L’année écoulée en Tunisie aura été rude pour les femmes : elle aura commencé avec une Souad Abderahim, députée du parti Ennahdha qui crachait sur les mères célibataires et elle aura fini avec deux policiers accusés du viol d’une jeune fille. Entre ces deux événements la situation a été tendue toute l’année : beaucoup d’appréhension et des citoyens sur le qui-vive face à l’impression d’une tentative de retour d’un conservatisme, imposé par le haut. Toute l’année il a fallu batailler pour qu’aucune législation régressive ne soit mise en place, rien n’a été fait d’un point de vue socio-économique et les violences faites aux femmes n’ont pas reculé.

Pourtant il y a un an 59 femmes étaient élues députées. Un bon début même si ce résultat n’est que le fait de la loi sur la parité. Reste que cette entrée sur la scène publique est un bon exemple : mettre des femmes en charge des affaires publiques, représentantes de la population, responsables devant tous, est un bon exemple pour les générations à venir. Si des femmes ont participé à la rédaction de la Constitution, loi suprême du pays, quel poste ou fonction peut alors leurs être refusé ?

La législation :

Jeune tunisienne lors d'une manifestation à l'occasion de la fête de l'indépendance le 20 mars 2012. traduction de la pancarte : "Ma croyance est dans mon coeur, pas dans la constitution. La démocratie est ma liberté. Mon identité je la choisi et ne peut m'être imposée". Crédit image : Malek Khadhraoui | www.nawaat.org

Avec autant de femme députées au sein de l’ANC on aurait pu s’attendre à ce que de nouveaux acquis pour les femmes voient le jour. Ça n’a pourtant pas été le cas. Etre femme ne signifie pas être activiste pour l’égalité. Et finalement on peut s’interroger sur le rôle des femmes députées : femme d’action ou femme alibi ? La loi sur la parité, la levée des réserves sur la CEDAW et le discours modéré du parti Ennahdha avaient donné l’espoir à Ahlem Belhadj, présidente de l’ATFD, comme à Selma Mabrouk, ex-députée Ettakatol, que d’autres avancées législatives voient le jour suite aux élections. La réalité les a toutes les deux déçues.

La parité :

Pour les élections de l’ANC en octobre 2011 Sophie Bessis expliquait que : «  L’institution de la parité à la proportionnelle sur les listes électorales, votée par la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, a été une innovation très intéressante. Nous nous sommes retrouvés avec une parité d’alternance obligatoire, qui, si elle n’était pas respectée par les listes, entraînait l’annulation de celles-ci. »

Une première en Tunisie. Car mettre en place la parité politique c’est donner visibilité et crédibilité aux femmes, comme l’explique Ahlem Belhadj de l’ATFD : « La parité c’est une première entrée des femmes sur la scène politique c’est une manière de montrer que d’autres fonctions sont possibles. La parité c’est aller vers un objectif : celui d’introduire les femmes sur la scène politique, introduire une certaine manière de vivre la présence des femmes dans le politique quelque soit leur courant. »

Mais finalement si la loi sur la parité a donné un résultat aussi « faible » c’est que les femmes n’ont pas été nombreuses en tête de liste, si bien que seules celles engagées dans les grands partis se sont retrouvées élues. Sophie Bessis en témoignait il y a quelques temps dans une interview accordée à Nawaat :

« Malheureusement le vieux machisme aidant, il n’y a eu que 7% des 1500 listes avec des femmes à leur tête. »

Et surtout la loi sur la parité n’a pas vraiment apporté une égale prise en compte des uns et des autres. Les femmes ne seront que deux à obtenir le rang de Ministre alors que plus d’une vingtaine de place sont à pourvoir. Femme alibi, objet de décor. La déception a été grande.

La chariâa :

Et la situation de la scène politique a vite donné le ton pour le reste de l’année : rien n’a vraiment été fait pour les femmes. Au contraire. Le débat lancé dés le mois de février sur l’idée de prendre la chariâa comme source d’inspiration législative pour la Constitution a montré la violente volonté de recul des hommes politiques. C’est Sadok Chourou, du parti Ennahdha et membre de la Commission en charge de l’écriture du Préambule de la Constitution qui était à l’origine de l’idée.

Or il semble difficile, pour beaucoup de femmes, de concilier chariâa et Code du Statut Personnel (CSP). Les femmes tunisiennes ne veulent pas perdre leur acquis. Et même si le CSP n’est pas un texte égalitaire il reste un texte qui instaure un début de situation équitable.

