Que dit le nahdhaoui ?

On ne cesse de voir une véritable guerre s’instaurer en Tunisie entre les milices nahdhaouies et tous ceux qui osent critiquer le gouvernement Jebali. Ils disent que le média est partial, insultent et agressent –parfois physiquement- ceux qui sont contre les déclarations des ministres d’Ennahdha. De l’autre côté, des Tunisiens ripostent de la même manière. Depuis le 23 octobre 2011, on observe également une mini guerre civile, entre autres, dans les réseaux sociaux où les ripostes se font à coups de caricatures, de vidéos, de commentaires et de blagues insultants et humiliants…

Néanmoins, cette mini guerre a pris une ampleur grave avec la venue du prêcheur islamiste égyptien Wajdi Ghonim lorsque l’un des organisateurs de ses conférences à la ville de Mahdia a été poignardé de six coups de couteau ! La Fitna (discorde) serait-elle la nouvelle étape post-dictatoriale ?

La Tunisie devant son miroir …

Pour commencer, il faudrait rappeler que le mouvement islamiste Ennahdha a été interdit sous le régime dictatorial de Ben Ali. Bien que ce dernier soit « musulman » il a été le persécuteur par excellence de ses coreligionnaires, redoutable contre les islamistes et les musulmans en général. Prier dans une mosquée lors de la prière du Fajr (de l’aube) était un « crime » passible de « maltraitance, de torture et plus si affinité… » et ce grâce à la Justice « benalinée ». Telle était la « loi ».

A cause de Bourguiba et Ben Ali, la notion même de laïcité ainsi que le média ont été pervertis. Aujourd’hui, pour beaucoup de Tunisiens, notamment les sympathisants du parti islamiste Ennahdha, le mot laïcité présente une connotation très péjorative, référant dans leur conscient collectif au régime répressif des deux dictateurs qui bafouaient, délibérément, la liberté et la dignité des islamistes et des musulmans en général au nom de la « laïcité ». Dans l’une de ses déclarations lors d’une conférence à l’espace El Hamra (Tunis), Rached Ghannouchi dira même que l’ère Ben Ali était « une dictature laïque ». Ceci démontre la confusion qu’en fait le chef du parti islamiste en personne.

Pour en revenir à l’étymon, le laïc « laos » est un terme latin désignant « le commun du peuple » se distinguant du « clerc »-représentant de l’institution religieuse. Pour se disloquer de l’hégémonie politico-religieuse où l’action du « clerc » est sacralisée, la laïcité a revêtu, au XXème siècle, une nouvelle signification désignant le principe de séparation de la « chose publique » de l’institution religieuse. Néanmoins, cette laïcité exige le respect inconditionnel de la liberté du culte, chose qui n’a pas eu lieu ces cinq dernières décennies en Tunisie, ce qui infère au fait que le régime bourguibien et benaliste ont imposé non pas une « dictature laïque » mais une dictature non laïque.

Les milices nahdhaouies ne cessent également de critiquer le média à tort mais parfois aussi à raison. Lors de la manifestation pro-Syrie(10 février 2012), la chaine nationale, autrefois « Tunis 7 », n’a pas couvert l’événement, ce qui a provoqué un grand tollé l’accusant de partialité.
Le média, outil redoutable qui était au service de la dictature, à l’exception des rares journaux et sites libres qui y ont échappé, constitue dès lors pour les islamistes un « ennemi » à éliminer. Néanmoins, les actions de diffamation nahdhaouies contre un média complètement perverti du temps du dictateur, qui peine à se réformer, ressemblent paradoxalement à celles des RCDistes.

