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Sur l’échiquier politique tunisien, y a-t-il une vie en dehors du duo Ennahdha / Nidaa Tounes ? L’hyperactivité du bipartisme qui se dessine prouve cette semaine encore que tout le reste n’est que littérature. Alors que la Constitution prévoit un régime de gouvernance mixte, Nidaa Tounes continue de raisonner en futur parti au pouvoir sous régime présidentiel. Après l’attentat meurtrier de Kasserine, la volonté de l’actuel exécutif va dans le sens d’un abaissement des contraintes législatives afin de permettre une intervention des militaires en milieu urbain. Pendant ce temps-là, Mohamed VI se plait en Tunisie et prolonge son séjour. Un « roi normal », presque insolite, séduit par une révolution qui a banni l’esprit du baisemain.

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« Moi d’abord ! »

Samedi 7 juin, énièmes interminables tergiversations politiciennes au dialogue national. Les protagonistes se penchaient sur la proposition de Béji Caïd Essebsi de faire coïncider les législatives avec le second tour des présidentielles. Proposition rejetée à 10 voix contre 8.

La manœuvre est un rabais d’une première tentative qui demandait des présidentielles préalables aux législatives, suivie d’une deuxième tentative de convaincre l’opinion d’une concomitance législatives / premier tour des présidentielles.

C’est que Nidaa Tounes, conscient de ses forces (qui résident essentiellement en la personne de son chef) et de ses faiblesses (manque d’implantation en région) veut à tout prix éviter des législatives susceptibles de créer un état de grâce en faveur d’Ennahdha pour la suite des hostilités. A l’inverse, une consécration de son leader, Essebsi, pourrait créer ensuite un momentum inversant la tendance à l’intérieur du pays.

Principal grief invoqué par Nidaa, la non constitutionnalité de législatives préalables, l’actuel président ne pouvant prendre acte d’un scrutin, au moment où il perdrait sa légitimité issue de la constituante. Ainsi le parti se découvre une passion pour le légalisme constitutionnel, lui qui pendant des mois a prôné un coup de force pour dissoudre la seule entité élue du pays.

Au terme de ces tractations à huis clos, les représentants du quartet sont contraints d’annoncer une fois de plus la remise à plus tard de la décision finale, mais tout le monde a d’ores et déjà compris que c’est à l’Assemblée constituante qu’incombera de trancher, avec la majorité parlementaire que l’on connait. De quoi s’interroger sur l’utilité d’un Dialogue vain, décimé par les blocages.

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« Reality check »

Samedi toujours, à la Kasbah, Ennahdha teste sa capacité à mobiliser ses bases, à l’occasion du 33ème anniversaire de sa création. Un chiffre somme toute aléatoire, un tiers de siècle, mais l’occasion est saisie pour donner le coup d’envoi effectif à sa campagne électorale, avec le premier rassemblement de cette taille depuis presque une année.

La veille, le journal d’obédience destourienne, le Maghreb, titrait « Ennahdha pour la première fois en deçà des 25% » d’intentions de vote, reprenant le dernier sondage en date de l’institut Sigma qui donne dans le même temps Nidaa à plus de 41%.

Qu’à cela ne tienne, des milliers de partisans disciplinés bravent la canicule (35 degrés à l’ombre). Sur place, le contraste est saisissant entre l’exposition historique arborant des coupures de presse à l’effigie d’anciens radicaux tels que Salah Karkar, et l’ambiance bon enfant parfois à faire pâlir l’AKP turc.

Pendant que certaines chaînes propagandistes continuent à dépeindre Ennahdha comme une obscure confrérie, le parti avance, faisant fi d’une diabolisation désuète.

Banderoles francophones, messages anglophones sur les T-shirts du staff « together we make a difference », mixité des stands, et même de l’art moderne et de la chanson sur scène… La volonté est claire de donner un coup de jeune à l’image du parti.

Certains slogans plébiscitant les forces de l’ordre, signalant cependant l’ancrage droitier du parti, tout comme le discours du cheikh Ghannouchi précédant les festivités, au Grand Hôtel d’el Menzah, un discours très axé sur l’attachement à l’identité arabo-islamique.

Autre paradoxe, la campagne est en outre assez décomplexée dans l’affirmation assumée du projet de société conservateur, en se plaçant sous le signe « Notre projet se poursuit », ou encore « Une idée ne meurt jamais ».

Deux « colombes » du parti brillaient en outre par leur absence : le secrétaire général démissionnaire Hamadi Jebali, ainsi que le vice-président du parti Abdelfattah Mourou, qui se serait excusé pour un déplacement imprévu…

Au final la journée donne le ton d’une campagne qui se veut confiante : « Chers frères anciens et futurs ministres », s’est adressé Rached Ghannouchi à une audience où figuraient des représentants d’Ettakatol et du CPR.

Autre enseignement, Ennahdha ne compte pas laisser à ses adversaires le thème du nationalisme : ainsi un hommage symbolique a été rendu aux martyrs sous le monument de l’esplanade de la Kasbah, avec profusion de drapeaux nationaux.

Le parti marche même sur les platebandes de son principal frère ennemi nidaaiste en prenant à son compte l’habit traditionnel du « sefséri », d’habitude l’apanage des « modernistes » adeptes du patrimoine local.

Bas les masques

Signé par Béji Caïd Essebsi, le télégramme de félicitations officielles de Nidaa à l’adresse de « son excellence le président Abdelfattah al Sissi » restera dans les annales de l’histoire des contre-révolutions, du moins celle des « reprises en main autoritaires », pour reprendre un euphémisme.

Tombée en disgrâce des Berges du Lac, la gauche d’al Massar se résout à un divorce à l’amiable avec Nidaa Tounes, s’agissant du volet politique voire électoral de ce qui reste de l’Union Pour la Tunisie.

Esseulé, autocratique dans sa gestion interne, et ami des dictatures régionales, le parti d’Essebsi semble déjà le quatrième candidat idéal à un futur axe al Assad – al Sissi – Bouteflika.