« Le discours jusqu’alors de Ennahdha avait l’air réconfortant, mais à travers le travail constitutionnel on a vu une vision, soutenue par les députés de ce parti, dans la Commission droits et libertés, qui n’était pas du tout en faveur de l’égalité homme-femme »

explique Selma Mabrouk.

La résistance de la société a fait reculer le gouvernement sur cette question et le leader du parti Ennahdha avait fini par expliquer qu’il n’y avait pas de raison de diviser la population en deux camps. Fin mars la question est donc enterrée mais c’est surtout parce que la population n’a pas envie de ce référent.

Ce combat a permis aux femmes tunisiennes de se réapproprier le CSP, pour Selma Mabrouk : «  un texte que beaucoup définissaient comme apporté par Bourguiba et qui ne collait pas à la réalité. » Et c’est à travers une grande manifestation, qui a eu lieu le 13 août, jour anniversaire de l’adoption du CSP, que l’attachement des Tunisiennes a leurs acquis a été manifeste.

Ce jour là à Tunis des femmes et des hommes sont sortis dans la rue pour défendre les Droits des femmes et faire entendre leur mécontentement quant à un autre sujet polémique : l’article 28 de la Constitution qui parlait de la « complémentarité » de la femme. Différentes forces associatives, politiques, syndicales se sont unies pour dire qu’ils refusaient le modèle de société qui était en train d’être mis en place. « Cette manifestation a montré qu’il pouvait y avoir un front pour défendre un autre modèle de société » témoigne Ahlem Belhadj.

L’article 28 et la complémentarité :

L’article 28 aura été une autre bataille législative cette année. « Au mois de juillet un article a été voté à la majorité dans la Commission droits et libertés, qui disait que l’Etat devait protéger les acquis de la femme et la considérer comme complémentaire et associée de l’homme », se rappelle Selma Mabrouk. C’est le fameux article 28.

Ahlem Belhadj, de l’ATFD, avait discuté avec les députées du parti Ennahdha. L’article 28 jouait sur trois niveaux. Il y avait une partie contre la violence, une partie concernant l’égalité des chances et une partie concernant la sphère familiale. «  Or aujourd’hui la sphère privée est celle où il y a le plus de résistance quant aux droits des femmes. C’est pour la sphère familiale que l’on parle de complémentarité. Les femmes de Ennahdha expliquent que pour elles, au sein du foyer, l’égalité va donner plus de devoirs aux femmes. Alors que pour nous l’égalité est l’évidence même et que les femmes ont déjà plus de devoirs que les hommes ! Pour les femmes tunisiennes il est inconcevable de na pas être tutrice des enfants, de ne pas avoir l’autorité parentale conjointe, de maintenir l’idée de chef de famille, alors que par la loi les femmes doivent participer à toutes les taches au sein de la famille. Surtout que lorsque l’on regarde la réalité au sein des familles, c’est la femme qui fait le plus ! »

L’article 28 va faire réagir la société civile. Levée de bouclier, forte réaction avec la marche du 13 août et petit à petit il y a eu un changement. « La Commission de coordination de la Constitution, les présidents des commissions, le rapporteur général ont commencé à revenir sur cette affaire de complémentarité en demandant à ce que la Commission du Préambule se charge de cette question. Et celle-ci a refusé, il y a quelques semaines, cet article » explique Selma Mabrouk. Reste maintenant à la Commission des Droits et libertés de revoir la question et de se défaire de la responsabilité de cet article. La notion de complémentarité finit donc par être écartée.

Pour Ahlem Belhadj les débats quant à la législation auraient dû porter sur une remise en question positive du CSP et sur la question de l’héritage par exemple. Pour Selma Mabrouk ce n’était pas encore le moment de poser cette question. La réalité sociale du pays, les vraies demandes de la révolution concernent d’abord les conditions socio-économiques et tournent surtout autour des conditions de vie.

Traités internationaux :

Si la bataille sur la législation interne n’a donné qu’un statut-quo il faut noter qu’il n’y a eu aucune avancée et même pas un début de débat en ce qui concerne les normes internationales.

« La levée sur les réserves de la CEDAW, (la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ) a été un fait important, mais aujourd’hui nous sommes critiques quant à cette levée et nous demandons à ce que la levée soit concrète et effective »

déclare Ahlem Belhadj de l’ATFD.

L’ATFD continue à mener d’autres batailles législatives notamment pour que des conventions de l’Organisation Internationale du Travail soient appliquées en Tunisie, comme la Convention 183 sur la protection de la maternité et notamment la question du congé maternité, ainsi que la Convention 189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques.

