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Fait marquant de cette semaine politique, l’Union Pour la Tunisie se désintègre en plein vol. Ironiquement, c’est peut-être là l’une des manifestations concrètes du « consensus » tel qu’il est pensé par l’ancienne génération politique, sorte de panacée par laquelle le processus démocratique est suspendu en profit d’un statu quo autoritaire avec lequel tout le monde doit tomber d’accord, au risque de se retrouver à la porte.

En Tunisie, tout porte à croire que l’on a procédé à rebours s’agissant de la transition : là où il eût été indiqué de commencer par un consensus large au cours de la première phase constituante, l’ANC a virtuellement fonctionné en tant qu’Assemblée législative, avec un gouvernement et une opposition.

Plus récemment, au moment où une transition digne de ce nom devrait déboucher vers de la compétition, conformément à l’opération électorale classique, les deux plus grandes forces politiques du pays accordent leurs violons. Le pluralisme enterré, le pays se dirige moins vers un bipartisme que vers une entente douteuse.

On savait déjà que chez Nidaa Tounes, on ne jure que par le leitmotiv de la « légitimité du consensus » que Béji Caïd Essebsi aime à illustrer par le même verset du Coran qui clôt de nombreux communiqués du parti. Jeudi 19 juin, lors d’une conférence de presse, Ennahdha reprend à son compte l’idée-fleuve du consensus appliquée à son futur candidat aux présidentielles.

Lors de son dernier Conseil de la Choura, le leadership du parti avait dans un premier temps préparé ses cadres à ce scénario. Il s’agissait jeudi de préparer cette fois l’opinion publique au fait que non seulement Ennahdha n’a pas vocation à avoir un candidat présidentiable, et qu’un soutien de Béji Caïd Essebsi n’était plus à exclure, même si Ali Larayedh s’en défend en martelant que le parti n’a « aucun candidat prédésigné ».

Côté présidentiables, les réactions ne se font pas attendre à gauche et même au centre : Ahmed Néjib Chebbi décline l’éventualité d’être la « figure nationale consensuelle » en question, tandis que le Front Populaire dénonce une « vaine tentative de tirer à soi la couverture des présidentielles ».

« Pourquoi pas des listes législatives consensuelles, tant qu’à faire ? » renchérissent, moqueurs, les réseaux sociaux.

Qu’à cela ne tienne, la campagne électorale faisait rage ce weekend. Les partis de l’ex-troïka étaient malgré tout en campagne, à Paris, où hasard ou pas du calendrier, Rached Ghannouchi et Mustapha Ben Jaâfar ont rencontré des personnalités politiques françaises ainsi que l’importante communauté tunisienne expatriée.

À mesure que l’on entre dans le vif du sujet électoral, les langues se délient : ainsi Ben Jaâfar livrait une première déclaration publique ouvertement hostile à Nidaa Tounes, un parti qui selon lui « risque de rétablir la tyrannie, si ses rangs venaient à baisser leur garde ».

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À Montreuil, une partie de l’opposition n’a pas changé de mentalité, continuant dans le déni et tentant de faire croire à une salle vide via une vidéo filmée prématurément.

Avec une longueur de retard, encore sonné par son remerciement pour bons et loyaux services par Nidaa Tounes qui fera finalement cavalier seul, le parti al Massar était dimanche 22 juin encore absorbé par son congrès constitutif. Sans grande surprise Samir Bettaieb fut élu secrétaire général, du sang neuf dont le parti, esseulé, aura besoin pour mener les prochaines batailles d’une gauche en crise. Et ce n’est pas la présence protocolaire de Taieb Baccouche et Mohamed Ennacer au congrès, caution de gauche envoyée par Nidaa, qui fera oublier les tensions.

Perçus comme des perturbateurs par la composante ex RCD de Nidaa Tounes les leaders de la « gauche moderne » tunisienne portent sans doute une part de responsabilité dans cette mauvaise passe, vouant une haine idéologique à l’islam politique qu’il ne pense pas capable de se réformer, mais tentant des alliances avec des représentants non réformés de l’ancien régime, au nom de l’anti islamisme.

De son côté Nidaa Tounes pèche probablement par excès de confiance : en se délestant d’un allié qui demain aurait pu être gourmand en postes ministériels, le parti d’Essebsi pousse d’autres petits partis vers une alliance qui pourrait les liguer demain contre « les deux droites » religieuse et RCDiste.

Ce serait, à terme, l’effet salutaire imprévu du « consensus », s’il venait à se résumer à un pacte de non-agression à droite : rétablir un semblant de logique dans le spectre politique tunisien. En attendant, le consensus restera un euphémisme du paralysant partage du pouvoir, ou comment « gagner les élections sans prendre le pouvoir ».