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PARTIE 1 : Du Mensonge à la vérité

I. Introduction.

Il est incontestable que la dette extérieure de la Tunisie a bénéficié, en premier lieu, à la dictature de Ben Ali et c’est bien ce premier caractère qui permet de lui attribuer la qualification de dette odieuse et illégitime. Le despote a en effet engagé le pays sur le long terme, jusqu’à 40 ans, en prenant la Tunisie et les générations futures en otage d’une dette qui a permis au régime totalitaire de réprimer le peuple, dissimuler la misère, installer l’obscurantisme, banaliser la corruption, institutionnaliser le culte de la personnalité et s’enrichir allègrement en faisant main basse sur des pans entiers de l’économie. Mais cette dette extérieure, odieuse et illégitime, a également servi à l’enrichissement des institutions financières étrangères, en complicité avec la dictature. Depuis septembre 2011, plus de 100 parlementaires européens ont signé un appel pour la suspension des paiements de la dette extérieure de la Tunisie jusqu’à la réalisation d’un audit indépendant, pourtant à ce jour, la Tunisie poursuit docilement le remboursement de ses créances sans qu’aucun audit crédible et recevable n’ait été rendu. Aujourd’hui 120 députés européen, la Norvège et le Senat Belge nous encouragent à faire cet audit. Avant les élections du 23 octobre 2011, tous les partis politiques représentés à l’assemblée nationale constituante s’étaient unanimement prononcé pour l’audit de la dette de la Tunisie, pourtant cette revendication légitime de la révolution tunisienne n’a toujours pas vu le jour. En juillet 2012, 24 députés réunissant presque toutes les sensibilités politiques de l’ANC ont déposé une proposition de loi concernant la mise en place d’un audit complet de la dette publique tunisienne depuis 1987. Malgré les initiatives du président Moncef Marzouki pour introduire un projet de loi pour l’audit de la dette de la Tunisie depuis 1987, Ennahdha s’est toujours opposé à un tel projet. Dernière preuve en date du 22 février 2013 ou Slim Besbès annonce le retrait du projet d’audit de la dette tunisienne et ce en pleine crise politique. Par ailleurs, le président tunisien, a plaidé devant le Parlement européen pour que les créanciers de son pays, dont la France, annulent au moins partiellement sa dette extérieure. Ces pays partenaires auront-ils le courage d’assumer leur soutien au dictateur déchu Ben Ali, en soutenant le moratoire de la dette tunisienne et l’annulation de sa part odieuse et illégitime ?

En 2011, l’attitude compulsive du gouvernement de transition, non-élu, de Béji Caid Essebsi pour surendetter la Tunisie, est illustrer par un prêt d’un montant de 250 millions dollars et 168,3 millions d’euros a été consenti par l’IBRD appartenant au groupe de la banque mondiale (Rapport n° 61627-TN, 2011). Or cet emprunt, s’étalant sur 40 ans, a été octroyé pour améliorer de façon visible la transparence et la responsabilité, afin de répondre aux aspirations de la population et d’envoyer aux investisseurs le message que la Tunisie crée des conditions équitables pour une croissance impulsée par le secteur privé. Aujourd’hui, on peut se demander à quoi a servi cet emprunt qui hypothèque deux générations de tunisiens et de tunisiennes ?

L’analyse de la dette tunisienne de 1970 à 2011, s’avère éminemment difficile essentiellement due à l’absence de données complètes, précises et fiables. Ni la Banque Centrale de la Tunisie (BCT), ni l’institut national de statistique (INS) ne disposent d’une base de données publique à jour. Bien que se vantant d’être transparente, aucune de ces deux institutions ne publient la totalité des informations qu’elles disposent. Les documents présentés sont parcellaires, l’information est particulièrement amputée de l’essentiel et la communication réduite à sa plus simple expression. Par ailleurs, le rapport « dette extérieure de la Tunisie 2010 » produit par la BCT sous la gouvernance de Mustapha Kamel Nabli ne diffère pas dans son contenu de ses prédécesseurs sous la dictature de Ben Ali. Jusqu’à ce jour aucun des rapports sur la dette tunisienne ne présente de perspective d’avenir ou des scenarii d’anticipation. Ces comptes rendus se limitent à une revue de communication sur la dette de l’année passée.