La situation socio-économique :

Cueilleuses d'amendes dans la région de Sidi Bouzid. Crédit image : Malek Khadhraoui | www.nawaat.org

Car la situation socio-économique n’a pas évolué non plus, or la mise en place de plus de législation semble nécessaire à assurer des conditions de travail plus justes et plus équitables. Si il n’est pas évident pour une femme de trouver du travail, il est encore moins évident pour elle de faire pression pour avoir des droits. « On attendait plus de justice sociale et un modèle de développement qui répondrait aux attentes des Tunisiens. Le bilan global est donc négatif car les différentes questions n’ont pas été traitées et les premiers pas fait semblent plutôt aller contre toute avancée » explique Ahlem Belhadj.

Et effectivement les inégalités sont encore grandes d’un point de vue socio-économique. D’ailleurs les femmes travaillent beaucoup de manière informelle, souvent dans des conditions précaires.

Femmes de ménage et bonne couchante :

C’est notamment le cas des femmes de ménages et bonnes couchantes. Ainsi des dizaines de milliers de femmes travailleraient comme bonne couchante ou femme de ménage, sans que le SMIG ne leur soit versé et avec des plages de travail trop longues, sans couverture sociale ou cotisation pour la retraite. L’Association de la Femme Tunisienne Universitaire pour la Recherche et le Développement (AFTURD) a d’ailleurs réalisée une enquête sur la question en travaillant pendant deux ans pour approcher ces travailleuses de l’ombre, dont le travail n’a aucun encadrement législatif. Alors que les Tunisiens sont sortis dans la rue pour demander des conditions de vie plus dignes rien n’a été fait cette année pour aider cette population de travailleuses par exemple.

Pourtant les femmes sont les premières victimes de la précarité. « La féminisation de la pauvreté est une réalité. Mais quand on parle d’une approche genre au niveau de la budgétisation par exemple, avec les responsables, ça ne passe pas, c’est un discours qui n’est pas de l’ordre de ce que les responsables peuvent entendre » témoigne Ahlem Belhadj.

Femmes errantes :

Une autre étude parue cette année montre que la précarisation des femmes est un phénomène tellement grandissant qu’elles sont de plus en plus nombreuses à se retrouver à la rue. L’association Beity, lancée par la juriste Sana Ben Achour, c’est intéressée aux femmes errantes. Un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur depuis la révolution, d’après l’étude de terrain conduite par l’association. En deux mois des centaines de femmes vivants dans la rue ont été dénombrées, simplement sur Tunis. Et pour l’instant en cas d’urgence aucun lieu ne peut les accueillir. L’association Beity travaille à la création d’un foyer d’accueil d’urgence mais la solution résiderait plutôt dans le fait de trouver une solution avant que ces femmes ne se retrouvent en errance.

Et pour cela l’indépendance économique et sociale des femmes est primordiale. C’est souvent parce que ces femmes se retrouvent rejetées par leur famille ou parce que l’homme a quitté le foyer, que ces femmes se retrouvent démunies.

Sihem Badi, la Ministre des Affaires de la Femme et de la Famille prévient, elle aussi, que la prise en compte du facteur genre pour la mise en place de nouvelles politiques publiques n’est pas évident car personne n’y est habitué. Son ministère est en train de tenter de faire changer les méthodes de travail et de sensibiliser les autres ministères à cette technique. Faire de la formation ou travailler avec les artisans ne demande pas la même approche car les femmes et les hommes n’ont pas toujours les mêmes obligations et contraintes quotidiennes. Les femmes continuent à s’occuper beaucoup plus des tâches ménagères et des enfants, tout en travaillant.

Violences :

L'affaire du viol présumé d'une jeune fille par deux policiers a suscité des vives réactions dans la société. Jeune tunisienne face au cordon de sécurité lors d'une manifestation de soutien devant le tribunal de première instance de Tunis le jour de l'audition de la jeune fille présumée violée. Crédit image : Malek Khadhraoui | www.nawaat.org

La violence sociale et économique que vivent les femmes est, malheureusement, souvent accompagnée de violence verbale et physique. Cette année deux actes de violence contre des femmes auront d’ailleurs particulièrement choqués les Tunisiens.

Le premier est une image forte. Celle d’une jeune étudiante sur le toit de la faculté de la Manouba, projetée au sol par un salafiste, qui venait de remplacer le drapeau tunisien par un drapeau noir. La scène a lieu en mars dernier, un jour seulement avant le 8 mars, journée célébrant la femme.

