi Jebali, chef du gouvernement, reçoit l’opposition, parle d’ouverture et prône le dialogue. De l’autre coté, mercredi, Ennahdha pèse de tout son poids pour écarter Fadhel Moussa, candidat de l’opposition au poste de rapporteur général de la constitution, doyen de la faculté des sciences juridiques, un homme consensuel apprécié pour sa modération, C’est le candidat Ennahdha, Habib Khedher, qui sera élu. Ce dernier, symbole de l’arrogance de son parti, a agacé plus d’un par sa suffisance, sa partialité partisane et son intolérance lors des débats de la commission en charge de l’organisation provisoire des pouvoirs publics.

Ce volte face peut être interprété de deux maniéres :

– La première est que Jebali, représentant le courant réformateur et modèré au sein d’Ennahdha, est minoritaire et ne contrôle même pas les membres de son gouvernement .

– La deuxème est que la nouvelle politique d’ouverture est en réalite un stratagème visant à diviser l’opinion publique et museler les détracteurs d’Ennahdha en montrant un visage consensuel. D’ailleurs, la rencontre de Jebali avec l’opposition s’est limitée à de simples généralités et aucune mesure pragmatique n’a été prise. Pis encore, à la première occasion de concrétiser cette ouverture, au lieu d’avaliser la candidature de Fadhel Moussa, Ennahdha tourne le dos à l’opposition et opte pour la confrontation.

Dans tous les cas, il est clair qu’Ennahdha a choisi son camp. Elle se tourne vers ses anciens démons et se radicalise. Comment expliquer, sinon, le fait de défendre contre toute logique Sadok Chourou après ses dernières déclarations fracassantes à l’ANC ? L’épisode Chourou est révélateur et démontre d’une part l’influence des radicaux au sein d’Ennahdha et d’autre part l’importance des salafistes dans l’échiquier et la strategie d’Ennahdha:

1- Chourou est apprécié par la jeunesse majoritairement radicale du parti qui voit en lui un saint et un héros. Vu que ces jeunes représentent la majorité des militants actifs, il est impensable qu’Ennahdha les froisse ou rentre en conflit direct avec eux, surtout que la prochaine échéance électorale est proche.

2- Les salafistes à cause de leurs opérations coups de poings fortement médiatisées, sont une arme à double tranchant pour Ennahdha qu’il leur faut absolument pouvoir maîtriser.

3- Ennahdha, redoute un éventuel report des voix salafistes vers le CPR aprés l’opération séduction entamée par Abdraouf Ayadi, son secrétaire général.

Chourou est l’indispensable trait d’union et l’émissaire idéal d’Ennahdha auprès des salafistes en ce qu’il a toujours entretenu des relations étroites avec eux. D’ailleurs, il a été dépêché à Msaken le 31 Janivier 2012 pour participer à la conférence donnée par le prédicateur salafiste Bechir Ben Hassen. A cette occasion, Chourou a rassuré une audience essentiellement salafiste sur les orientations islamistes du gouvernement et leur a présenté en avant première quelques points du projet de constitution Nahdhaoui.

Dans le camp de l’opposition, le sentiment d’amertume et de frustration ne peut qu’envenimer encore plus les relations déjà tendues avec Ennahdha. Il pèsera certainement sur les débats relatifs à la constitution et rendra la recherche de tout consensus illusoire. Le bras de fer avec la “société civile” deviendra inévitable avec la multiplication des manifestations et des mouvements de rue. Le recours au référendum pour faire approuver la constitution deviendra impératif, impasse qui présentera bien des dangers pour une démocratie naissante.