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C’est la maire de Lampedusa, ce bout d’île au large de notre pays, qui parle d’« un holocauste moderne » en notre Méditerranée qu’on était en droit de rêver être un lac de paix et de prospérité.

Dans une interview à Médiapart, Madame Giusi Nicolini, une femme de devoir et de cœur, dénonce les politiques migratoires européennes qu’elle juge pour le moins « inhumaines ». Elle s’emporte contre ces autorités qui ne tirent aucune leçon des drames récurrents, dont celui qui a endeuillé récemment l’île et le monde avec la mort de pas moins de 300 migrants lors du naufrage du 3 octobre dernier. Et ce n’était rien en comparaison aux victimes passées et à celles auxquelles on s’attend.

Du dispositif Frontex aux systèmes en préparation en passant par l’opération Mare Nostrum, l’Europe n’a cure des drames que génère son aveuglement. Elle persiste à ne vouloir gérer la question migratoire qu’à la seule aune répressive quand elle peut et doit être perçue en un problème d’abord humain interpellent non seulement la conscience, mais aussi l’intelligence des hommes.

Or, cette arrogance occidentale, désormais criminogène et pouvant même être déclarée criminelle demain, n’est pas près de changer. Pour cela, il est impératif que réagissent ceux qui aident à ce que la politique européenne soit mise en place, et ce non seulement par leur silence et leur passivité, mais surtout par leur complicité. En effet, l’Union européenne ne peut continuer à mettre en œuvre son système insensé sans l’aide et le support des autorités des pays du Sud.

La Tunisie, patrie de la première révolution postmoderne, doit donc oser dire non à l’Europe dans la gestion et la perpétuation de cet holocauste renouvelé au large de ses côtes. Le nouveau gouvernement qu’on dit supporté à bout de bras par l’Occident doit innover en la matière en ayant le courage de se désolidariser de ce qui sera demain perçu forcément comme un crime contre l’humanité.

La Tunisie doit rappeler l’Europe à ses valeurs en refusant de continuer à coopérer à une politique répressive qui a démontré ses limites et qui ne fait qu’encourager les organisations criminelles à profiter de la misère des gens et de leur désespoir.

La fermeture des frontières actuelle n’a jamais empêché les entrées en Europe, encourageant même la clandestinité et les maffias des passeurs. Seule une politique raisonnable et raisonnée de circulation légale est en mesure d’éradiquer le faux problème de la clandestinité et sa soi-disant solution de facilité qu’est une fermeture illusoire des frontières.

Le devoir du pays de la première Révolution de ce siècle est de demander la libre circulation pour ses ressortissants sous couvert de vis biométrique de circulation dans un espace de démocratie à mettre en place en Méditerranée. Cette formule sera enfin respectueuse de la souveraineté de la Tunisie qui ne peut plus continuer d’accepter que les empreintes digitales de ses ressortissants soient prélevées par des autorités étrangères sans contrepartie.

Elle sera aussi conforme aux réquisits de sécurité européens puisqu’elle permet de suivre à la trace le titulaire du visa tout en garantissant sa liberté de mouvement et d’éviter qu’il soit tenté d’entrer en clandestinité. En effet, un visa de circulation permet de voyager en toute liberté, emportant des entrées sans restriction et étant renouvelable automatiquement en cas d’absence d’incidents.

Demander officiellement et solennellement pareille nouvelle pratique en matière de délivrance de visas ne sera point pour la Tunisie quémander une quelconque charité; c’est tout simplement réclamer un droit, celui de compenser l’entorse à sa souveraineté. C’est aussi se situer dans le sens de l’histoire qui est dans l’action pour une plus grande solidarité entre les nations développées et sous-développées. C’est enfin garantir le plus de chances pour réussir à sa transition démocratique, car celle-ci ne saurait se faire en vase clos, dans une réserve.

Il ne fait plus de doute aujourd’hui qu’aucune démocratie nouvelle ne saurait naître et surtout durer si elle n’est pas articulée à un système démocratique avéré. Car le sort d’un pays comme le nôtre ne peut se décider contre l’intérêt de ses voisins géostratégiques auxquels il est lié nolens volens. Aussi, ces voisins ne doivent pas n’avoir en vue que leurs intérêts propres sans se soucier du nôtre. On peut comprendre que l’intérêt de l’Occident soit de faire de la Tunisie un marché où circuleront librement leurs marchandises. Faut-il que cela s’accompagne immanquablement par l’instauration d’une démocratie véritable que ne permet qu’un espace méditerranéen de libre circulation, non seulement des marchandises, mais de leurs créateurs véritables, les hommes. C’est ainsi que naissent désormais les démocraties et que deviennent florissantes les économies.

En appelant l’Europe à une révolution mentale en matière migratoire, la Tunisie permettra à l’Union européenne d’expérimenter avec la communauté tunisienne, qui demeure réduite et pose peu de problèmes, un nouveau système de circulation devant être généralisé ultérieurement à tous les pays du Sud en instance de démocratisation et ayant une forte concentration humaine en Europe.

Il est temps que l’Europe revienne à ses valeurs ! Que notre pays, qui a donné l’exemple d’une Révolution paisible, le fasse aussi en forçant l’Europe, par une attitude intransigeante sur les principes, à changer la politique insensée à laquelle elle s’accroche.

C’est non seulement le devoir, mais également l’honneur qui commandent aujourd’hui à la Tunisie de réclamer à l’Europe d’abandonner sa fabrique d’holocaustes à nos côtes.

M. Mehdi Jomaa, le peuple vous jugera aussi sur cette question de principe et d’éminente dignité !