Khaoula Rachidi et le drapeau :

Khaoula Rachidi, pleine de sang froid, escalade un mur et essaie d’arrêter le jeune homme profanant un symbole national. Elle s’approche de lui, tente de s’emparer du drapeau, le jeune homme l’attrape par le bras et la jette au sol. Khaoula se relève et se rapproche de lui, elle ne fuit pas, elle lui tient tête. Et puis finalement plusieurs personnes grimpent à leur tour sur le toit et le drapeau noir finit pas être retiré.

L’autre événement, beaucoup plus dramatique est un symbole négatif : celui d’une jeune fille qui aurait été violée par deux policiers et qui se retrouve accusée d’atteinte à la pudeur.

Le viol de « Meryam » :

Le viol de « Meryam » est une affaire qui mobilise elle aussi. Le 3 septembre dernier une patrouille de police contrôle un jeune couple dans une voiture. Un des policier embarque le jeune homme pour essayer de lui extorquer de l’argent. Pendant ce temps là les deux autres policiers auraient violé la jeune fille à plusieurs reprises. Celle que l’on appelle Meryam est juste une jeune tunisienne comme beaucoup d’autres, qui passe du temps avec son petit ami là où elle peut.

L’affaire, déjà révoltante, mobilise encore plus l’opinion public quand le porte-parole du ministère de l’Intérieur tente de discréditer la jeune fille, en expliquant que celle-ci était dans une position indécente, la nuit, avec un homme. La victime se retrouvera accusée, puisqu’avec son ami, ils sont entendus par un juge pour attentat à la pudeur.

Quelques mois auparavant une campagne avait était lancée par l’association Amal pour retirer du Code Pénal (CP) un article qui permettait à un violeur de ne pas être incarcéré si il épousait sa victime. Il s’agit de l’article 239 du CP Tunisien relatif à l’enlèvement d’une mineure :« le mariage de l’auteur de l’infraction avec la fille qu’il a enlevée a pour effet la suspension des poursuites, du jugement ou de l’exécution de la peine. » Il y a aussi l’article 227 bis relatif au fait de « faire subir sans violence, l’acte sexuel » à un enfant de sexe féminin de moins de 15 ans accompli ou dans le cas où l’âge de la victime est supérieur à 15 ans et inférieur à 20 ans accompli. Les peines sont, selon le cas, de cinq ou six ans de prison. Mais dans les deux cas : « le mariage du coupable avec la victime arrête les poursuites ou les effets de la condamnation ».

Deux articles discriminatoires et qui promeuvent une idée révoltante : si vous violez une mineure et que vous ne voulez pas aller en prison, prenez-la pour femme, prenez donc votre victime en cadeau. La Tunisie peut donc se targuer d’avoir le CSP, d’avoir levé les réserves sur la CEDAW, rien n’est mis en place pour lutter contre les violences finalement. Et dans la réalité une femme violée n’aura pas forcement le courage de se lever contre ses agresseurs sous peine d’être victime de l’opprobre sociale.

Pendant longtemps seule L’ATFD accueillait les femmes victimes. « En matière d’accompagnement des femmes victimes de violence il n’y a pratiquement rien, pas de structure ou de foyer d’accueil, témoigne Ahlem Belhadj. En matière de prévention il n’y a rien n’ont plus alors que d’un point de vue sociétal il y a une recrudescence de violence à l’égard des femmes. »

La situation est de plus en plus difficile même au sein des postes de police rapporte-t-elle :

«  Nous avons eu plusieurs cas de femmes agressées au sein des postes de police. La police ne protège pas et est auteur de violence. Il y a plusieurs femmes qui nous ont contacté car elles ont été victimes, apparemment au nom de la « morale », à cause de leur tenue, parce qu’elles sont dehors tard… »

L’affaire de la jeune fille au drapeau montre une jeune tunisienne pleine de courage, celle de la jeune fille violée montre une jeune tunisienne victime et montrée du doigt. Reste que dans les deux cas l’opinion public prendra faite et cause pour les jeunes filles. Preuve, comme pour le combat pour la législation, qu’il y a une coupure entre la volonté et les idées du peuple et celles des décideurs.

Face à l’augmentation des violences faites aux femmes le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille a l’air dépassé : entre manque de budget, manque de marge de manœuvre difficile d’obtenir des résultats. Pour Sihem Badi il s’agit de mettre en place une approche plus globale : « Sans le ministère de la Justice, de la Santé, de l’Intérieur le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille ne peut rien faire. » Les gouvernants ont plutôt, tout au long de l’année, mis en avant la question de l’identité et de l’appartenance culturelle. Des préoccupations se font jour à travers des changements sociétaux difficilement appréhendables.

