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17 décembre 2010 – 14 janvier 2011: « Un grand corps mort qui ne fait plus peur à l’histoire. »

En s’évadant, il a laissé tout un lourd héritage auquel sont confrontés les patriotes censés serrer les rangs pour réussir leur combat pour l’emploi, la liberté et la dignité nationale. Mission extrêmement sensible, d’autant que le mouvement populaire, en se réveillant en décembre 2010, a déclenché un processus parallèle conservateur et rétrograde suffoquant l’achèvement des objectifs de la révolution boiteuse qui est en train de rebrousser chemin selon certains…

Il est fondamental donc qu’un bilan soit dressé pour mieux comprendre la conjoncture et mettre la lumière sur le CAS tunisien, déclencheur du « Printemps arabe » et précurseur d’une nouvelle ère de protestation sociale et politique mondiale.

Certains pensent que la contre-révolution ne s’est déclenchée qu’après le départ de Ben Ali, contredisant par ce constat qu’un arsenal de moyens médiatiques et « sécuritaires » se soit mis en marche dès l’immolation du vendeur ambulant à Sidi Bouzid .L’objectif était de discréditer les protestants en les réduisant à une poignée de voyous et de hors-la-loi et de disqualifier évidement les personnalités syndicales et politiques au secours du premier sit-in au siège du gouvernorat.

Dans ce contexte, le régime s’est créé « ses véritables interprètes et porte-paroles » à travers certaines figures médiatiques. Les « véritables capitaines siégeaient derrière les comptoirs ». Les journalistes mercenaires quant à eux ont lancé une offensive médiatique en appui aux crimes des forces de « l’ordre ». Leurs plumes viennent contrarier le peuple, ce géant qui tente de briser ses chaines. Les ministres du palais présidentiel ont vainement essayé à leur tour d’apporter de l’oxygène à leur président maitre. Takari, ministre de la Justice et celui de la Jeunesse Samir Alabidi se vantaient publiquement du droit de l’état à « ramener à la raison l’anarchie ».

La bourgeoise défendait son outil d’oppression de classe en qualifiant de forces occultes ceux qui veulent semer la violence et la destruction des biens publics. Le fascisme met à sa disposition les médias, un parti faussement membre de « l’internationale socialiste » et une police assoiffée de sang dans le cadre de la théorie de la lutte contre la conspiration déclarée solennellement par Ben Ali, assimilant le soulèvement à une anarchie de conspiration en comparant les protestants à un « animal primitif », « affranchi de raison et livré à ses instincts ».

Lors de cette phase, il était principalement question pour le parti encore au pouvoir de maintenir « l’ordre » et de renforcer le pouvoir de l’état policier, seul recours de la bourgeoisie subalterne en absence d’alternative économique et sociale. La famille mafieuse et ses alliés n’étaient pas prêts, se justifiant par l’intérêt national, à céder la place à une nouvelle société en naissance. Le révolu rcdiste se battait pour son « droit » de cité, refusant par la violence, par le mensonge et les promesses Bidons la levée fatale d’une nouvelle société libre (300 000 postes promis par Ben Ali lors de son dernier discours le 13 janvier 2011 !). Le bilan : des centaines de martyrs et de blessés fusillés.

Il était clair pour les forces patriotes que la dictature ne pouvait s’effondrer d’elle-même, elle se renverse par ses propres victimes en pleine action révolutionnaire. La démocratie s’édifie à son encontre et sur ses vestiges. Ben Ali a fini par s’enfuir en prenant conscience que son arme (l’État) ne pouvait plus résister malgré des appels de « calm down ».Bref, cette première phase qui précède le 14 janvier montre bien que la bourgeoisie mafieuse en Tunisie, bras de fer de la contre-révolution depuis le 17 décembre 2010, était fortement consciente du rôle de l’État dans l’étouffement du soulèvement.

Le peuple, quant à lui, avait ses propres convictions ; ce régime ne méritait plus de régner et il devait « dégager ». En effet, les abus du capital mafieux « inquiétaient » les États-Unis ; Michèle Alliot-Marie, quant à elle, proposait hideusement d’envoyer des gendarmes français pour contenir la foule, c’est dire maintenir le partenaire privilégié de la droite française dans le cadre de la géostratégie internationale.

Le mouvement populaire tunisien, en essayant de conquérir son état populaire capable de répondre à ses exigences, a démasqué entre autres la démocratie de la droite française et américaine, ennemi des peuples et des nations. Notons que les conditions objectives de soulèvement populaire étaient remplies depuis le mouvement du bassin minier en 2008 et celui de Skhira et Ben Guerdene en 2009 et 2010, qui exprimaient au fond la crise du système d’ajustement structurel imposé par le FMI depuis les années quatre-vingt et qui a donné la fourchette à Ben Ali dans le but de mettre en place un régime politique dictatorial, la parfaite façade politique qui peut garantir les intérêts des ces établissements.

Bouazizi était en effet le déclencheur, un fait anodin, qui a mis à nu un système défaillant depuis sa naissance par ses choix économiques et sociaux et par l’oppression qui a contribué à serrer les rangs de la masse laborieuse et d’une grande partie de la petite bourgeoisie, venue s’allier aux sans-emplois pour la liberté, la dignité nationale et l’emploi.

L’opposition libérale était présente dans les alentours, en pompier, acceptant l’initiative du gouvernement d’unité nationale proposée par Ben Ali le 13 janvier, certaines figures ont entamé des entretiens avec les autorités et leurs correspondants, mais tout un bain de sang a suffi à l’ensemble du peuple pour tourner le dos à cette scène inappropriée et voter non contre cette volonté de détournement .

En effet, et grâce à cette autodétermination un rendez-vous avec l’histoire a eu lieu le 14 janvier à l’avenue Habib Bourguiba. Il faut noter que beaucoup d’acteurs politiques de la phase postrévolutionnaire, y compris Ennahdha, ont applaudi au discours « courageux » du 13 janvier (voir l’allocution de Zied Doulati à Aljazeera le même soir). Seules certaines forces patriotes sont restées sur leurs positions, appelant Ben Ali à dégager, lorsque la protestation a envahi Tunis.

À ce moment de l’Histoire, on assiste donc à la réalisation du premier exploit de la révolution tunisienne : une tête mafieuse a été décapitée, mais son corps est toujours en vie, ce qui explique les tentatives réactionnaires auxquelles nous assistons depuis la fuite de Ben Ali.

L’ÉTAT demeure historiquement et politiquement le point de conflit autour duquel gravitent les forces antagonistes, mais les peuples ne perdent jamais le chemin…

Par Ferid Rahali
À suivre