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A deux semaines du premier scrutin libre des législatives, on ne peut pas dire que l’enthousiasme des protagonistes soit débordant, tant la campagne électorale démarre timidement. L’enjeu est pourtant crucial pour la transition. Baromètre parmi d’autres, l’affichage en milieu urbain n’a quasiment pas évolué depuis le feu vert de l’ISIE qui avait vu affluer essentiellement les colleurs d’affiches des partis les plus riches.

En cause notamment, le budget, le nerf de la guerre. Le 11 octobre, l’Instance dévoilait le montant global du financement public des listes électorales en lice : plus de 12 millions de dinars. Réparti selon la taille des circonscriptions, cela donne 5 à 11 mille dinars par liste, à rembourser en cas de score inférieur à 3%. Autant dire qu’entre frais de déplacements, de meetings et d’imprimerie, le pactole est vite dépensé, pour peu qu’il ait été versé.

De nombreuses listes indépendantes et de petits partis se plaignent encore en effet du retard pris par un transfert parfois pas encore arrivé. Du coup, nous voici face à un abstentionnisme d’un genre nouveau : celui d’une offre politique pas très achalandée, en dehors des spots télévisés qui font le bonheur des monteurs de bêtisiers.

Pour parer à l’amnésie des électeurs et au phénomène de l’arrachage précoce des affiches, le Front Populaire tempère et tente une stratégie alternative en ne remplissant les cases qui lui sont imparties qu’à partir de la deuxième semaine de campagne.

Dans ce champ politique de la professionnalisation des partis, Nidaa Tounes est l’un des rares à pouvoir engager des voitures de location arborant ses couleurs et sillonnant divers gouvernorats.

Né de la scission de Mohamed Abbou, le Courant Démocrate, sorte de gauche sociétalement centriste issue du CPR, pourrait créer la surprise. Du moins le volontarisme de ses bénévoles à vélo orange impressionne, sans compter le savoir-faire de l’ex secrétaire général du CPR en matière de réseaux régionaux.

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Tout s’achète, même la popularité ?

Dans les quartiers défavorisés les plus densément peuplés de la capitale, la campagne tournait au combat de coqs entre l’UPL et Nidaa Tounes, chacun tentant de s’y donner une profondeur et une légitimité sociale qu’il n’a pas, en marchant sur les platebandes de l’autre. Une valse des limousines qui ferait presque penser à Donald Trump à Harlem.

Si, entouré de ses gardes du corps, Slim Riahi a pu s’immiscer à Mellassine, on ne peut pas en dire autant du meeting « populaire » de jeudi de Nidaa Tounes qui a fait appel à des bus banalisés pour remplir la salle couverte du « ghetto », là où Hafedh Caïd Essebsi, de plus en plus omniprésent aux côtés de son père, enjoignait plutôt maladroitement les siens à ne pas craindre pour leur sécurité.

A Nice, le producteur amis des technocrates Tarak Ben Ammar et l’« imam du système » Hassan Chalghoumi figuraient samedi parmi les invités de marque au meeting cossu de Nidaa Tounes France sud, organisé par l’ex membre du comité central du RCD Raouf Khammassi.

Au registre des relatifs « boulets », Mohamed Jegham, l’ex ministre de Ben Ali vice-président du parti al Moubadara, déclarait samedi que son parti s’allierait à Nidaa Tounes, parti avec lequel il « partage les opinions politiques », dans le cadre d’une majorité parlementaire escomptée.

Interviewé en marge du meeting du 9 octobre, Béji Caïd Essebsi s’employait à mobiliser à nouveau le thème de l’anti islamisme dans son discours de campagne : « La révolution avait pour demande la justice sociale et non quatre femmes et je ne sais quoi d’autre », lance-t-il à l’intervieweur quelque peu étonné.

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Ennahdha en cavalier seul pour occuper le terrain

Face à cette réitération des crispations idéologiques, Rached Ghannouchi, qui jusqu’ici ménageait son concurrent destourien, s’agace et met en garde l’opinion contre « un discours clivant », de circonstance, invoqué « sous la pression d’extrémistes » laïques, et rappelant la « rhétorique bénaliste » d’antan.

Sur le terrain des démonstrations de force à ciel ouvert, Ennahdha était ce weekend le seul à être en mesure d’engager un branle-bas de combat sur plusieurs fronts, aux quatre coins du pays : à Sousse, Sfax, Gabès, Béja, le Kef, Médenine, Gafsa, Kairouan… l’activité du parti est intense, souvent avec déplacement du cheikh Ghannouchi en personne, allant à la rencontre de sympathisants galvanisés. Le tout est filmé en vue aérienne à l’aide de drones. Gigantisme garanti.

Une ferveur quasi intacte qui n’étonnera pas les politologues pour qui le parti islamiste dispose de bases particulièrement disciplinées, quels que soient les compromis, les éventualités d’alliances au nom du consensus ainsi que le bilan de l’expérience du pouvoir. Abstraction faite de la donne inconnue du score de Nidaa Tounes, Ennahdha pourrait devoir comme en 2011 donner des consignes de vote afin de favoriser le pluralisme de ses alliés.