Par ironie, les données les plus étendues disponibles et les plus cohérentes sont consultables dans la base de données de la Banque Mondiale (BM) et sur celle des Nations Unies (UNCTADSTAT). Bien que la BM et l’UNCTADSTAT disposent d’informations plus larges que dans le cas des institutions tunisiennes, les données restent d’ordre généralistes et peu précises. De l’ensemble des données consultées pour cette étude une première information se dégage : elles sont toutes différentes avec la particularité d’être plus ou moins proportionnelles ce qui met en évidence une communication tronqués de la part de la BCT, seule source censée être fiable.

Malgré tout et grâce à une analyse approfondie de ces différentes sources de données (BM ; BCT ; INS ; UNCTADSTAT), cette étude est de fait non-exhaustive et met en évidence l’appauvrissement de la Tunisie via la dette extérieure depuis 1970, identifie les bénéficiaires des transferts de fonds à l’étranger qui se sont enrichis au détriment du peuple tunisien et démontre les limites de la politique de développement par la dette. Un regard particulier sera porté sur le FMI et les banques du groupe de la BM qui se sont révélées être explicitement complices de l’endettement appartenant à Ben Ali. Lorsque Dominique Strauss Khan qualifiait le désastre économique de « miracle tunisien » et recevait sa médaille d’honneur, accroché à son blason par les mains du dictateur en personne, ou bien lorsque Christine Lagarde vient s’assurer de la mainmise du FMI sur la Banque Centrale de Tunisie et sa docilité face aux plans d’ajustement structurel ; aucune allusion fâcheuse n’a été faite concernant l’absence de transparence de la BCT. Aujourd’hui, Christine Lagarde poursuit l’ingérence du FMI dans la politique économique tunisienne notamment avec les ambitions de la nouvelle stratégie biennale qui sous couvert de soutien à la transition démocratique engage la Tunisie dans un nouveau plan d’endettement et d’ajustement structurel dévastateur.

La technicité de l’analyse de la dette extérieure peut se révéler parfois complexe aux néophytes, mais une attention toute particulière sera apportée à la vulgarisation de ce sujet afin qu’il puisse être abordé et compris par le public le plus large. Dans cette étude il est principalement question de la dette extérieure. L’analyse de la dette intérieure est peu abordée du fait de l’absence totale de données permettant un examen approfondi. Toutes les valeurs monétaires sont exprimées en Dinars Tunisiens (noté TND). Les données de la BM exprimées en dollar USD sont converties par le change courant officiel (moyen annuel). Certains calculs ont été réalisés à partir des données de la BM et par soucis de transparence et afin que quiconque puisse les reproduire, ils seront mentionnés dans le texte avec les méthodes de calcul utilisées et les codes de références de la base de données. Les références, lorsqu’elles existent, apparaîtront également sur les graphiques proposés.

Cette étude a pour objectif de mettre en évidence les conséquences de l’endettement national de 1970 à 2010 et les carences de la communication de la BCT. L’appauvrissement de la Tunisie aux profits d’institutions financières et de pays étrangers, la dette odieuse et illégitime appartenant au dictateur Ben Ali, la nuisance de la dette dans l’économie tunisienne sont des faits qui seront démontrés. Ce travail présente de nombreux arguments en faveur du moratoire sur l’endettement de la Tunisie, revendication légitime de la Révolution Tunisienne. Par ailleurs des scénarii d’anticipation et des solutions concrètes sont proposées aux député(e)s de l’assemblée nationale constituante pour légiférer sur l’encadrement et le contrôle de l’endettement extérieur.

II – Distinction entre Stock et Service de la dette

A- Définitions.

Les mots « prêt », « crédit », « emprunt », « créance » et « dette » signifient la même chose. Une dette se définit par son « principal » et ses « intérêts ». Le principal est le capital de l’emprunt. Les intérêts sont l’usure sur l’emprunt. Le « taux d’intérêt nominal » sert à calculer des intérêts à payer à chaque échéance de remboursement. Il est aussi nommé « coupon ». Il est nécessaire de le distinguer du « taux d’intérêts effectif » qui est le rapport entre la totalité des intérêts payés et le principal du prêt. Le taux effectif est le taux réel de l’usure sur la totalité du capital de l’emprunt. Les organismes ou personne physique qui empruntent sont nommés : « débiteurs » ou « emprunteurs » ou « redevables » ou « endettés ». Les organismes ou les personnes physiques qui prêtent de l’argent sont appelés : « bailleurs de fonds », « créditeurs », « créanciers » ou « usuriers ».

