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A J-7 du premier tour de la présidentielle, le nouveau paysage politique tunisien se dérobe toujours autant aux grilles de lecture traditionnelles. A peine assimilée, l’extinction brutale de formations politiques ancestrales est en soi un indicateur de l’irrationalité qui régit la séquence historique en cours.

En chœur avec certaines analyses angéliques, Nidaa Tounes continue de vendre l’idée d’une alternance démocratique réussie, au moment où les signes se multiplient d’une restauration déjà en marche.

C’est « probablement le mardi 18 novembre » que Slim Chiboub, grand kleptocrate devant l’éternel, rentrera en Tunisie, selon sa propre déclaration d’intention. Le gendre de Ben Ali sait sans doute que le climat politique est désormais propice à un retour serein, peut-être même agrémenté d’un accueil en fanfare.

« On aurait tort de bouder la victoire attendue de Béji Caïd Essebsi, car elle illustre à ce stade le seul succès d’un printemps arabe avec pour moteur ce que tous les autres n’ont pas réussi encore à trouver à ce jour, la sagesse du compromis » (sic), affirme pourtant François Clemenceau, péremptoire, le 15 novembre dans le JDD, à propos d’un candidat qu’il considère comme un « laïc pur et dur ».

Bien avant lui, dans un billet du Monde titré « Séculariser puis démocratiser », l’essayiste Caroline Fourest s’interrogeait dès novembre 2010 : « Faut-il souhaiter des élections libres lorsqu’un régime totalitaire menace de triompher par les urnes ? L’élection peut-elle servir à donner les clés d’une démocratie imparfaite aux ennemis de la démocratie ? C’est le dilemme récurrent du monde arabo-musulman. » Or, le postulat de cet essai n’avait pas prévu le scénario tunisien d’un islam politique qui allait précisément rendre les clés du pouvoir. Aujourd’hui, commentant les résultats du scrutin des législatives, son auteur s’entête à se féliciter d’une « défaite historique des islamistes » qui aurait « évité le pire » au pays.

Samedi, une décision d’Afek Tounes vient changer la donne pour ceux qui avaient misé sur une future alliance parlementaire de Nidaa Tounes avec des formations à sa gauche. A l’issue de leur conseil national, les néolibéraux d’Afek ont en effet appelé à soutenir la candidature de Béji Caïd Essebsi. Une consigne de vote à la présidentielle qui pourrait se traduire demain par un rapprochement au sein de la future Assemblée.

Fort des huit sièges Afek Tounes, Nidaa Tounes n’aurait alors plus besoin que des 17 sièges de l’UPL pour pouvoir gouverner à la majorité absolue, le parti populiste de Slim Riahi, sans foi ni loi idéologique, étant susceptible de basculer dans toutes sortes de directions.

Ce scénario, qui exempterait Nidaa d’une fastidieuse cohabitation avec Ennahdha, est d’autant plus envisageable que lors du meeting de Hamma Hammami du 16 novembre d’el Menzah, le Front Populaire s’est passablement distancié de certains propos orduriers de Béji Caïd Essebsi. « La différence est claire entre celui qui voudrait se dévêtir et celui qui aspire à vêtir les plus démunis », a lancé Bayrem Kilani du haut de la scène de la Coupole, allusion au chef de Nidaa Tounes.

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Rejetant tout procès d’intention en gouvernance hégémonique, Nidaa Tounes a en réalité déjà adopté quelques pratiques caractéristiques des régimes autoritaires, tels que le dénigrement ad hominem des défenseurs des droits humains. « Les Tunisiens ne veulent ni du « ghoul » (monstre) ni du mahboul », lançait Essebsi vendredi à propos de son principal adversaire Moncef Marzouki.

Dans son élément en campagne au sud du pays, ce dernier n’a pas manqué de radicaliser également son discours en déplorant à Gafsa « le fourvoiement du vote pour l’ancien régime », exhortant ses soutiens à entreprendre un travail de pédagogie auprès de l’électorat nostalgique.

Tour de vis sécuritaire, rétablissement de liens avec les régimes alliés régionaux, appels à expulser les équipes de chaînes TV étrangères au nom de la lutte antiterroriste, volonté de démantèlement de la justice transitionnelle, retour au pays d’anciens symboles du népotisme, parti majoritaire dynastique et affairiste… la restauration est un processus subtil qui, s’il ne rencontre pas de résistance, pourrait rapidement prendre de court les apôtres du réformisme consensuel.

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