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25 mars, la peine de mort inouïe prononcée à l’encontre de 529 citoyens égyptiens jette son ombre sur l’Assemblée constituante tunisienne qui exprime presque unanimement son indignation. Deux jours plus tard, l’autocrate al Sissi enfonce le clou en annonçant sa candidature aux présidentielles égyptiennes. De facto, la candidature quasi déclarée de Jebali à la fonction suprême sonne comme un pied de nez d’une Tunisie qui continue son bonhomme de chemin démocratique, en cette semaine où le pays retient son souffle avant le vote crucial de l’article 15.

Devenu synonyme de vote référendaire indirect au sujet de la révolution elle-même, le fameux article 15 éclipse par ses enjeux le reste du contenu de la nouvelle loi électorale.

Sur les réseaux sociaux, la campagne bat son plein en faveur du « oui ». Un hashtag Twitter a même été créé à l’initiative du CPR pour alerter l’opinion publique sur les conséquences d’un rejet de l’article dit de l’exclusion politique, avec la possibilité demain de voir des listes électorales de RCDistes sans scrupules (représentées ici de façon fictive).

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En l’état actuel des intentions de vote des divers groupes parlementaires, il est peu probable que l’article 15 passe en session plénière : à moins d’une surprise de dernière minute d’un vote en rangs dispersés du traditionnellement discipliné bloc Ennahdha, les voix des élus CPR, Wafa cumulées avec d’autres indépendants sont a priori insuffisants.

Entre-temps, la candidature de Hamadi Jebali, chef de file des colombes d’Ennahdha, s’inscrit dans la droite ligne du choix de l’apaisement politique.

Le prix de la présidentiabilité

Entourée d’une part de mystère, la démission sans plus de précisions de Jebali de son poste de secrétaire général d’Ennahdha n’arrange pas l’image de confrérie repliée dans une forteresse entretenue par le parti.

L’intéressé évoque pour sa part dans son communiqué laconique des motifs « individuels et objectifs ». Dans un deuxième temps, il a tenu lors de sa sa prestation télévisée de vendredi des propos typiques d’une certaine langue de bois politique pratiquée par les candidats des grands partis du monde entier : être, en cas de candidature, « un candidat au-dessus des partis », qui « transcende les idéologies » et gouverne au nom du « consensus ».

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La démission moins médiatisée, quelques jours auparavant, d’un autre éminent membre du Conseil de la Choura, Riadh Chaibi, donne une indication sur l’agenda électoral de la famille islamiste élargie.

Contrairement à Jebali, Chaïbi démissionne pour créer son propre parti, tout en affirmant que son référentiel idéologique n’est plus l’islam politique. C’est sur ce dernier point que Chaïbi rejoint la stratégie de Jebali : l’évolution de l’islam politique vers un centre-droit ou une « droite patriote » dépourvue des encombrants attributs idéologiques de l’islamisme.

Assistons-nous par conséquent à la réforme de l’islam politique vers le modèle des Chrétiens démocrates européens ? Si en interne Ennahdha continue de donner au reste de la classe politique quelques leçons de démocratie en organisant la consultation de ses bases via un référendum ne serait-ce que sur la date de la tenue de son prochain congrès, des suspicions planent en revanche sur les motivations profondes de ce virage séculariste.

S’il s’effectue de bonne foi, en ne s’écartant pas de la ligne pro révolution, le virage reste louable en ce qu’il isole les tenants de la ligne conservatrice radicale. S’il s’effectue sous la pression de la contre-révolution et de la nécessité d’une normalisation de l’ex régime, en tentant d’opposer à Nidaa Tounes un candidat le moins religieux possible, le virage serait davantage politicien que spontané.

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Un précédant judiciaire controversé

La condamnation le 27 mars d’Imed Dghij par la 6ème chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Tunis à un total d’un an et deux mois de prison est de nature à créer un climat politique préélectoral encore plus tendu, au moment où des responsables de Nidaa Tounes multiplient les déclarations sur une tenue des élections « compromise » en cas de passage de l’article 15.

Pour les deux forces politiques majeures qui ont respectivement obtenu du gouvernement Jomâa des remaniements à la tête des directions de la sûreté et le remplacement du magistrat en charge du Tribunal administratif, les élections semblent se résumer aux deux corps sécuritaires et judiciaires.

Pour la juge qui a émis une sentence sévère à l’encontre de Dghij, basée sur l’article 86 obsolète du code des télécommunications datant de 2001, il n’y avait aucune prise en compte du contexte de la lutte historique de la région du Kram contre l’ex régime policier, une lutte qui reprend face à certaines dérives des nouveaux syndicats de police, plaignants occultés du dossier Dghij.

Si la Tunisie n’a pas d’appareil comparable à l’hégémonique de l’armée égyptienne, une collusion entre le syndicat de la magistrature, des syndicats de police hyperactifs ainsi que des hommes d’influence nostalgiques d’une ère révolue pourrait encore menacer en Tunisie ce qui reste d’une démocratie balbutiante.