Afin de rendre accessible l’étude au plus large public, une mise au point sur la terminologie employée s’impose. Puisque l’essentiel des données de l’étude provient de la BM, ses définitions seront conservées. Ainsi la BM définit le stock de la dette et le service de la dette comme suit :

Le Service total de la dette (DT.TDS.DECT.CD) se définit comme la somme des remboursements annuels du principal et des intérêts payables en devises, en bien ou services sur la dette extérieure de long terme (DELT), les intérêts payés sur la dette extérieure de court terme (DECT), et les remboursements des rachats et frais de dettes par le FMI (figure 2). Autrement dit, le service de la dette représente l’obligation de paiement annuel pour le remboursement des créances.

La dette extérieure à court terme DECT est une créance qui arrive à maturité dans une échéance initiale d’un an ou moins. Les données disponibles à la BM ne permettent pas de distinction entre public et privé. S’il existe des données concernant le stock de la DECT à la BM (DT.DOD.DSTC.CD), aussi étrange que cela puis paraître, il n’existe aucune donnée concernant le service de la DECT. De plus il est à noter qu’à la BM, le principal de la DECT est exclu du service total de la dette. Cette carence a une importance capitale qui sera abordée au fur et à mesure.

La dette extérieure à long terme DELT, qui inclut également la dette à moyen terme, arrive à maturité dans une échéance initiale supérieure à un an ; Certaine DELT peuvent, en fonction des engagements pris, arrivés à maturité dans un délai de 30 ans ou plus ce qui hypothèque fortement l’avenir d’un pays, son financement, ses investissements et surtout les générations futurs qui héritent d’une dette qui n’est pas la leur.

La figure 1 retrace les graphiques de l’évolution du service de la dette extérieure selon la BM, la BCT, L’INS et l’UNCTADSTAT. La période mise en évidence par un fond bleu représente la transition effectué par le gouvernement non-élu et donc fort peu légitime de Beji Caid Essebsi. Les données des différentes sources ne coïncident pas, même entre la BCT et l’INS il existe des disparités notamment de 2001 à 2003. Ces divergences entre les deux institutions montrent le manque de fiabilité dans les données qu’elles présentent.

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Seul UNCTADSTAT déclare explicitement qu’il s’agit uniquement de la dette extérieure de long terme (DELT) et non de la dette totale à court et à long terme. La BCT et l’INS utilise régulièrement ce type de données pour communiquer sur le service total de la dette extérieure de la Tunisie alors qu’il s’agit de la dette à long terme. En ce qui concerne la BM, qui déclare que ces données représentent également le service total de la dette extérieure, il s’agit en réalité de la de la dette à long terme à laquelle il a été ajouté les intérêts sur la de la dette à court terme, sans son principal. Selon les données de la BM, le service de la dette extérieure totalise en 2011 3,747milliards de TND soit 4,1 fois le montant de 1987.

Alors même que dès les premiers jours de la Révolution Tunisienne, la société civile s’exprimait pour l’audit de la dette extérieure et l’annulation de sa part odieuse et illégitime imputable au régime brutal du despote déchu ; le gouvernement illégitime de transition dirigé par un cacique de la dictature, en la personne de Beji Caid Essebsi, s’empressait de payer la dette contestée. En effet, le ministre des finances en la personne de Jalloul Ayed s’insurgeait même contre toute idée de rééchelonnement des emprunts extérieure du pays qui pourtant exigeait plus que jamais la transparence sous l’unique prétexte que le pays était en mesure d’honorer sa dette.

Pendant ce temps, Le gouverneur de la Banque Central de Tunisie, en la personne de Mustapha Kamel Nabli, anciennement employé de la banque mondiale, jouait sur le tableau de la désinformation et garantissait le remboursement des emprunts extérieurs de la dictature par : « un recours aux ressources du budget [de 2011] de l’Etat », dont en réalité il ne disposait pas.

