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Un an après une répression aussi féroce qu’incompréhensible, le 9 avril était cette année particulièrement attendu. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, mais la veille de la 75ème commémoration de martyrs, les déclarations d’Ali Larayedh, totalement dans le déni, ne font rien pour apaiser le traumatisme d’un épisode noir de l’après révolution.

« Pour moi l’affaire est close, il n’y avait pas eu mort d’homme »

, déclarait l’ex ministre de l’Intérieur, nonchalant.

Sur le plan strictement sécuritaire, son successeur à l’Intérieur a marqué des points, démontrant au passage les bienfaits du fameux « tahiyid », le fait de rendre neutres les ministères régaliens.

Crédits photo : Seif Soudani

L’Avenue Bourguiba et le mur de séparation

Mais le prix d’une célébration plurielle du 9 avril fut une certaine institutionnalisation de la discorde. Cordons policiers et barrières ont concrétisé ces lignes de démarcation idéologiques qui clivent désormais dans la durée les Tunisiens.

En assistant au montage matinal d’une tribune aux couleurs d’Ennahdha, on comprend alors rétrospectivement le pourquoi de la non célébration officielle du 20 mars dernier. La thématique du martyr sied mieux à l’agenda des idéologues conservateurs.

Non seulement le mouvement islamiste peut faire valoir ses propres martyrs, mais lors de la bataille des décibels des hauts-parleurs, la question controversée de « la compensation morale et financière » des survivants sera évoquée.

En face, une sympathisante Nidaa Tounes se lâche : « on les avait mis en prison pour une bonne raison ! ». A ce moment de la journée où les Ligues de protection et Nidaa Tounes se narguent mutuellement, on se dit que l’Avenue compte deux rives droites. D’autant que lors d’un concert à Bab Souika, l’appel à la prière sera levé par le camp dit moderniste.

Loin de ces variations sur le même thème, le réseau Doustourna et le Front Populaire ont quant à eux fait marche commune en défilant seuls, histoire de marquer leur différence.

Sain pour les uns, ce paysage de profonde division est préoccupant pour d’autres. Est-ce la simple expression du pluralisme d’une démocratie naissante ? Probablement sans le vouloir, c’est le LPR Recoba qui y répondra d’une façon étonnamment démocrate, entre deux chants orduriers : « Peu importe, quand tout cela sera fini, chacun rentrera chez lui pour reprendre une vie normale ».

Le Marzouki-bashing

On connaissait déjà le Qatar-bashing, le petit émirat s’étant attiré au fil de ses acquisitions et son sponsring politique des « haters » à la mesure de ses ambitions.

Un nouveau sport national est plus pratiqué que jamais ces derniers temps, le Marzouki-bashing, dérivé du premier. Déjà étroitement scruté par l’opinion, épié dans ses moindres pas et faux pas par des réseaux sociaux facétieux, le président provisoire s’attend sans doute à une fastidieuse promo de son dernier livre.

Avant de s’envoler pour Paris où il est accueilli par le courroux trash des Femen, il trouve le moyen d’être au centre d’une vague d’indignation double à domicile, lorsqu’il menace de représailles ceux qui feraient preuve d’« irrévérence » anti Qatar. Un zèle surprenant pour un laïque.

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C’est mon chèque !

L’occasion de cette déclaration de loyauté fut elle-même source de chamailleries protocolaires.

Lors d’une cérémonie de remise du premier chèque de recouvrement des biens mal-acquis de l’ancien régime, le gouverneur de la Banque centrale Chedly Ayari, celui-là même qui fut le candidat de la troïka à ce poste, s’estime lésé et claque la porte du Palais, furieux.

Quand bien même la remise est symbolique, il estime qu’elle lui revenait de droit en tant que chef de la commission de recouvrement de l’argent spolié.

Argent toujours, si le nouveau ministre de la Justice s’est prêté au jeu à la mode des déclarations du patrimoine, au sommet de l’Etat tout le monde, y compris Marzouki, reste muet, alors que le délai prévu à cet effet arrive à expiration, selon une ancienne loi datant de 1987 et réactivée par Noureddine Bhiri.

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Quelle visibilité pour le VDS ?

La semaine politique s’achève dimanche 14 avril sur un meeting populaire d’un parti que l’on avait presque oublié. Au Palais des Congrès, al Massar, ex Pôle Démocratique Moderniste, entend prouver, et peut-être « se prouver », qu’il y a une vie après Ettajdid. Englouti par la machine électorale Nidaa Tounes, le parti peine à exister.

Surtout que sa frange la plus à gauche, le Collectif nationale des indépendants du Pôle, menée par Riadh Ben Fadhel, a déjà choisi une identité sans ambiguité en se rapprochant du Front Populaire.

Au moment où le pays fait face aux exigences drastiques du FMI, une gauche radicale plus sonore semble être la seule à même de faire la lumière sur cette autre confiscation potentielle de la révolution, par une politique économique que même feu Thatcher n’aurait pas reniée.

Seif Soudani