Les changements de société :

Concours de lecture de Coran étaient organisés par la télévision nationale où on voit des petites filles voilées. Un phénomène impensable il y a quelques temps. Crédit image : impression d'écran

Ainsi pour le mois de Ramadan à la télévision des concours de lecture de Coran étaient organisés et pour la première fois on a vu apparaître à l’écran des petites filles voilées. Un phénomène impensable il y a quelques temps et qui prend de plus en plus d’ampleur, car on voit maintenant dans les rues des petites filles en bas âge porter le voile. Dans les écoles le phénomène existerait aussi. Sous couvert d’une recherche identitaire et d’un retour au religieux une doctrine extrémiste essaie de prendre la main.

Autre phénomène qui a inquiété : la rumeur selon laquelle le gouvernement ne voudrait plus permettre aux femmes d’avoir une contraception libre. Pendant des mois la pilule subventionnée Microgynon a manqué en pharmacie. Les citoyens ont commencé à s’inquiéter : il y aurait une volonté de changer les mœurs et de rendre l’accès à la contraception plus compliqué. Des professionnels de la santé commencent à rapporter des témoignages de femmes qui n’ont pas pu avoir accès à l’IVG. Selma Mabrouk témoigne de ce fait : « En mars j’ai alerté le Président de la République à propos de ce problème d’accessibilité à l’IVG. Certaines collègues m’ont en effet rapporté qu’au sein de certains centres de planning familiale il serait difficile de faire pratiquer une interruption de grossesse. »

« Les médecins joueraient sur la clause éthique et priveraient les femmes de certains de leurs droits. Il y a des problèmes : le discours officiel par rapport à ces droits des femmes pose problème, explique Ahlem Belhadj. Un des problèmes majeurs pour le Ministre de la Santé serait le fait que l’avortement ne serait pas bien contrôlé en Tunisie, alors même que la plupart des avortements se font maintenant avec une pilule abortive qui n’a quasiment pas d’effet secondaire. La question de la santé et des droits reproductifs des femmes sera donc une des prochaines batailles, pour l’ATFD ».

Car si la pilule Microgynon n’a pas disparu, l’accès à l’IVG semble bien être en train de se restreindre et ce depuis des années, pour lutter contre la chute du taux de natalité.

Autre changement de société : au sein des universités des mariages coutumiers seraient pratiqués, allant ainsi à l’encontre de la législation en vigueur. Tout comme le fait que des foyers universitaires islamiques exigeraient des étudiantes qu’elles suivent des cours de religion et portent la burqua.

Il s’agirait, encore une fois, d’un volonté d’imposer le retour d’une morale, mais via des phénomènes difficilement quantifiables. Prenons l’exemple d’histoire entendue çà et là : une femme qui se fait malmener par des policiers lors d’un contrôle d’identité, la nuit. Est-ce le policier de son propre chef qui décide de lui faire une leçon de morale ou a-t-il reçu l’ordre de le faire par ses supérieurs ? Voit-on apparaître une police des mœurs ou s’agit-il simplement de phénomènes épars et individuels ? Ces phénomènes entretiennent un sentiment d’insécurité et donnent l’impression que des attaques ont lieu à l’encontre des droits des femmes.

Le bilan de l’année est donc très mitigé. Le fait d’avoir eu à discuter et batailler pour conserver des acquis n’est pas une bonne nouvelle. Le fait qu’aucune nouveauté n’est vue le jour est une forme de recul. Même si aucune loi régressive n’a été enregistrée, même si quelques ateliers de formation pour les femmes ont eu lieu, même si des études de terrain ont pu être faites on ne peut se réjouir du fait qu’un an après les élections, aucune avancée majeure n’ait été enregistrée sur le terrain du Droits des femmes en Tunisie, qu’aucune institution luttant contre les discriminations n’est vue le jour, qu’il faille encore organiser des conférences pour expliquer la nécessite du rôle de la femme que la scène publique et politique… et que l’inscription du terme égalité dans la Constitution fasse débat.

Mais le fait que la société civile se soit toujours mobilisée, indignée et ait contestée chaque tentative de recul est une preuve du fait que les citoyens ne veulent pas revenir en arrière et qu’avec le temps les évolutions viendront. Il y a quelques jours le Premier Ministre Hamadi Jebali, invité dans une conférence internationale organisée par le Ministères des Affaires de la Femme et de le Famille et le Programme des Nations Unies pour le Développement, a témoigné de son attachement à la notion d’égalité entre homme et femme et s’est engagé à travailler pour son instauration. Encore une fois la société devra être présente pour s’assurer que ces mots se transforment en action.