Il est tout aussi curieux d’observer aujourd’hui que, par exemple, le site de la CIA du gouvernement américain est en mesure de publier le chiffre du service de la dette extérieure de la Tunisie pour l’année 2012, avant que celui-ci ne soit communiqué par la BCT et avec deux années d’avance sur l’INS qui n’a toujours pas publié les données pour les années suivants 2010. Il est vraiment judicieux de se poser la question de : Qui produit les données de la dette extérieure de la Tunisie ?

En réalité, la BM décompose le service total de la dette extérieure en six catégories de créances qui sont présentées dans le tableau de la figure 2 :

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Le sigle PNG signifie qu’il s’agit de dettes à long terme de débiteurs privés non garanties par l’état, mais qui restent une obligation extérieure. Elles concernent les dettes placées dans le secteur financier privé tels que les banques commerciales et autres créanciers privés.

Le Sigle PPG signifie qu’il s’agit de dettes à long terme d’origines publiques ou privés et garanties par l’état. Elles concernent les dettes bilatérales (d’état à état), les dettes des créanciers privées parmi lesquelles on compte l’agence française de développement (AFD) et les dettes multilatérales qui comprennent les institutions financières internationales qui sont pour l’essentiel les banques du groupe de la BM et les banques régionales de développement, en l’occurrence la banque africaine de développement (BAD) ou la banque européenne d’investissement (BEI).

Les rachats de crédits du FMI et leurs charges figurent dans une catégorie de créances à part, ce qui distingue ce type de créances de celles du groupe de la banque mondiale.

Enfin, dans le service de la dette communiqué par la BM, figurent les intérêts sur les dettes à court-terme. De manière inexpliquée, le principal des dettes à court-terme ne sont pas comptabilisés, seuls les intérêts le sont. Pourtant, pour les catégories PPG et PNG le principal et les intérêts sont pris en compte. Ce dernier constat a une importance toute particulière qui sera relatée dans la suite de cette étude.

Ainsi, le service total de la dette donné par la BM est égal à la somme des six catégories de créanciers mentionnées dans le tableau de la figure 2. Il est donc question de tous les engagements qu’ils soient publics ou privés, garanties ou pas par l’état, à l’exception du principal de la DECT.

Le stock total de la dette extérieure STDE (DT.DOD.DECT.CD) est la dette due aux créanciers « non-résidents » et remboursables en devises étrangères, en biens ou en services (figure 3). Il est la somme de la dette extérieure à long terme DELT publique garantie par l’état, de la dette privée non garantie, de la dette extérieure à court terme DECT, et des crédits du FMI. Le STDE représente l’ensemble des obligations en cours et redevables en devises et non pas les remboursements annuels. La BCT l’appelle l’ « encours » de la dette extérieure. Autrement dit, le stock total de la dette extérieure est l’héritage de dettes libellées en monnaie étrangères et léguées aux générations futures qui devront s’en acquitter.

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Selon les données de la BM, le STDE de l’année 2010 est d’environ 30,89 milliards de TND. Celui de l’année 2011 atteint 31,44 milliards de TND soit 5,57 fois le montant de 1987, qui était de 5,64 milliards de TND. Ainsi, l’équivalent de 10,88% du stock total de 2010 a été payé au titre du service de la dette, soit 3,362 Milliards de TND (figure 3) et l’équivalent de 11,91% du stock total de 2011 a été payé au titre du service de la dette, soit 3,767 milliards de TND. La BCT, quant à elle, annonce pour l’année 2010, un encours de la dette extérieure de 23,582 milliards et un service de la dette de 3,269 milliards de TND. Pour l’année 2011, la BCT annonce 25,39 milliards de TND de stock de dette extérieure et un service de 3,736 milliards de TND. Le « gap » (écart) entre les données de la BM et de la BCT concernant le stock total de la dette communiquée, réside dans le fait que la BCT ne comptabilise que la dette extérieure à court terme qu’elle élimine délibérément de sa communication publique du stock de la dette. Il s’agit bien là d’une imposture qui été en vigueur sous la dictature et qui s’est poursuivi sous le gouvernement de Beji Caid Essebsi et le gouvernorat de la BCT de Mustapha Kamel Nabli. En 2013, Rien n’a changé sous le gouvernement des islamistes et malgré le limogeage de Mustapha Kamel Nabli et son remplacement par Chedli Ayari en provenance du parti de la Troïka Ettakatol.

