Le protocole d’accord signé, le jeudi 18 avril à 18h, entre l’UGTT et Téléperformance, vient clore près de trois ans d’un bras de fer mouvementé qui a ponctué cette dernière année de plusieurs grèves et d’un sit-in au siège de la société française.
Une grille de classification, le réexamen des licenciements et sanctions abusifs du 26 février 2013, la réintégration des 14 salariés mis en PFE (Fin de période d’Essai) le 2 avril 2013 ainsi que l’absence de poursuite et de sanctions les participants du sit-in de Kheirredine Bacha ont notamment été acceptés.
Des concessions des deux parties, mais un accord satisfaisant
« Comme pour toute négociation, chacun a fait des concessions, mais les points les plus importants ont été satisfaits. » a expliqué Lamjed Jemli,coordinateur du secteur privé à l’UGTT.
La grille de classification source d’une grande partie des conflits (depuis l’accord de 2010, qui l’avait spécifiée, mais qui n’avait pas été appliqué) va finalement être mise en place. Elle permettra ainsi d’harmoniser les rémunérations, les promotions de postes, et l’ancienneté des salariés.
La direction s’engage également à réexaminer (avec la présence de membres du syndicat) les avis du conseil de discipline du 26 février 2013 qui s’était soldé par de nombreux licenciements et sanctions abusifs. D’autre part, TP (Téléperformance) va proposer aux 14 salariés mis en PFE (Fin de période d’Essai) le 2 avril 2013 de réintégrer la société entre le 1er et le 15 mai sur les centres, “en fonction des besoins identifiés” et en prenant en compte “leur ancienneté arrêté le 2 avril.” L’article 1er du protocole d’accord stipule également que les participants du sit-in de Kheirredine Bacha ne seront ni sanctionnés ni poursuivis pour cette raison.
Retour sur les termes d’une conciliation presque inattendue et sur cette victoire du syndicat tunisien.
Il est 18 heures au siège de l’UGTT, place Mohamed Ali à Tunis: les journalistes conviés à la conférence de presse auront pu assister à la signature du protocole d’accord en direct et aux poignées de main échangées, sous les applaudissements, des membres de la direction de TP et du syndicat tunisien. Une image qu’on aurait eu du mal à imaginer quelques jours auparavant , tant la tension entre ces deux acteurs avait atteint des sommets.
L’accord tant attendu aura été le fruit de près de 10 jours de négociations ininterrompues, réparties sur différentes réunions au siège de l’UGTT, et d’une correspondance, entre Belgacem Ayari,Secrétaire adjoint de l’UGTT en charge du secteur privé, Lamjed Jemli, la direction de TP et Olivier Rigaudy, le Directeur général finance de Téléperformance France, spécialement dépêché pour jouer les démineurs.
Un accord tout frais précédé la veille de la levée du sit-in auquel participaient trois salariés, également en grève de la faim à savoir Ali Ourak, Slim Ben romdhane et Mohamed Jriri. Ces derniers ayant quitté le local kheirredine Bacha, la veille à 20h, ont été accueillis en héros par leurs collègues, amis et familles, après y avoir passé 50 jours.
De nouveaux interlocuteurs pour apaiser les négociations
Beaucoup des acteurs du conflit s’accordent pour admettre qu’une « ligne rouge a presque été franchie ». Face aux tensions accumulées sur plusieurs mois de confrontation et la quasi-rupture de communication entre les deux parties, une décision d’un commun accord a permis aux négociations de se dérouler sur de meilleures bases en étant menées par de ‘nouveaux’ interlocuteurs.
Belgacem Ayari, Secrétaire adjoint de l’UGTT en charge du secteur privé, Mongi Ben Barek, Secrétaire général de la fédération des Postes et Télécommunications et Lamjed Jemli, coordinateur du secteur privé à l’UGTT prennent alors le relais, tandis que du côté de la direction de TP, Olivier Rigaudy est envoyé pour relancer le dialogue, mais également réaffirmer l’attachement du groupe français au marché tunisien.
Une victoire pour le syndicat de base TP et l’UGTT
L’UGTT estime avoir renforcé sa position d’interlocuteur de poids dans le paysage syndical tunisien, mais également sur la scène économique du pays. Belgacem Ayari, ne manquera pas à ce propos de rappeler au passage que c’est bien au sein de L’UGTT que l’accord a pu être trouvé.
