Avant la déferlante d’émotions et de réactions suscitées par la mort de Chokri Belaid, l’Assemblée nationale constituante avançait à petits pas dans la rédaction de la constitution. La semaine devait commencer par la fin des discussions sur le chapitre des juridictions et se poursuivre avec l’examen de projets de loi. Évidemment, au lieu de cela, la deuxième partie de la semaine sera marquée par les évènements, dont les secousses résonnent au sein de l’ANC.
Fin des discussions sur les juridictions
Lundi déjà, de façon prémonitoire, plusieurs députés ont pris la parole avant la poursuite du débat relatif au chapitre des juridictions pour dénoncer la violence politique, notamment de Sahbi Atig et Issam Chebbi. Pour cette séance, 63 interventions concernant ce chapitre étaient encore prévues avant de donner la parole au président de la commission, Fadhel Moussa.
L’essentiel des interventions de la journée a porté sur la justice et sa nécessaire indépendance. Hajer Azeiz (Ennahdha) pousse cette indépendance jusqu’à vouloir exclure les non-magistrats du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). En effet, la composition proposée laisse une large part à des acteurs de la société civile. La composition du CSM et de la cour constitutionnelle est d’ailleurs critiquée, tout comme le mode de nomination, par Samia Abbou (CPR).
Plusieurs élus tentent de ramener cette discussion sur les juridictions sur le terrain de l’identité et de la religion. Jamel Bouajaja (Ennahdha) et Rim Thairi (Aridha) réclament ainsi une justice qui respecterait l’identité arabo-musulmane et qui défendra l’islam comme source principale de la législation.
Prenant l’exemple de Sami Fehri, Ahmed Nejib Chebbi (bloc démocratique) insiste sur le rôle du ministère public et sa neutralité. Mohamed Ali Nasri (bloc démocratique) appelle quant à lui à se conformer aux normes internationales en matière de justice.
Fadhel Moussa explique les choix de sa commission
Lors de sa prise de parole devant les quelques élus restants, le président de la commission, Fadhel Moussa, a soutenu que le fait d’avoir le ministre de la Justice à la tête du ministère public n’est pas incompatible avec sa neutralité. Par exemple, les mutations et promotions, qui sont un des moyens de pression couramment utilisés, seront désormais décidées par le CSM et encadrées.
Fadhel Moussa précise aussi qu’il faut assurer toutes les garanties pour éviter toute atteinte aux droits et libertés des citoyens, d’où des procédures très rigoureuses. Mais, il faudra attendre les travaux de la commission sur le chapitre de l’exécutif pour une harmonisation.
Vote prévu ajourné faute de quorum mardi
La séance du mardi est consacrée aux questions au gouvernement, puis aux projets de loi. Plusieurs ministres présents sont interpelés par les élus : Agriculture, Technologies, Droits de l’Homme et Justice transitionnelle et Culture. Les questions ont notamment porté sur les performances du secteur de l’huile d’olive, la couverture 3G des différents opérateurs, sur le décret d’amnistie de février 2011 et sur les revendications en termes d’emploi des anciens prisonniers politiques et blessés de la Révolution.
Après un moment de flottement concernant le premier texte de loi concernant un accord de coopération administrative entre la Tunisie et la Turquie, celui-ci est finalement considéré comme un texte de loi organique, nécessitant de ce fait un quorum de 109 élus. Le vote est donc ajourné faute d’un nombre suffisant de présents. La séance est levée et les textes restants sont ajournés au lendemain. Cette séance n’aura jamais lieu, et pour cause…
Assassinat de Chokri Belaid : un tournant politique
Suite à l’assassinat mercredi matin de Chokri Belaid, l’ANC est vide ce mercredi alors que des affrontements ont lieu sur l’avenue Bourguiba entre manifestants et policiers. Il faudra attendre jeudi 7 février pour que des élus se rendent au Bardo. Mais, la situation est très tendue ce jeudi à l’ANC comme dans les rues de Tunis. Alors que certains élus sont à leurs sièges et demandent le début de la séance plénière du jour, l’opposition décide dans un premier temps de ne pas siéger. Mais, la présidence maintient la séance et en informe les élus. Comme on peut l’imaginer, la confusion règne dans le palais du Bardo. Les LPR sont pointées du doigt par Lobna Jribi, qui appelle à leur dissolution.
De son côté, Béchir Nefzi s’en prend à ceux qui appellent à la démission du gouvernement en estimant qu’ils contestent la légitimité des élections, faisant même des allusions à un prétendu coup d’État en préparation. C’est effectivement cette légitimité qui sera mise à mal dans les heures qui suivent. Samia Abbou défend la troïka en accusant Béji Caid Essebsi d’avoir fomenté ce complot pour empêcher le vote de la loi d’exclusion du RCD, projet auquel continuent de s’opposer Maya Jribi et Amine Khalouli.
Ultime tentative d’Ennahdha de faire consensus avant la chute du gouvernement Jebali
Dans une intervention virulente, Amel Azzouz (Ennahdha) appelle à abolir la barrière entre majorité et opposition pour réaliser un front parlementaire uni. Maherzia Laabidi arrive à l’issue d’une réunion avec les présidents de blocs pour calmer l’assistance par respect pour le défunt. La journée se poursuit néanmoins dans la cacophonie en raison d’une atmosphère tendue. On entend même dans les couloirs de l’ANC des rumeurs de démissions de députés, notamment Mongi Rahoui (bloc démocratique).
Jawhra Tiss (Ennahdha) condamne même les déclarations du premier ministre et numéro 2 de son parti, Hamadi Jebali, qui a annoncé au soir du meurtre la dissolution du gouvernement et la formation d’un cabinet restreint. La position officielle du parti islamiste y sera également opposée pendant plusieurs jours.
Le bloc démocratique quitte la séance du jeudi après midi
Mustapha Ben Jaafer n’arrive que pour présider la séance de l’après-midi. Il entame la séance par un discours condamnant la violence et les divisions. Il appelle à l’établissement d’un calendrier pour des institutions stables et de prochaines élections. Il reprend également la proposition de débat national avec l’UGTT. Mongi Rahoui, qui n’annonce finalement pas sa démission, prend la parole pour lire la déclaration du bloc démocratique avant que le groupe ne quitte la salle.
La suite de la séance est l’objet d’échange entre les élus restants sur la disparition de Chokri Belaid et sur la proposition du chef du gouvernement. Les débats sont finalement clos par la présidence, aucune séance n’est prévu vendredi, jour d’enterrement du martyr Chokri Belaid, qui donnera lieu un une manifestation réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes (plusieurs centaines de milliers selon certaines sources).
Rached Cherif avec Marsad.tn
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