B- Reconstitution de la dette extérieure totale de la Tunisie

1- Le service total de la dette extérieure

Aussi bien les données de la BM que celles de la BCT communiquent un service total de la dette extérieure sans comptabiliser la dette à court terme que ce soit en principal ou en intérêts. Il s’agit là d’une manipulation comptable qui dissimule la réalité du service de la dette extérieure de la Tunisie en la sous-estimant. Par ailleurs, que ce soit à la BCT, à l’INS, à la BM ou l’UNCTADSTAT, l’historique des données du service de la dette extérieure à court terme est inexistant. Les données brutes du service de la DECT peuvent être retrouvées par le calcul à partir de données élaborés de la base de données de la banque mondiale.

Ainsi, à partir de l’ensemble des données disponibles à la BM et quelques calculs, il est possible de reconstituer l’évolution du service total de la dette extérieure de la Tunisie, en tenant compte des dettes à court terme (figure 4).

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Étant donné les incertitudes observées sur la qualité des données communiquées par les différentes sources, il faut considérer que l’évaluation proposée se base sur les données de la BM et peut s’écarter elle aussi de la réalité de l’endettement la Tunisie. Cependant, la représentation réalisée est la plus vraisemblable parmi toutes les communications des autres sources et sera conservée pour le reste de l’analyse. Seul un audit rigoureux et indépendant pourra lever les doutes et les incertitudes.

En réalité le service total de la dette extérieure qui comptabilise toutes les dettes que ce soit à court et à long terme, a une évolution exponentielle avec un coefficient de détermination de 0,945 qui confirme cette tendance. Le service total atteint en 2010 la valeur « approximative » de 10,489 milliards de TND et 10,87 milliards de TND en 2011 (figure 4). On constate immédiatement la part due à la DECT qui est à elle seule deux fois plus élevé que le service de la DELT.

Afin de rendre compte du rôle de la DECT, la figure 5 suivante représente l’évolution des proportions pour chaque catégorie de créances.

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Sur la figure 5, on constate qu’à partir de l’année 2001 la DECT dépasse 50% du total du service de la dette extérieure puis atteint les 70% en 2010, avant de se replier sur 67% en 2011. Ceci implique que la Tunisie est également engagée dans une spirale d’endettement à court terme et qu’elle doit rembourser dans un délai inférieur à un an. Cette situation n’est pas soutenable, pire elle est explosive car elle conduit à un endettement massif en accélération exponentielle rapide. La suppression de la DECT du service de la dette a pour première conséquence de masquer la croissance exponentielle de service total de la dette extérieure de la Tunisie.

Ainsi, il apparaît clairement que ni la BCT, ni la BM ne comptabilisent la dette à court-terme dans les chiffres du service total de la dette extérieure de la Tunisie qu’ils communiquent. Cette constatation vient contredire toutes les affirmations chroniques de transparence de ces deux institutions qui en réalité dissimulent une partie l’endettement dans leur comptabilité, ce qui est une véritable imposture.

En 2011, l’endettement à court terme représente plus de 65% du service total de la dette extérieure de la Tunisie. Ce type d’endettement, cette spirale héritée de la dictature, est une épée de Damoclès sur le pays qui met en danger son économie, sa finance, sa souveraineté politique et ce dans un délai très court. L’absence de communication sur la question de la part de la BCT est un constat qui doit conduire les député(e)s de l’assemblée nationale constituante à exiger d’une part un moratoire et d’autre part l’audit indépendant et citoyen de la dette tunisienne de manière urgente et prioritaire.

Dans sa tendance générale, le service de la dette a une évolution exponentielle de 1970 à 2010 avec un coefficient de détermination significatif de 0,945 (bien plus élevée que pour une analyse de régression linéaire). L’analyse de l’évolution du service de la dette a conduit à distinguer cinq périodes entre 1970 et 2010 (figure 6).

