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On pourrait presque en douter, mais en ce mois de léthargie ramadanesque, la classe politique tunisienne ne fait pas que participer aux gags télévisés. Tel un traumatisme, l’ombre de la situation égyptienne continue de peser sur les choix politiques au sommet de l’État.

Une transition moins lente et plus consensuelle

Mardi 16 juillet, un nouveau gouvernement est nommé en Égypte, avec autant de représentation féminine que son pendant tunisien (trois femmes). Sa photo officielle donne à voir un général al Sissi bien au centre du portrait de famille.

Pendant ce temps-là, le ballet des visiteurs continuait au Palais de Carthage : la main tendue de la présidence de la République s’étendait cette semaine jusqu’aux composantes de taille moyenne de la société civile, reçues une à une avec tous les égards, comme pour ne laisser aucune chance à un improbable remake du scénario égyptien.

Syndicats des magistrats et des journalistes, constitutionnalistes, représentants du barreau, diverses ONG dont la LTDH, l’ATFD, Doustourna, Kolna Tounes… tous se sont félicités lors du rituel de la tribune d’avoir exercé chacun son lobbying en vue d’accélérer la fin de la transition en cours. Certains ont appelé Moncef Marzouki à « ne pas mépriser des revendications légitimes de la jeunesse contestataire », allusion à son homologue égyptienne.

Les jeunes du mouvement Tamarrod mouture tunisienne tenaient leur première conférence de presse vendredi, plutôt sur la défensive. C’est que les rumeurs vont déjà bon train à propos d’hypothétiques financements (Tamarrod Égypte ne cache pas les siens), et surtout sur une mainmise présumée « de la part d’un parti politique ». Se sentant visé, Nidaa Tounes s’est défendu via Taïeb Baccouche de tout projet en ce sens. Mais question image, le mal est fait.

Avant cela ce sont les chefs des grands partis qui furent conviés à une réception de rupture du jeûne au même Palais. Autour de la table, les sourires crispés de certains laissent deviner une ambiance assez peu festive, avec un Imad Daïmi assis aux antipodes de Baccouche.

Présent également, Ahmed Néjib Chebbi propose dès le lendemain jeudi la mise en place d’un comité regroupant les représentants des partis représentés à l’Assemblée nationale constituante, avec pour principale mission de fixer un délai pour les prochaines élections et de gérer ce qui reste de la période de transition. Une énième entité qui, en se substituant à l’enceinte de l’ANC, ne manquera pas de susciter les mêmes réserves.

Pis, au vu de l’annonce houleuse des résultats de la composition de la nouvelle ISIE, difficile d’imaginer le Front Populaire et Ennahdha assis autour d’une même table, tant la confiance entre les deux partis semble ébranlée.

LPN VS LPR : la voyoucratie se diversifie

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« El Brenz » (Marwen dit “le prince”) est le nom de la révélation de la semaine. Look de Mister T, cicatrices et imposants bijoux bling-bling, il est le visage de l’autre milice d’extrême droite naissante, l’irreligieuse : les « Ligues de Protection de la Nation ».

Sa conférence filmée dans un café de Sfax est suffisamment prise au sérieux pour être échangée massivement sur les réseaux sociaux, souvent avec plus d’enthousiasme que d’ironie.

Le paysage se décante aussi dans l’underground du « politiquement alternatif » : des frères ennemis ont fini par identifier les gangs idéologiquement rivaux. Comme pour répondre aux avertissements elliptiques de Sahbi Atig, les « LPN » menacent à leur tour de prendre le maquis en guerre ouverte contre les LPR.

Ainsi donc les Ligues de protection de la révolution ont fini par engendrer leur double, encore plus décomplexé, sorte de version hooligans portés sur la bouteille. Dénoncées par plusieurs figures publiques démocrates à l’instar d’Abdessattar Ben Moussa et Sihem Bensedrine, il y a fort à parier que les LPN prospèreront elles aussi à l’aune d’intérêts économiques conjugués à l’argent politique.

Semblant de justice indépendante, peut-on y croire ?

Signé Rached Ghannouchi, un communiqué rendu public vendredi s’indigne de la libération d’ex-symboles du régime Ben Ali. Alors même que la justice semblait avoir tout juste changé de tutelle dans d’autres affaires, notamment celles liées aux bonnes mœurs, voilà que les Tunisiens assistent à une passe d’armes entre justice et parti au pouvoir digne des plus vieilles démocraties.

L’élue Yamina Zoghlami enfonce même le clou, dans un élan d’exemplarité : en marge du même dossier elle affirme samedi que des députés des blocs Ennahdha, CPR et Wafa sont parvenus à réunir les signatures nécessaires à une séance de questionnement du premier ministre Ali Larayedh ainsi que du ministre de la Justice, Nadhir Ben Ammou.

Un autre communiqué, de la présidence de la République cette fois, tend pourtant à confirmer que les pratiques de l’exécutif n’ont pas substantiellement changé s’agissant du rapport à la justice : daté de mai 2013 mais révélé cette semaine, la présidence y affirme qu’elle a porté deux plaintes respectivement auprès du Tribunal de première instance de Tunis ainsi que du tribunal militaire permanent contre « toute personne ayant appelé l’armée à renverser le pouvoir civil et les institutions élues ».

Les réseaux sociaux n’en demandaient pas tant pour déclarer une vaste cyber campagne consistant à poster son nom, le numéro de sa carte d’identité nationale, suivie d’un message de défiance à l’égard de l’institution procédurière en question.

Si l’autisme autoritaire continue à reprendre d’une main ce que le dialogue a donné de l’autre, ce qui aujourd’hui n’est encore qu’un jeu de la défiance pourrait s’organiser demain en méthodique désobéissance.