Une conciliation, modérée par le ministre du Travail, lui-même ancien salarié de Téléperformance jusqu’en 2004 et où son épouse est encore employée, le vendredi 12 avril, n’avait d’ailleurs pas porté ses fruits. Une initiative et des résultats, accueillies de manière narquoise par plusieurs salariés, et qui ont été décrits par l’un d’eux comme
« la déficience de l’Exécutif. Il n’est absolument pas à la hauteur de son rôle de protecteur des intérêts des travailleurs et du peuple tunisien. Ils n’ont cherché qu’à calmer superficiellement, sans réellement chercher un accord satisfaisant pour les deux parties ».
L’engagement des différents membres des syndicats de base TP sur les sites ainsi que de leurs secrétaires généraux Sami Houli, Sami Ltaeif, Ali Ourak, et la mobilisation importante des salariés lors des grèves -jusqu’à 92% sur le site Charguia 2 – a également joué en la faveur de leur cause en leur permettant de présenter un front uni et solide depuis plusieurs mois. Une ténacité et une endurance partagées par les trois salariés qui jusqu’à hier encore étaient en sit-in.
Dans ce contexte de conflit, le Forum Social Mondial aura également servi de plateforme sur le monde, faisant entendre la grogne et les revendications tunisiennes bien au-delà de leurs frontières géographiques.
Accord … ou trêve ?
Derrière les poignées de main et les sourires de circonstances semble, par contre, se cacher un reste de méfiance de certains membres du syndicat et un semblant de grincement de dent de la part de la direction de TP… Un certain relent de « on n’a pas encore dit notre dernier mot ».
Ces reliquats d’un passif chargé risquent-ils d’enrayer cette nouvelle ère de ‘communication et de dialogue ouvert’ ?
Questionné sur l’application de cet accord Rafik Saïdi, Directeur adjoint Ressources Humaines de TP, répondra par un bref et peu ‘enthousiaste’ :« On espère…on va essayer. »
Bertrand Durazey, Directeur général de Téléperformance, s’est dit heureux de voir le dialogue reprendre avec les salariés et le syndicat, prônant plus de communication entre les interlocuteurs, mais souligne tout de même « qu’il faut raison garder » et que les différents acteurs avaient pratiquement touché une ligne de non-retour.
Lamjed Jemli, heureux de l’accord, se veut positif et salue la reprise commune du dialogue avec la direction de TP:
« Je pense que les désaccords étaient basés sur un malentendu et un manque de communication. A un moment, les deux interlocuteurs s’étaient ‘diabolisés’ l’un l’autre. »
Belgacem Ayari, quant à lui, tout en réaffirmant sa disposition positive envers TP et sa volonté de dialogue, remarquant que l’«on ne peut pas aimer son pays et fermer des employeurs importants », insistera également sur l’importance de la dignité et des droits des travailleurs en Tunisie.
Si la satisfaction d’un côté, et le soulagement de voir l’activité se stabiliser de l’autre sont de mise, plusieurs semblent cependant rester quelque peu sur leurs gardes ; en attendant de voir comment se déroulera l’application de l’accord sur le terrain.
L’enthousiasme affiché par certains est tempéré par certains salariés et membres des syndicats de base des sites TP. Najla Naqdh, du syndicat du site TP 2bis, estime que certains articles sont flous et pourraient donner lieu à des irrégularités, voire plus, sur le terrain ajoutant qu’elle est convaincue qu’ils n’ont signé l’accord que parce qu’ils étaient acculés et sans réelle volonté de communiquer ou d’humaniser leurs pratiques de travail.
Ils ne pensent qu’à leur strict intérêt. Nous ne sommes que des chiffres pour eux, pas des individus. S’ils ont finalement signé, c’est parce que lors de la dernière grève, ils ont perdu 2 points en bourse et que leur image s’est dégradée…Je ne leur fais pas confiance, ils se sont comportés d’une manière très très retorse avec nous… mais je leur laisse une petite marge de doute en espérant que cet accord va réussir.
L’autre point de méfiance est le climat interne malsain de TP. De nombreux salariés, téléconseillers, formateurs ou responsables d’équipe se sont plaints de pressions psychologiques et financières allant jusqu’à l’harcèlement ou de fait de corruption. Beaucoup préfèrent d’ailleurs témoigner anonymement de peur de représailles. Des pratiques qui, d’après eux, seraient fortement ancrées, au vu et au su, mais également avec la participation active de responsables. Pas sûr que l’accord puisse, comme par magie, résoudre ce problème-là …
Pour lire le protocole d’accord entre UGTT et TP
1 ans et demi presque de débat pour avoir ça.