La première période s’étend de 1970 à 1986 et représente les 16 dernières années du gouvernement de Bourguiba. A cette époque, le service total de la dette extérieure évoluait autour de 51 millions de TND par an.

Le règne de Ben Ali a, quant à lui, été divisé en deux intervalles principaux : de 1987 à 1999 et de 2000 à 2010. D’une période à l’autre, la croissance du service de la dette est passée de 199,6 millions de TND par an, à 461 millions de TND par an. Deux autres phases ont également été distinguées par l’ampleur de l’accroissement du service total de la dette. D’une part 1998-2003 où la croissance exponentielle s’ajuste particulièrement bien (bleu pointillé sur la figure 6) et où le service total de la dette a augmenté de 823 millions de TND par an. D’autre part 2008-2010, laps de temps où le service total de la dette s’est historiquement accru le plus rapidement avec 1,339 milliards de TND par an. Cette envolée du service de la dette est notamment due à la DECT qui est étudiée dans le paragraphe V suivant.

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2005 et 2008 sont deux années où le service total de la dette a été légèrement diminué ce qui a éloigné la courbe de la tendance exponentielle. Cependant 2008-2010 étant l’intervalle de croissance maximal, l’évolution a repris son accroissement exponentiel remarqué pour la période 1998-2003. Finalement, les diminutions observées pour 2005 et 2008 n’ont pas eu de réels impacts si ce n’est de retarder de quelques années l’envolée du service de la dette.

Les trois périodes 1998-2003, 2000-2010 et 2008-2010 ont été retenues pour fournir trois scenarii de l’évolution possible du service de la dette entre 2010 et 2020. Les taux de croissance pour ces trois intervalles de temps ont été appliqué au service de la dette à partir de 2010 afin d’anticiper la tendance évolutive du service de la dette pour la prochaine décennie. Les résultats des trois scenarii sont représentés sur la figure 7 suivante.

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Des trois scenarii, celui qui correspond à l’évolution de 2000-2010 est le plus optimiste. Dans ce cas de figure, le service total de la dette pourrait atteindre 15 milliards de TND en 2020 ; soit une augmentation de 50% en 10 ans. Le scenario correspondant à l’évolution observé entre 1998 et 2003 est médian aux deux autres. En accord avec cette projection, le service total de la dette pourrait atteindre près de 19 milliards de TND en 2020 ; soit une augmentation de 90%. Enfin, le scenario le plus pessimiste et qui ne correspond pas à l’évolution exponentielle pré-décrite mais à l’évolution observée pour l’intervalle 2008-2010, l’anticipation conçoit un service de la dette à près de 24 milliards de TND en 2020 soit une augmentation de 140%.

Le service total de la dette extérieure de 10,87 milliards de TND constaté en 2011 qui tient compte des emprunts à court et long terme est aligné au scenario optimiste correspondant à l’évolution de la décennie 2000-2010. Il constitue un record absolu jamais atteint même durant la dictature.

Bien que le gouvernement de transition de Beji Caid Essebsi a renoué avec les travers de la tyrannie et qu’il a impunément rejoint les niveaux records de paiement du service de la dette extérieure à long terme des pires années du régime du despote de 2006 (figure 3); Cette effort consentie par ce gouvernement illégitime postrévolutionnaire n’a pas permis à la Tunisie d’être dégradé par l’ensemble des agence de notations.

Alors même que le principal argument régulièrement avancé pour justifier le règlement de la dette extérieure sans audit, ni transparence, en toute illégitimité et impopularité a été la préservation de la note émises par les agences occidentales et la réputation d’un pays solvable ; La Tunisie a vu sa note régulièrement dégradée contre les intérêts du peuple tunisien et qui se situe aujourd’hui parmi les pays à haut risque de remboursement. De toute évidence, les agences occidentales de notation ont préféré la dictature.

Pourtant l’avertissement avait été donné pour éviter un défaut de paiement chaotique aux conséquences désastreuses, en le prévenant par un défaut de paiement raisonné et légal suite à un audit souverain.

