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La jeune Amani Youssefi après son transport à l’hôpital

Ses photos accompagnées par le récit de son calvaire ont fait le tour des réseaux sociaux. Amani Youssefi, énième victime de la violence policière, s’est immolée, le 25 juillet dernier, devant le poste de la police judiciaire à Sfax. Faite le jour de l’Aid, l’annonce a provoqué plusieurs actions de contestation dans la ville, dont un rassemblement, mercredi, devant le gouvernorat pour exiger l’arrestation des policiers responsables de son immolation. D’autres ont choisi de couper la route nationale n°11, toute la matinée, pour exprimer leur colère.

Amani, 19 ans, est commerçante de prêt à porter, à la foire de Sfax. Cette militante au bureau régional de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, et dans l’association locale « Taazor pour le travail social », est connue pour son engagement dans la société civile. Malgré son jeune âge, la victime était responsable de sa famille et de ses frères dont elle finançait les études. Suite à son décès, des composantes de la société civile ont porté plainte en exigeant des garanties pour une enquête neutre et un procès équitable.

Tout a commencé par un contrôle de papiers musclé, la nuit du 21 juin 2014, à Sfax. Selon des témoins, deux policiers dont un agent célèbre, depuis l’ère de Ben Ali, pour son comportement violent et ses « bavures » successives, ont agressé Amani, qui était sur le point de rentrer chez elle avec sa marchandise fraichement achetée à Médenine. Après l’avoir insultée et tabassée dans la rue, les deux policiers ont forcé la victime et un de ses proches à monter dans leur voiture en direction du poste de la police judiciaire. Là, ils ont encore une fois violenté Amani qui a résisté à ses agresseurs, s’est évanouie et a même craché du sang, ce qui a forcé la police à appeler l’ambulance pour la transporter à l’hôpital.

Sous la menace du policier nommé Jaafer El Amari, Amani a renoncé à son droit d’avoir un certificat médical prouvant l’agression qu’elle a subie,

témoigne Mounir, le collègue de travail d’Amani, présent lors des faits.

Le comble, c’est qu’après deux jours dans les geôles de la police judiciaire et une journée dans la prison de Sfax, Amani a été condamnée à un mois avec sursis pour outrage et violences contre un fonctionnaire public. Le mois s’étant écoulé, la victime est allée voir la police judiciaire pour récupérer sa marchandise et la somme de 650 dinars que les policiers lui ont confisquée. Humiliée, à nouveau, par ses bourreaux, elle a décidé de mettre fin à sa vie. Devant les locaux de la police judiciaire, la jeune fille s’est immolée, sans que personne n’ait essayé de l’en empêcher.

Même après la promulgation d’une nouvelle constitution qui rompt avec l’héritage oppressif de la dictature, le Code de la procédure pénale ne prémunit toujours pas les citoyens contre la maltraitance policière et les abus de pouvoir. L’absence de droit à une assistance juridique, dès le début de la détention, rend la violation du droit de défense automatique, pendant la détention et surtout lors de l’interrogatoire. Les dépassements commis par la police, dans cette première étape, mène, dans la majorité des cas, à un procès peu ou pas du tout équitable. Comme le souligne Human Right Watch, dans son dernier rapport intitulé « Des failles dans le système : La situation des personnes en garde à vue en Tunisie », les lois qui concernent la détention préventive doivent absolument changer et respecter les droits de l’Homme.

On rappellera les cas de Walid Denguir, de Wassim Ferchichi (âgé de 15 ans, torturé, en 2013, à Kasserine, pendant trois jours pour le forcer à signer des aveux), de Nabil Arari (prisonnier politique, torturé dans les geôles de Siliana, avant son transfert à la prison de Mornaguia) et d’autres victimes dont les dossiers étaient clos sans traitement sérieux, confirment que l’impunité est vraiment la règle quand il s’agit d’une infraction ou crime commises par la police. Le seul cas, où des agents de l’ordre ont été condamnés, est celui de Meriem Ben Mohamed, la jeune femme violée par trois policiers qui peine à avoir justice, après des mois de combat.

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Les frères du jeune Hamed Abdelaoui, 22 ans, qui s’est immolé pour les mêmes raisons et dans les mêmes circonstances à Sousse.

Ce drame qui a secoué la ville de Sfax n’est donc pas le premier du genre. Plusieurs jeunes se sont donnés la mort de la même façon, ces dernières années. Avant l’immolation d’Amani, le jeune Hamed Abdelaoui, 22 ans, s’est immolé pour les mêmes raisons et dans les mêmes circonstances à Sousse. Les abus policiers sont un fléau qui empoisonne la vie des Tunisiens. Pourtant, dans cette période sécuritaire et politique critique, aucune mesure n’a été prise pour mettre fin à la terreur policière et à l’impunité. A quand donc la création de l’Autorité nationale de prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels ?