Le retrait inattendu du général Rachid Ammar de la vie « politico-militaire » a donné le “la” de la dernière semaine du mois de juin, une semaine marquée par un chassé-croisé estival, passe d’armes indirecte avec un président Marzouki qui reprend la main, sur fond d’âpres débats autour de la loi d’immunisation de la révolution.
« La démission sera télévisée »
Il s’était presque fait oublier si ce n’était le bourbier Châambi. Sorti par la petite porte pour certains, par la grande pour d’autres, ce sont les modalités de la sortie du chef d’état-major interarmées qui resteront assurément dans les annales.
Lorsqu’un jour vous m’aviez contacté, j’avais perçu chez vous une grande estime de l’institution militaire. Cela m’a ému et c’est pourquoi je vous avais alors promis que si un jour je devais m’exprimer, je le ferais chez vous.
Rachid Ammar
C’est en ces termes que Rachid Ammar, s’adressant à l’animateur vedette d’un talk-show télévisé, justifiait en direct cette entorse au code de conduite militaire qualifiée de « cirque » par nombre d’observateurs, au lendemain de sa diffusion.
Si l’on se doutait déjà que le général auréolé d’une part de mythe n’avait cessé d’être une figure influente dans les sphères politiques depuis les événements de la révolution, le récit volubile qu’il fait de son bilan donne à voir un véritable décideur ayant tenu un rôle clé dans tous les processus décisionnels depuis 2011.
C’est en soi un fait inédit pour un pays où l’on pensait que l’armée était à mille lieues de ce qu’elle représentait dans d’autres pays du Printemps arabe.
C’est également durant les trois heures d’une émission d’auto plaidoyer que le général fera de la politique, s’autorisant même une très alarmiste évaluation de la situation socio-économique du pays.
Mais alors pourquoi partir, pourrait-on se demander, si l’« amiral » pense que le bateau Tunisie coule sous nos yeux ? Quand Rachid Ammar, dépité, réduit les années Ben Ali à un simple « déficit de libertés », on comprend que l’on est en train d’assister à ce qui ressemble à un “coming out” contre-révolutionnaire du général.
Exposée dans un contexte civil, sa vision forcément sécuritaire et nationaliste plaît à l’auditoire de droite qui en fait aussitôt un présidentiable, notamment dans sa région du Sahel. Certains quotidiens oseront même dès mardi un type de gros titres qui a la peau dure, le fameux « Reste ! ».
L’Histoire jugera si la révolution tunisienne avait ou non un homme providentiel en la personne du général Ammar ; nous pouvons d’ores et déjà conclure en revanche que la révolution mérite une meilleure presse.
Indéboulonnable, Marzouki contre-attaque
Le 26 juin, ce qui devait être une séance plénière symboliquement historique à l’Assemblée constituante, se mue en énorme cafouillage.
Lors du vote préliminaire de la motion de censure contre le président Marzouki, l’ensemble du Bloc démocratique n’a pu voter à temps, suite à un malentendu lié à la formulation de la question à l’ordre du jour par la vice-présidente de l’ANC.
Résultat : 9 voix pour, 5 abstentions et 99 voix contre. La motion est d’emblée rejetée sur plan de la forme. La présidence peut jubiler (et sans doute aussi rigoler).
Quarante-huit heures après avoir accepté le départ à la retraite du général qui avait omis de l’informer de la livraison de Baghdadi Mahmoudi aux autorités libyennes, Marzouki peut estimer que l’ANC lui réitère sa confiance. L’Assemblée où il ne comptait de toute façon pas se rendre selon son porte-parole, faute d’un texte suffisamment clair au sujet du retrait de confiance.
Surprise samedi 29 : fort de cet état de grâce, le président provisoire se livre à un exercice peu orthodoxe en s’invitant sur plusieurs chaînes, dont la TV nationale, pour une sorte de rencontre-débat avec le constitutionnaliste Yadh Ben Achour comme intervieweur d’un soir.
Assez serein malgré la non complaisance de son vis-à-vis, on redécouvre un Marzouki endossant le costume régulateur qui lui incombe au sein de la troïka : là où Ennahdha et le CPR poussent en faveur de la loi d’exclusion politique, il oppose un non à la loi.
Concrètement inopérante, sa position reste moralement importante en ce qu’elle donne un gage de « non-agression » en direction de la Tunisie représentée par Ben Achour, juriste proche de Nidaa Tounes.
Cette fois c’est sûr, via une riposte “soft” savamment dosée, la campagne pour les présidentielles est bel et bien lancée.
La révolte des cheveux grisonnants
La loi dite d’immunisation aura au moins eu un effet salutaire : un an et demi après le début de ses travaux, l’Assemblée constituante fut le théâtre jeudi des premières envolées lyriques véritablement révolutionnaires.
Quelles que soient les positions des uns et des autres par rapport au projet de loi, force est de reconnaître que les puissantes tirades passionnées de Béchir Nefzi (bloc CPR) ou encore d’Azad Badi (bloc Wafa) ont réinsufflé à cette enceinte sa vocation première. Une âme révolutionnaire qui fait ironiquement défaut au texte du projet de Constitution qui en a émané.
« Too little too late » ? Comme pour justifier leur vote, les élus de la majorité ont éprouvé le besoin d’énumérer les méfaits de l’ex-régime sur le mode du rappel cathartique.
Quoi qu’il en soit, les résultats du vote sont sans appel. On se dit alors en découvrant l’ampleur du camouflet subi par le non (96 oui contre 36 non et 3 abstentions) que Nidaa Tounes n’osera peut-être pas maintenir sa manifestation de samedi au risque de passer pour anti-démocratique.
C’est mal connaître la détermination de l’ex-establishment. Surfant sur le momentum initié en Egypte, des sexagénaires manifestaient pour la première fois de leur vie, tandis qu’une petite foule recyclait les « Yahia Bourguiba » pour toute alternative au « projet islamiste ».
Flanqués du milliardaire Faouzi Elloumi, Kamel Morjène et Omar Shabou découvraient, sans grand talent oratoire, les joies d’haranguer un public conquis répétant à souhait des slogans aussi précis que « tous ensemble pour le bien de la patrie » ou encore « il faut nous unir ».
Il aura fallu l’affaire Adel Dridi, première grande arnaque type Ponzi en Tunisie, pour qu’un rassemblement crie « Vive Ben Ali » à Montplaisir. Et il aura fallu le passage au vote de la loi d’immunisation pour assister au piètre spectacle du retour des portraits géants au Bardo.
Un plébiscite culotté qui vient rappeler que ce n’est pas tant les destouriens qui sont en cause mais les ressorts de leur « tamarrod » qui, en l’état, confine davantage à une espèce de désobéissance des classes bourgeoises.
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Des étiquettes, des clichés, c’est tout ce que comporte votre article. Une représentation trés simpliste de la réalité.
Autre chose, je n’ai pas de sympathie pour Nidaa Tounes, mais attaquer ce parti est red facile. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le fait d’adopter des positions confortables. Un révolutionnaire se révolte contre toutes les injustices, quel que soit la personne qui la subit. Qu’elle soit salafiste ou destourienne. La présentation dont vous faites de la loi d’exclusion est surréaliste. C’est véritablement le premier projet autoritaire du pouvoir islamiste et tout ce que vous trouvez à dire c’est nous parler des “cheveux grisonnants”?
Continuons ainsi, avec nos vieilles rancunes, notre sectarisme (l’entre soi “révolutionnaire”), Rached Kheriji doit jubiler.
Excellent commentaire ! Tu as parfaitement illustré ce que j’ai pensé en lisant cette pseudo analyse… Que des concepts théoriques, une analyse partisane et air hautain & satisfait…
D’abord, à l’évidence vous ne faites pas la différence entre un “article” comme vous dites et une chronique. Ceci est une chronique, elle donne donc nécessairement à voir un angle de vue et pas toujours une analyse.
Ensuite vous pensez que Nidaa est une “proie facile”, j’ai des raisons de penser que non, étant donnés les moyens dont il dispose, sa place de 1er dans les sondages et sa proximité avec des représentants encore puissants de l’ex régime.
Que Rached Ghannouchi “en jubile” ne doit jamais être notre problème, cet argument est une distraction. Je ne fais pas de politique, je commente la politique.
Ce n’est pas parce qu’un point de vue ne vous sied pas que ce point de vue est mauvais et simpliste : la vocation d’un chroniqueur est précisément de vulgariser, de conceptualiser et, en effet, de mettre des étiquettes politiques s’il le faut.
Je vous recommande enfin une révision de l’usage de “dont”.
je partage l’avis de Hédi sur l’article et surtout sa conception du révolutionnaire.
je pense que l’auteur de l’article ne fait pas une analyse assez fine des raisons qui ont poussé beaucoup de tunisiens à regretter le départ du général ou leur appel à ce qu’il reste. l’auteur nous parle d’une “droite” soutenu par une presse de la honte. toujours cette analyse qui prédomine, qui n’est pas dénuée de vérité d’ailleurs, mais qui reste simpliste et fantasmatique. l’idée d’une oligarchie qui lutte seulement pour garder ses privilèges menacés par une autre oligarchie islamiste où les intérêts du peuple et de la révolution seraient marginalisés. cette analyse ne prend pas en considération les envies de beaucoup de tunisiens qui cherchent désespérément un contre pouvoir aux velléités hégémonique d’ennahdha et un moyen de limiter sa nuisance sur une certaine conception de l’état et du processus démocratique. cette recherche de contre pouvoir se manifeste dans l’appel à former un front démocratique, dans un soutien parfois aveugle au corps des agents de sureté, dans la sympathie envers l’UGTT et dernièrement dans le soutien à l’institution militaire représenté en la personne de rachid ammar. beaucoup de tunisiens cherchent dans ses institutions des appuis pour se protéger d’ennahdha dans son projets, à peine caché, de soumettre l’état et la société en général à sa propre idéologie.
Généralement ces articles Polit-Revue sont de meilleure qualité et bien moins partisans, c’est vraiment dommage. Changement d’auteur, retournement de veste ou coming-out partisan ?
La seule vraie question qui à mon sens se pose, est la suivante : pourquoi le seul recours face aux fondamentalisme religieux est l’armée (voir aussi en Egypte !). Pourquoi les gauches se sont-elles effondrées.
Depuis le début des années 80, elles ont tout perdu : la jeunesse, les masses, la conduite du combat pour la Palestine…
La répression, la corruption, l’absence sur un terrain labouré depuis 30 ans par des organisations islamistes dotées de gros moyens y sont sans doute pour quelque chose. Mais pas seulement. Comme en Europe, c’est l’absence d’une réflexion de fond sur la nature des mutations qui traversent le monde post-moderne – la “paresse idéologique” – qui me semble être le plus dommageable.
Comme si le prêt à penser du communisme soviétique avait congelé les cerveaux !
Il n’y a plus de modèles ? Soyons inventifs !