Ci-dessous le graphique récapitulatif de l’évolution du service de la dette à long terme depuis 1970 à 2010 (figure 8). A partir de 2010 et jusqu’à 2020, il y a une projection de l’anticipation de la dette à long terme selon trois scenarii correspondant aux tendances de la dernière décennie. Les données de 2011 qui ont été implémentées montrent que le gouvernement de transition des de l’équipe MKN/BCE/JA/EJ ont courbé bien bas leur échine pour accélérer le remboursement de la dette extérieure au moment précis où la Tunisie avait le plus besoin de ses capacités d’investissements. Aujourd’hui la fenêtre de tir pour sauver l’économie tunisienne s’est refermée. Ainsi la réalité du pillage économique de la Tunisie par les créanciers de Zaba a allégrement continué sous le gouvernement de technocrates de Beji Caid Essebsi.

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Ces technocrates ont battu, en 2011, le record de 3,75 milliards de TND en paiement du service de la dette extérieure à long terme, alors même que Jalloul Ayed a refusé catégoriquement tout rééchelonnement de cette dette.

2- Le stock total de la dette extérieure STDE.

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La reconstitution du stock de la dette extérieure totale de la Tunisie par catégorie de créanciers a été réalisée à partir des données de la BM (figure 8). Le STDE atteint en 2010 30,9 Milliards de TND qui inclut la dette à court terme DECT. Elle a été multipliée par 5,47 depuis 1987. Par ailleurs, la DECT et la dette privée non garantie par l’état tunisien jouent un rôle de plus en plus important, soit 33,22% du stock total en 2010.

Les cinq mêmes périodes qui ont été distinguées pour le service total de la dette extérieure ont été retenues pour l’analyse de l’évolution du STDE de 1970 à 2010 (figure 9).

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Le stock total de la dette extérieure STDE a une croissance exponentielle avec un coefficient de détermination significatif de 0,9517. Cette tendance exponentielle s’ajuste particulièrement bien avec la période 1998-2003.

Le STDE entre 1970 et 1987 a évolué de 253 millions de TND par an. Entre 2000 et 2010, il évolué de 1,243 milliards soit un rythme multiplié par 4,9. 1998-2003 et 2008-2010 sont également les deux périodes où l’accroissement du STDE est le plus important ; respectivement de 2,374 milliards de TND par an et 2,650 milliards de TND par an. Le rythme de l’accroissement du STDE pour 2008-2010 est 10,5 fois supérieur à 1970-1987. Là encore les diminutions modérées du STDE observées pour 2005 et 2008 n’ont pas eu d’effet durable car 2009 et 2010 ont effacé cette réduction pour replacer l’évolution globale sur sa tendance exponentielle qui n’a été que très légèrement retardée dans le temps.

Dans les conclusions de son rapport « DETTE EXTERIEURE DE LA TUNISIE 2010 » la BCT affirme ceci en page 29 : « Les engagements du secteur financier ont, également, évolué à un rythme modéré, soit 4,1%, et ce, en relation avec l’augmentation des dettes à court terme sous forme de «monnaie fiduciaire et dépôts. Les engagements à long terme ont, par contre, baissé de 7,8%, suite à la contraction de le stock des emprunts à long terme ».

Selon les données fournies, il est tout simplement impossible d’affirmer de telles conclusions. Les calculs montrent qu’entre 2009 et 2010 :

– La DECT a augmenté de 7,49%
– Le stock de la DELT a augmenté de 4,18%
– Le STDE a augmenté de 5,11%

Là encore la communication de la BCT fait défaut et ne peut être considérée comme crédible. De la même manière que pour le service total de la dette extérieure, trois scenarii sont proposés pour le STDE de 2020 (figure10).

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Des trois scenarii, celui qui correspond à l’évolution de 2000-2010 est le plus optimiste où le STDE pourrait atteindre 43 milliards de TND en 2020 ; soit une augmentation de 39% en 10 ans. Le scénario correspondant à l’évolution observé entre 1998 et 2003 est également médian aux deux autres, pour lequel le STDE atteindrait près de 55 milliards de TND en 2020 ; soit une augmentation de 77%. Enfin, le scénario le plus pessimiste correspond à l’évolution observée pour 2008-2010 et l’anticipation prévoit un STDE de 57 milliards de TND en 2020 soit une augmentation de 84% en 10 ans.

