Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
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Décidément, sans rentrer dans la guerre des chiffres, la Tunisie est divisée en deux, comme en témoignent les barbelés qui hérissent en son centre la place du Bardo : les islamistes d’un côté, le reste des tendances (progressistes, modernistes, laïcs, démocrates) de l’autre. Serions-nous en train de consolider la division du peuple tunisien en deux sous-peuples? Je pèse bien mes mots, chacune des deux parties ne pouvant être considérée que comme un sous-peuple, au sens figuré comme au sens propre.

On peut reprocher aux islamistes leur incompétence, malheureusement prouvée à plusieurs reprises par leur gestion catastrophique des questions sociales et économiques. Mais on peut également leur reprocher leur manque d’expérience et leur opportunisme, qui les a conduits à s’infiltrer dans tous les rouages de l’État, ainsi qu’une mauvaise foi criante dans leur gestion (bien particulière) de cette période transitoire. Plus grave encore, ils ont fait le jeu des extrémistes, de façon plus ou moins active, en faisant tirer à coup de chevrotines sur les jeunes de Siliana et en ne faisant rien pour contrer le terrorisme galopant au vu et au su de tous.

Je n’ose croire qu’Ennahdha et, par ricochet, ses nombreux sympathisants, sont dépourvus de compétences. Mais ils ont fait le choix, à tort ou à raison, de récompenser leurs vétérans par des portefeuilles ministériels. Or, on ne gère pas un pays en récompensant d’anciens militants et/ou dirigeants emprisonnés sous les anciennes dictatures par des nominations partisanes au plus haut sommet de l’État.

Par ailleurs, la question de l’identité arabo-musulmane n’a pas de raison d’être posée en Tunisie ; le pays n’a pas besoin qu’on lui fabrique ex-nihilo une identité artificielle. La Tunisie a déjà son identité, trois fois millénaire, et n’a surtout pas besoin des pseudo-identités importées des insalubres banlieues parisiennes, londoniennes, bruxelloises, ou, pire encore, du Qatar ou de l’Arabie saoudite.

De l’autre côté, qu’a fait l’opposition ? Pas grand chose, en tout cas pas son travail de critique constructive, à l’exception de quelques leaders qui tentent encore de garder leur aura, ce que certains ont déjà payé de leur vie. Pour la plupart, cependant, les représentants de l’opposition se sont engouffrés dans des guéguerres intestines et des dialogues de sourds.

Maintenant que le sang a coulé à plusieurs occasions, alors que nos soldats continuent à se sacrifier pour cette nation, que font les uns et les autres ? Ils se livrent une guerre sans merci pour mobiliser leurs troupes et montrer qu’ils ont une assise légitime. Chacun campe sur ses positions, chacun appelle au dialogue sans avoir l’intention d’y participer de manière constructive. On a vu l’émergence de nombreuses alliances contre-nature, dont le seul leitmotiv est le vieil adage “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”. Soit, mais peut-on aller loin sur la base de ce principe bancal ? La réponse est, bien évidemment, non.

L’opposition est-elle capable de dépasser ses divergences pour s’unir dans l’intérêt de la nation ? Je n’arrive malheureusement plus à y croire. Où sont les projets? Où sont les convictions ? Il ne suffit pas d’être opposant aux islamistes pour être un “bon démocrate”, comme il ne suffit pas d’être un islamiste ou apparenté pour être “un bon musulman”, ni même quelqu’un de bien. La Tunisie n’a besoin ni de pseudo islamistes ni de pseudo démocrates, elle a juste besoin de la “tunisianité” dans toutes ses composantes et dans le respect de l’État de droit.

Soyons lucides, l’heure n’est plus aux bilans mais plutôt au constat, le seul qui s’impose : l’échec de tous nos responsables, à des degrés différents selon les responsabilités qui incombent aux uns et aux autres. Le peuple tunisien (qui est, rappelons-le, culturellement et historiquement modéré et pacifique) souffre, sa patience a atteint ses limites, il pleure chaque jour ses enfants et ses soldats et Dieu seul sait quel lot de mauvaises surprises nous réservent les prochains jours. Il faut siffler la fin de la récréation ! En deux ans et demi, tout le monde a usé et abusé des libertés acquises et conquises.

L’heure n’est plus à l’apprentissage de la démocratie, et j’espère vivement que cette période transitoire aura été déterminante pour apprendre le b.a.-ba de la démocratie et l’acceptation de l’autre dans ses différences, qui, faut-il le rappeler, sont autant de richesses ? Tunisiens, réveillons-nous, trois mille ans d’histoire de tolérance et de pluralité sont en train de s’évaporer. La ligne rouge est quasiment franchie, au sens figuré, puisqu’il est presque trop tard pour corriger le tir, et au sens propre, avec le sang qui n’a déjà que trop coulé.

Personnellement, je salue la proposition de l’UGTT et des autres organisations civiles et associatives. La sortie de crise doit se faire sans délai et tout le monde doit mettre de l’eau dans son vin. La dissolution de l’ANC (ce “machin qui ne sert à rien”) ne résoudra pas le problème, et encore moins le maintien de Ali Laarayedh à la tête du gouvernement. Les Tunisiens ont toujours été modérés et ouverts au dialogue. Il n’y a, à mon sens, qu’une solution, dont voici les grandes lignes :

– que le Dr. Marzouki, avec tout le respect que je lui dois, et dont je reconnais volontiers le passé de militant des droits de l’Homme, s’engage sine die à ne pas se présenter aux prochaines élections s’il veut continuer à profiter encore quelque temps des avantages royaux d’un président sans prérogatives et à jouer les guides touristiques de luxe du palais de Carthage auprès des médias internationaux. Sinon, qu’il démissionne pour se consacrer à sa campagne électorale et se démarquer ainsi des accusations, aussi injustes soient-elles, d’utilisation des deniers et des ressources de l’État à des fins électoralistes. Il est manifeste que le pays peut très bien fonctionner sans lui : les deux autres présidents, fidèles à leurs convictions et à leur réputation, suffisent amplement ;

– que soit nommé un gouvernement de compétences nationales, présidé par une personnalité indépendante consensuelle qui s’engage à ne pas se présenter aux prochaines élections ;

– que l’ANC soit maintenue jusqu’à l’achèvement et au vote de la Constitution, avec l’aide d’un comité d’experts en droit constitutionnel pour corriger les nombreuses lacunes du projet actuel ;

– qu’une loi électorale soit votée dans les prochains jours, toujours avec l’aide des experts ;

– que la composition de l’ISIE soit finalisée afin qu’elle puisse commencer ses travaux et surtout fixer un calendrier précis pour les prochaines élections ;

– que le règlement intérieur de l’ANC soit amendé pour limiter clairement les prérogatives de cette instance à la finalisation de la constitution et de la loi électorale, et surtout écrire explicitement que, quoi qu’il advienne, l’ANC s’auto-dissoudra au plus tard le 23 octobre 2013.