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A l’occasion de la journée mondiale contre la torture, divers évènements ont eu lieu à Tunis pour rappeler à la mémoire collective, que certains tortionnaires de l’ancien régime n’ont toujours pas été jugés et que la pratique de la torture existe encore.

« Le lourd héritage de la torture risque d’être transmis » les mots de Gabriel Reiter directrice de l’OMCT (Orgaisation Mondiale Contre la Torture) à Tunis clôturent la fin de l’exposition Sous le jasmin d’Augustin Le Gall. Les séries de photographies de ces victimes, torturées sous Bourguiba pour certaines, sous Ben Ali pour d’autres et même pendant et après le 14 Janvier pour le reste, sont restées deux mois à la Maison de la culture Ibn Rachiq. Sensibiliser les Tunisiens à une histoire qui reste encore taboue, le but de l’OMCT semble trouver ses limites puisque la conférence de presse tenue à l’occasion de la fin de l’exposition a rappelé les tristes cas de torture qui perdurent après le 14 Janvier.

Au moins 150 cas de torture enregistrés par l’OCT après le 14 Janvier

La militante des droits de l’homme Radhia Nasraoui parle de plus de 150 cas recensés à l’OCT (l’organisation contre la torture) depuis le 14 Janvier :

« Certaines plaintes portent sur des sévices commis sous Ben Ali. Elles concernent des gens qui avaient été torturés mais qui n’osaient pas porter plainte contre les agents de police. Les autres cas concernent des tortures après le 14 Janvier ».

Gabriele Reiter ajoute que le « processus tortionnaire est loin d’être fini. Nous avons enregistré de nombreux cas de torture depuis avril 2011. » Radhia Nasraoui parle de trois morts, décédés en 2012 à la suite de mauvais traitements dans les prisons et d’un mort décédé à la suite de torture dans un commissariat de police. « Les pratiques restent les mêmes : passage à tabac, viol, techniques du poulet rôti… » ajoute-t-elle.

Dysfonctionnement de la justice

Peut-on parler de torture lorsque les forces de sécurité continue d’exercer des violences à des fins punitives ? C’est la question posée par l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) et TRIAL (Track Impunity Always) qui souligne que si le phénomène tortionnaire n’existe plus en Tunisie, sa pratique, elle, perdure. Les deux ONG ont dénoncé dans une conférence de presse tenue mardi 25 juin, les dysfonctionnements de la justice qui n’a toujours pas jugé certaines affaires de torture notamment celles perpétrées par les responsables au ministère de l’Intérieur. Elles ont souligné qu’une seule condamnation avait été émise dans un procès pour torture depuis la révolution, une peine qui a été réduite à deux ans de prison avec sursis en appel. Les deux associations ont donc travaillé conjointement avec des avocats tunisiens sur 14 dossiers de torture en Tunisie afin de déposer des plaintes pour les victimes. « Souvent les agents arrêtés s’en tirent avec des procès pour « violence » et non plus pour « torture » alors qu’il s’agit bien de cela. » déclare Radhia Nasraoui. Selon le CNLT, en 2008 près de 1250 cas de torture ont été recensés ainsi qu’une liste d’une centaine de tortionnaires (Pour la période 2005-2007), mais le chiffre serait bien en-deçà de la réalité selon l’ACAT et les cas de torture ont continué en 2009 et 2010.

L’acte de torture est condamné par l’article 101 bis du code pénal tunisien depuis 1999.

« Est puni d’un emprisonnement de huit ans, le fonctionnaire ou assimilé qui soumet une personne à la torture et ce, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Le terme torture désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elles ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou lorsque la douleur ou les souffrances aiguës sont infligées pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. »

Cet article a pourtant été réformé en 2011 par le gouvernement provisoire, rendant la loi plus vague selon l’ACAT « Si les peines ont été alourdies dans certaines circonstances, la définition du crime de torture a été restreinte et le Code prévoit à présent des clauses d’exonération de responsabilité aux conditions d’application très floues. »

Culture institutionnelle de la torture

Si ces ONG ont pointé les défaillances de la justice à s’occuper du phénomène tortionnaire, Radhia Nasraoui a dénoncé une « culture institutionnelle » de la torture.

« Il faut des instructions d’en haut. Du temps de Ben Ali, je me souviens très bien qu’en 1995 nous avions enfin eu un écho auprès du gouvernement et le président avait déclaré qu’il établirait une commission d’enquête sur les cas de torture en prison. Il y a eu un petit moment d’accalmie et puis, évidemment, ça a repris puisque ce n’était qu’une façade. Mais cela montre bien que lorsque le Ministre de l’Intérieur donne des instructions, les policiers et les gardiens de prison suivent. »

Un manque de communication avec le ministère de l’Intérieur

Radhia Nasraoui a en effet dénoncé le manque de communication avec les deux ministres de l’Intérieur, Ali Larayadh et Lotfi Ben Jeddou à ce sujet. « Nous n’avons jamais été reçus malgré nos demandes récurrentes. Rien n’a été fait au niveau institutionnel pour réellement empêcher la torture après le 14 Janvier. Seul Lazar Karoui Chebbi, ancien ministre de la justice avait rédigé une note sur la prévention contre la torture, nous avons également pu établir un dialogue avec Directeur général des prisons mais ce n’est pas suffisant.» Ce manque de communication entre la société civile et le Ministère de l’Intérieur pose question d’autant plus que l’actuel Ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a été le juge d’instruction qui a procédé à l’instruction des plaintes déposées entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 pour les violations commises sur les manifestants de la révolution à Kasserine (21 morts et 400 blessés). Lui-même avait rencontré de grandes difficultés dans son instruction et notamment dans la communication avec le ministère de l’Intérieur à propos de certains dossiers.

L’instance nationale de prévention contre la torture toujours inexistante

La Tunisie a ratifié le 29 juin 2011 le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture (entrée en vigueur le 28 juillet 2011), le témoignage des personnes violentées dans les commissariats ou encore la mort de deux salafistes en grève de la faim en prison pendant l’année 2012 montre que les mauvais traitements persistent. Le 21 mai 2013, le Ministre des Droits de l’homme et de la justice transitionnelle, Samir Dilou, s’est dit « mécontent » du travail de l’Assemblée sur la gestion du projet de loi relatif à la prévention de la torture. Le projet de loi prévoyant la mise en place d’une instance a été soumis en novembre 2012 à l’ANC et débattu en commissions. Il n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour dans les votes en séance plénière. « Il faut vraiment sensibiliser d’avantage l’opinion publique, » commente Gabriele Reiter « ce n’est pas normal qu’aujourd’hui, des Tunisiens s’étonnent encore lorsqu’on leur parle de la torture en Tunisie. »

Accrochés aux murs, les 34 portraits immortalisés par Augustin Le Gall sont là pour rappeler à la mémoire collective un passé encore présent. Les photographies partiront pour Béja demain, le début d’une exposition itinérante afin de montrer à tout le pays cette réalité encore trop actuelle aujourd’hui.