De la même manière, pour renforcer son régime, Ben Ali faisait appel à l’RCD. Ce parti a élaboré au fil du temps, un mécanisme de propagande qui reposait sur deux catégories: il y avait les Rcdistes actifs et les RCDistes passifs, tous deux unis autour de l’idéologie du Parti unique, majoritaire et dont les adhérents dépassaient les deux millions. Qui oserait dire que, parmi nos proches, il n’y avait pas au moins un membre de la famille ayant la fameuse carte d’adhérent à l’RCD …

Les RCDistes actifs étaient ceux qui s’affichaient médiatiquement et/ou sur terrain en accusant- cœur et âme- de « traîtres » les islamistes et le « Zéro virgule », au nom de la sacro-sainte majorité, de « nos mœurs et coutumes », de «notre religion » et du « développement de la Tunisie » -les plus virulents parmi eux appartenant aux ministères de l’Intérieur, de la Justice ou faisant partie des médias thuriféraires.
Rappelons que le « zéro virgule » est une appellation péjorative donnée par les islamistes post-révolution aux partis de gauche, tels que le PCOT, Ettajdid (Pôle moderniste)ou le PDP qui ont obtenu de maigres résultats lors des élections du 23 octobre 2011 ; mais qui avaient défendu- avant la Révolution -ces mêmes islamistes. « Ingratitude quand tu nous tiens » diront certains …
Quant aux RCDistes passifs, ils étaient tous ces épiciers, commerçants, juristes, artistes, journalistes ou autre qui cautionnaient, par leur silence, l’Injustice.

Naissance de la milice nahdhaouie

Après la Révolution, l’ancienne milice s’est fondue dans la nature et une autre en a surgit : la milice nahdhaouie usant des mêmes arguments que son oppresseur déchu. En effet, cette nouvelle milice reproduit, point par point, les anciennes pratiques des thuriféraires de l’ancien régime qui proliféraient des insultes voire des menaces de mort envers et contre tous ceux qui ont osé critiquer le régime Ben Ali. Ainsi on peut induire que la milice RCD a été remplacée par la milice nahdhaouie. Ceci nous prouve, sans équivoque, que le mécanisme et la mentalité benalinés fonctionnent encore.

Regardons-nous maintenant dans le miroir- car cette étape est indispensable pour mieux se connaître. Il faudra se l’avouer : on a vécu trop longtemps dans la peau du « fervent héritier de la mentalité du Parti unique » et ce ne serait que mensonge de le nier.

La Tunisie est encore aujourd’hui un milieu où le grégarisme serait la règle et où la minorité serait dans le camp des « marginalisés-citoyens de second degré ». Croire que cette mentalité aliénée à celui qui aurait « la majorité et le pouvoir » disparaîtra d’aussitôt grâce à la Révolution, serait méconnaitre l’humain. Grégaire par nature, on aime faire partie de la « majorité », car être un membre de la minorité nous mettrait face au « danger » d’où qu’il vienne.

Par ailleurs, le véritable problème concerne le gouvernement Jebali, qui ne cesse d’alimenter cette mentalité benalinée en la cautionnant et en cristallisant la confusion que cette milice nahdhaouie commet à tort en insultant des Tunisiens de « mauves, de zéro virgule, d’orphelins de Ben Ali, de média partial, … » et finir par un message de haine « Moutou bi ghaydhikom » (Mourrez dans votre rage) maintes fois répétés par l’exciseur Wajdi Ghonim et réitéré à tout va par ses fans islamistes. Devons-nous en être choqués ? Certainement pas, car Ennahdha, victime d’hier, savoure encore sa revanche en cautionnant cette nouvelle milice qui se déchaine à tout va sur tout le monde, entre autres sur le « zéro virgule » ancien allié d’Ennahdha dans l’épreuve… Habituée à l’endoctrinement des jeunes depuis les années 80, le but du parti de Ghannouchi est de créer un Etat islamique en radicalisant l’opinion publique, que ce soit en cautionnant les prêches de l’intégriste Wajdi Ghonim ou en permettant aux wahabites de l’Arabie Saoudite de venir en Tunisie sans VISA.

La confusion dans laquelle se trouve cette nouvelle milice, usant des mêmes moyens de diffamation, d’insultes, cautionnée par le gouvernement, est dangereuse car elle divise et pousse vers la haine, voire plus… Là où il y a eu division au nom de l’RCD, maintenant, c’est au nom d’Ennahdha que cela se fait. La réaction exacerbée de ceux qui se font attaquer approfondit le malaise social dans lequel on baigne. Ainsi, la volonté politique du gouvernement Jebali est plus que nécessaire pour freiner ces reflexes benalistes et pousser la société civile ainsi que le peuple tunisien vers un pacte citoyen juste et démocrate. En serait-il capable ? Telle est la question.