L’endettement extérieur total de 31,44 milliards de TND constaté en 2011 qui tient compte des emprunts à court et long terme est aligné au scenario optimiste correspondant à l’évolution de la décennie 2000-2010. Il constitue lui aussi un record absolu jamais atteint même durant la dictature.

Bien que le gouvernement de transition de Beji Caid Essebsi a renoué avec les travers de la tyrannie et qu’il a impunément rejoint les niveaux records de paiement du service de la dette extérieure des pires années du régime du despote de 2006 (figure 3); Cette effort consentie par ce gouvernement illégitime postrévolutionnaire n’a pas permis de réduire le stock de la dette, sauf de le maintenir dans la tendance décennale de la dictature (figure 10).

Comment est-il possible qu’avec un service de la dette record en 2011, le stock de la dette ne diminue pas ? Tout simplement parce que l’année 2011 a été une année records pour les engagements extérieures (La figure 11). Dans ces conditions il ne peut plus être nié que les nouveaux emprunts contractés après la révolution tunisienne on servit essentiellement à payer les dettes odieuses et illégitimes du régime dictatoriale de Ben Ali.

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En conclusion, l’imposture sur le montant total de la dette extérieure est totale. Outre la CIA, qui communique les montants de la dette publique extérieure tunisienne de 2012, avant même que la BCT ou l’INS ne les communique officiellement au peuple tunisien ; Nous apprenons que par la voie d’Eva Joly, eurodéputée et présidente de la commission développement au Parlement européen, que la dette tunisienne dépasse en février 2013, les 20 milliards d’euros, soit 41,48 milliards de TND. Sans plus tarder, en riposte à Eva Joly, le dénommé Hakim Hammouda, présenté comme un expert économique, annonce un mensonge flagrant en assurant : « que la dette extérieure de la Tunisie était aux alentours de 20 milliards de dinars tunisiens. La dette globale de la Tunisie est estimée à 31 milliards de dinars tunisiens dont 11 milliards de dinars sont des dettes internes ». Hakim Hammouda ne peut être qualifié que de profond incompétent, incapable ne serait-ce que de lire et s’instruire du rapport de la dette de la Tunisie en 2011. Ce rapport édité par la BCT spécifie en page 10, qu’en 2011 l’emprunt interne est de 58,612 Milliards de TND, que les emprunts extérieurs sont de 23,768 Milliards de TND et ce sans que la BCT ne comptabilise les dettes extérieures à court terme. Ainsi la BCT indique que l’endettement total de la Tunisie est de 82,380 milliards de TND, soit 126% du PIB. Dans la mesure où la dette à court terme devait être comptabilisée, l’endettement total de la Tunisie s’élève à plus 129% du PIB en 2010. Autrement dit, le Pays est en état de faillite effective.

Afin d’illustrer l’état de faillite dans lequel le pays se trouve, le graphique ci-dessous montre le niveau d’endettement intérieur et extérieur cumulés de la Tunisie pour 2010 et 2011.

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Ainsi l’endettement total de la Tunisie est passé de 129,03% du PIB en 2010 à 136,67% du PIB en 2011. Considérant l’instabilité politique actuelle et l’anémie économique qui traversent à nouveau massivement le pays, le défaut anarchique du paiement de la dette extérieure devient inévitable. Il n’est plus question d’années, mais de quelques mois.

En 2012, la Tunisie est plus que jamais aspirée par la spirale de la dette. La situation économique excessivement grave, associée à une profonde crise sociale et politique, conduit le pays directement vers un défaut de paiement anarchique dont les conséquences réelles pour le peuple tunisien sont encore difficiles à mesurer. A qui la faute ?

Le dictateur Ben Ali a mis le pays dans une situation inextricable, sauf en usant du droit national pour un audit et un moratoire sur la dette tunisienne et le droit international pour l’annulation de la dette odieuse et illégitime.

Le gouvernement de Beji Caid Essebsi, suivi de celui dominé par Ennahdha ont tous les deux poursuivi inexorablement les crimes de la dictature en matière d’endettement. Ils ont tous les deux ignoré la volonté du peuple tunisien et les objectifs de sa révolution qui lui a été confisquée dans une stratégie de choc sociaal et de contre révolution.

Ben Ali en a rêvé, Beji Caid Essebsi et les salafistes d’Ennahda l’ont fait.