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On nous rapporte d’Algérie la manifestation du 3 août à Tizi Ouzou, d’Algériens osant boire et manger en public pour affirmer leur liberté de conscience. Et on nous dit que, cette fois-ci, les autorités et la population de la ville ne sont pas intervenues. Or, ce ne fut pas le cas à d’autres occasions, comme dans la région de Tigzirt, mi-juillet. Et c’est nouveau quand on se rappelle ce qu’on a vu ailleurs, au Maroc, lors d’une ancienne manifestation pareille, ou encore aujourd’hui en Tunisie, par exemple.

Il faut dire que bien plus qu’une dénonciation de l’islamisation de leur pays, les manifestants algériens n’ont fait qu’exprimer leur droit consacré par l’islam même à la liberté de jeûner ou non.

En effet, jeûner en islam n’est nullement une obligation absolue. Le jeûne ne peut y être imposé au vu des innombrables possibilités offertes licitement pour ne pas le faire. Aussi, ne pas jeûner est parfaitement possible au musulman au vu de pareilles dispenses légales dont il n’a de compte à rendre à personne. D’ailleurs, nombre d’éminents Compagnons du prophète osaient publiquement ne pas jeûner en usant des facilités “charaïques”.

Ce n’est qu’une conception erronée de l’islam, instrumentée par les autorités politiques, qui fait du jeûne une obligation devant, non seulement s’imposer urbi et orbi, mais aussi s’afficher. Car il n’est rien de moins islamique que l’affichage de la foi, l’islam répétant à satiété que la foi véritable est une foi discrète.

En effet, un musulman authentique ferme les yeux sur ce que fait son prochain, étant tout entier concentré sur son propre comportement qu’il se doit de perfectionner toujours, la nature humaine étant imparfaite par définition.

Ce ne sont que les autorités politiques qui ont fait de la religion un instrument commode pour asseoir leur pouvoir, prétendant imposer un ordre moral consolidant leur ordre liberticide. Or, l’islam est innocent de pareilles pratiques.

Qu’on le sache donc : il n’est nulle interdiction pour le musulman, tout comme pour le non-musulman d’ailleurs, de ne pas boire ou manger — et ce même en public — durant le mois du jeûne ; ce n’est pas à ceux-ci de se cacher, mais bien au musulman qui jeûne de ne pas faire attention à eux.

Bien mieux, c’est en fréquentant pareilles personnes que le vrai musulman jeûnant peut vérifier à quel point il fait son devoir par conviction et en toute religiosité, ce qui suppose une honnêteté et une sincérité à toute épreuve, et non point du conformisme ou un réflexe grégaire.

C’est parce qu’on oublie ces préceptes cardinaux de notre religion que l’on voit aujourd’hui le mois sacré de ramadan vidé de tout sens spirituel, puisqu’il s’est quasiment transformé en une fête païenne, orgiaque presque, avec tous les excès qui l’accompagnent.

L’acte symbolique des protestataires algériens est donc un rappel salutaire, et ce non pas contre une prétendue terreur de l’islam, mais bel et bien contre celle des régimes arabes en place qui cherchent à cacher leur nature dictatoriale en se jouant de notre religion tolérante et permissive, la transformant en une religion rétrograde et liberticide.

L’islam, surtout une interprétation restrictive de sa conception d’origine libertaire bien avérée, a toujours servi les régimes arabes pour lesquels, comme le notait déjà Ibn Khaldoun, elle a été l’instrument efficace afin de limiter la tendance arabe à la liberté absolue, quitte à verser dans l’anarchie. Et l’on ne sait que trop que pour l’Arabe anarchiste, il n’est ni Dieu ni un maître en mesure de limiter son attachement à sa liberté.

Historiquement d’ailleurs, l’islam a su user de ce penchant à la liberté de l’Arabe en lui apportant un fondement spirituel qui l’a séduit par ses aspects libertaires, puisqu’il était une révolution venue renverser un ordre ancien, le remplaçant par un paradigme nouveau où la liberté avait une place de choix.

Ce n’est qu’après, quand la nature du pouvoir arabe a changé en monarchie et que l’islam s’est institutionnalisé, abandonnant sa spontanéité populaire, que l’on a vu les monarques, mais aussi leurs opposants, user de la religion comme d’une arme politique en vue de garder ou d’accéder au pouvoir.

Et il ne se passe rien d’autre aujourd’hui avec la conception intégriste et rétrograde de l’islam. Il suffit de regarder les pays où le rigorisme est extrême pour se rendre compte que la religion n’y est utilisée que comme un moyen de donner au pouvoir en place une légitimité introuvable. Il va de soi que ces régimes dictatoriaux ne peuvent user d’une religion de libertés — ce qu’est fondamentalement l’islam — étant donné qu’ils creuseraient ainsi, eux-mêmes, leurs tombes.

Que la Kabylie reprenne aujourd’hui le flambeau de la lutte pour un islam tolérant montre à quel point les musulmans, même modérés, acceptent l’amalgame, devenu une tradition instituée, entre non pas la religion et la politique, mais la religion intégriste et le pouvoir politique répressif et dictatorial.

Certes, les Kabyles sont réputés plus laïques que le reste des Algériens ; il n’en reste pas moins que leur combat pour un islam tolérant est celui de tous leurs compatriotes. Il l’est également de tous les Arabes, car c’est un combat pour un islam des libertés, démocratique et tolérant, un islam de son temps.

Ce n’est pas parce que le Kabyle n’est pas Arabe qu’il n’est pas obligé de faire le ramadan ; c’est — en bonne théorie islamique — parce qu’il n’est contraint ni d’être musulman ni, tout en l’étant, de faire le ramadan s’il n’en a pas la conviction.

Les manifestants algériens n’ont fait que rappeler, à bon droit, l’attachement principiel à la liberté de leur peuple — ce peuple des hommes libres qui est la signification de “Amazigh” —, mais aussi de l’islam. En effet, notre religion n’est absolument pas opposée aux libertés individuelles, toutes les libertés, dont celle de la conscience ; car elle est venue les consacrer en une époque où elles étaient niées à la faveur d’une tradition judéo-chrétienne que nous retrouvons aujourd’hui chez nos intégristes. Triste retournement abracadabrant des choses !