terrorisme

Ce 16 août, le parti “Tendance Courant démocratique” a organisé une conférence portant sur la « la sécurité nationale et le terrorisme ». À cette occasion, plusieurs experts ont été invités à intervenir. Deux allocutions ont été prononcées pendant la conférence.

La parole a d’abord été accordée à Yosri Dali, ancien directeur des études et du développement des compétences au ministère de l’Intérieur, expert en psychologie criminelle et ancien formateur de la sécurité présidentielle, qui a exposé les « principales caractéristiques des forces de sécurité sous Ben Ali ».

Salah Toumi, retraité de l’armée, a ensuite exposé son point de vue sur l’état des lieux de l’institution militaire et les mesures à prendre pour sortir du bourbier sécuritaire.

Yosri Dali estime que les services de sécurité « subissent le fardeau des vestiges d’un organisme effrayant, alors qu’ils sont dans l’obligation de lutter contre le terrorisme ».

Pendant les deux dernières décennies, « il s’est ancrée dans l’imaginaire collectif des Tunisiens l’image d’un régime de président dictateur, réunissant à Carthage secrets et énigmes », explique-t-il.

En effet, le fait de s’opposer au régime s’est traduit pendant un quart de siècle en poursuites, emprisonnements et assassinats, construisant l’image d’un organisme d’État défini par son acharnement à « faire du mal », et dont le seul objectif était de réduire tout un peuple au silence.

Signe de détresse devant l’impossibilité de provoquer le changement, un citoyen disait de Ben Ali : « On avait aucun espoir qu’il dégage, on attendait tout simplement sa mort.» Car les forces de sécurité tunisiennes, qui ne se sont jamais démocratisées en un quart de siècle, ont excessivement dominé la vie publique.

À en croire M. Dali, il s’agissait d’ « une forme institutionnelle aberrante, au-dessus de la loi, car veillant à l’application d’ordres et de recommandations illégales et parachutés ».

Yosri Dali explique que, lors de la révolution, les organismes sécuritaires ont perdu de leur influence, et que les citoyens ont rejeté l’image et la respectabilité qui leurs étaient associés auparavant. Une situation qui a en quelque sorte encouragé les éléments criminels à oser défier l’État.

« La moindre entorse au Code de la route affaiblit son immunisation à pouvoir défendre la nation », assure-t-il.

Selon M. Dali, s’ajoute à cela « l’hémorragie des cadres depuis la période de Farhat Rajhi [ministre de l’Intérieur du 27 janvier au 28 mars 2011]. »

“Les responsables mis à pied, indifféremment de leur implication avec le régime, peuvent parfaitement discerner les réseaux terroristes en Tunisie, vu leur expérience et leur degré de vigilance acquis. Cette chute ainsi que la destitution de certains hauts responsables ont fini par remplir la première condition nécessaire pour que le terrorisme se propage”, poursuit-t-il.

Pour M. Dali, « Farhat Rajhi avait raison sur 80 % des renvoyés », tout en estimant que « c’est une sorte de perte de mémoire institutionnelle » et que « l’État en prend en charge le prix en permanence. » « Il a perdu une élite de cadres qui aurait pu neutraliser les 300 cellules terroristes dormantes existantes sur nos territoires bien avant la révolution », assure-t-il.

Dans le même contexte, il qualifie de « tort » l’interdiction des écoutes, jadis pratiquées par le ministère de l’Intérieur : « Sans remettre en question ses bonnes intentions, le ministre de l’Intérieur, Rajhi, aurait dû garder cette procédure en s’assurant qu’elle ne touche pas aux libertés publiques et à la vie privée des citoyens. »

« À cette toile de la terreur ne manquait qu’un seul élément : l’armement, poursuit Yosri Dali. Les instabilités internes et dans les pays voisins ont fait l’affaire. Voilà un terrain propice de prolifération des armes destinées à des actes criminels.»

Dans l’intervention de M. Dali, tous les gouvernements post-révolutionnaires sont tenus responsables des actes terroristes qui ont eu lieu. Et il estime que les syndicats du secteur ne sont pas indépendants, étant traversés par certaines sensibilités politiques.

« Au bout du compte, ces deux conditions réunies, le terrorisme semble prêt à battre son plein », conclut Yosri Dali.

À l’occasion de cette conférence, on a pu croiser Moncef Zoghlami et Mohamed Ahmed, deux militaires qui ont été destitués dans l’affaire de Baraket Essahel, et membres de l’Association tunisienne des anciens militaires.

En 1986, le commandant Mohamed Ahmed a présenté un mémoire au concours d’accès aux Écoles supérieures de guerre intitulé  « L’armée face au terrorisme », et dont le contenu ne s’est pas traduit par des mesures concrètes dans cette « guerre non conventionnelle ».

Dans la chapitre des techniques terroristes, il est indiqué que « l’assassinat est la plus ancienne technique terroriste. [Elle] reste largement connue de nos jours. Les cibles visées sont généralement les dirigeants politiques, les personnalités officielles, les chefs de la police et de l’armée. » Le texte date de 1986…

Moncef Zoghlami en déduit que :

« tout ce qui se passe aujourd’hui aurait pu être évité très facilement. L’ancien régime a sciemment dépourvu l’institution militaire de ses propres moyens en vue de mener un combat non conventionnel. Ben Ali craignait qu’elle n’aie la mainmise sur le pays au détriment de l’institution de la présidence. Il fallait donc la marginaliser en la privant des équipements et des moyens logistiques lui permettant de remplir ses missions.»

Questionné sur les événements de Chaâmbi, notre interlocuteur résume ainsi la situation critique de l’armée tunisienne : « Dans la guerre on peut pardonner la défaite mais pas la surprise… Notre armée aurait pu cueillir des lauriers. »

Salah Toumi, retraité de l’armée, pense lui que la Tunisie n’a pas atteint le point de non-retour dans le combat anti-terroriste :

« Il faut que les gouvernements rompent avec la réticence. Un travail de titan les attend tous. Commençons par prendre des décisions républicaines (législatives, politiques, sociales, …) avec les moyens et les mesures nécessaires à un État soucieux de respecter son devoir de protéger ses citoyens. Le terrorisme ne peut plus respirer s’il y a un rétablissement de la réconciliation sociale, épaulé par une restructuration des ministères.»