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Lorsque Gainsbourg chantait en France « Aux armes, et cætera », la Marseillaise version reggae irrita alors passablement l’aile conservatrice française. La comparaison est quelque peu anachronique, mais dans la Tunisie post révolution, lorsque les conservateurs, bourguibistes inclus, fêtent l’indépendance, cela agace les ultra conservateurs religieux.

20 mars 2013, les leçons d’une fausse joie

Cette année la fête de l’indépendance était l’occasion d’un débat de fond, avec en filigrane la question du « qui fête quoi ? ». Si les 3 présidences, soucieuses de cultiver une image de la rupture, y compris en matière de protocole, auront assuré le minimum syndical avec une cérémonie aussi sobre qu’expéditive, l’islam politique est confronté à la problématique plus épineuse d’un calendrier des fêtes nationales qui ne rentre pas dans son moule idéologique.

Ils n’étaient que quelques centaines d’irréductibles mercredi à rappeler par leur présence, drapeaux à la main Avenue Habib Bourguiba, que nous fêtions le 57ème anniversaire de l’Indépendance. Ce qui fera à dire à certains que Paris, là où fut dévoilé un buste de Bourguiba dans le 7ème arrondissement, « a fêté plus dignement le 20 mars que Tunis ».

Contraint de réagir face à l’inhabituel spectacle de rues moroses sans décorations, Ennahdha s’est expliqué le jour-même via Ajmi Lourimi, sans convaincre :

« Nous avons préféré nous abstenir d’une part conformément à la politique d’austérité économique prônée par le nouveau gouvernement, et d’autre part pour éviter les rassemblements potentiellement sources de tensions”.

Et tensions il y a eu ! Quand la mobilisation faiblit à la mi-journée, les pro pouvoir ne se contentent plus de l’action de quelques éléments perturbateurs aux visages connus. Le drapeau français est incendié à quelques mètres de l’ambassade de France, comme pour prouver qu’en matière de surenchère nationaliste, la droite religieuse aussi sait y faire.

D’aucuns soulignent que le parti au pouvoir n’affectionne pas les dates connotées par des luttes auxquelles il n’a pas contribué.

Cependant tout comme la répression féroce du 9 avril 2012 était plus qu’un simple excès de zèle sécuritaire, les raisons de cette indifférence sont sans doute plus profondes.

Dans une allocution prononcée le 20 mars, Rached Ghannouchi livre sous forme d’euphémismes quelques éléments de réponse. Il estime que l’indépendance de 1956 contenait des « lacunes originelles », « une indépendance sans libertés, avec une croissance inégale » que la révolution est « venue parfaire ».

Reste qu’en matière de libertés individuelles, le parquet a pour l’instant brillé par son hostilité à toute forme d’art subversif depuis la révolution, et que pour la croissance, le bilan du nouveau pouvoir est loin d’être reluisant.

En réalité, pour des raisons plus dogmatiques, les droites nationalistes et religieuses ne partageront pas de sitôt un même référentiel historique.

Retour sur terre pour le Front Populaire

Partisans du Front à l’entrée du Palais des Sports d’el Menzah. Crédit photo Seif Soudani

Le temps d’une soirée mémorable à la Coupole d’el Menzah dimanche 17 mars, on aurait pu croire à un véritable virage dans le paysage politique tunisien. Jamais la gauche radicale n’aura fédéré autant de Tunisiens qu’au 41ème jour de deuil de Chokri Belaïd.

Dès jeudi le triomphalisme des discours enflammés laisse toutefois place à la réalité beaucoup plus mitigée des sondages. En examinant le dernier baromètre politique 3C en date, tout porte à croire que l’enthousiasme autour du parti de Belaïd n’aura duré qu’un temps.

D’un pic de plus de 12% d’intentions de vote au lendemain du meurtre, la même statistique se stabilise autour de 9%. Une baisse ostensible qui profite aux deux premiers pôles traditionnels Ennahdha – Nidaa Tounes. Indéboulonnables, ils réaffirment leur suprématie avec un tiers des intentions de vote chacun.

En déplacement avec une délégation officielle en Allemagne, Moncef Marzouki a eu affaire à ce schéma qui s’est traduit par l’intervention remarquée d’une tunisienne nostalgique du bourguibisme. Elle interpelle le président en regrettant la sécurité d’antan.
Nous ne sommes pas exactement dans des considérations de gauche, si ce n’est la défense convenue du vieux CSP, mais cela suffit à faire le buzz sur les réseaux sociaux.

Le foot s’invite dans l’arène politique

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Selim Riahi

Le début de la semaine politique a par ailleurs été marqué par le retour de l’argent roi. Faute d’avoir pu obtenir plus d’un siège à l’ANC, le capricieux chef de l’UPL, Slim Riahi, s’était offert un club de football. C’est à cette situation de cumul des fonctions que le secrétaire général du gouvernement a décidé de mettre fin par une mise en demeure.

L’affaire connait un dénouement à l’amiable avec un renoncement programmé au Club Africain. Mais au passage, une amère réalité se rappelle au bon souvenir des politiques : survivance d’un débat politique muselé sous l’ancien régime, les virages des stades de foot restent ce lieu de prédilection de luttes alternatives débridées. Ils sont à ce titre encore intouchables, capables d’enflammer les rues autant que le social.

L’autre illustration du rôle non négligeable joué par le public des stades dans le champ politique est son omniprésence au sein des Ligues de protection de la révolution.

Le président Marzouki a profité des solennités du 20 mars pour officialiser lors d’un discours sa proposition de « dissoudre les LPR qui ne se soumettent toujours pas à la loi régissant les associations ». Une position minoritaire au sein même du CPR, son propre parti.

S’en suit une passe d’armes indirecte entre lui et Hamadi Jebali qui affirmait aussitôt dans les médias que « l’ère des dissolutions sur décision politique est révolue ».

En attendant, la Ligue nationale s’est fendue d’un communiqué sur le ton de la défiance à la lecture duquel on comprend bien que les LPR restent seuls maitres de leur sort.

Seif Soudani