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L’année 2014 a trahi ses promesses du fait de certaines pratiques répressives. Brutalité policière, torture et procès iniques continuent à être à l’ordre du jour. Légitimés par la lutte contre le terrorisme et les échéances électorales, ces manquements ont lâché la bride, de nouveau, aux forces de sécurité qui ont récidivé dans la violence. La glorification de la police et de l’armée qui « s’exposent aux dangers du terrorisme» fut, ainsi, le maître-mot de ce retournement de situation.

Plusieurs drames ont marqué les esprits. Celui de Ahlem et Ons Dalhoumi, abattues dans leur voiture par une patrouille, à Kasserine. Dans cette même ville, le jeune Hamza Saihi, lui aussi, victime d’une bavure policière, a reçu une balle dans la colonne vertébrale, en 2012, sans pouvoir obtenir, jusqu’à ce jour, des dédommagements pour se soigner et prendre en charge sa famille.

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En juillet 2014, Amani, 19 ans, a été victime de violence policière. La victime a mis fin à sa vie en s’immolant par le feu, tout comme un autre jeune de Sousse, Hamed Abdellaoui, dont la police a confisqué la marchandise en l’agressant impunément. Plusieurs autres jeunes ont connu le même sort dans les prisons tunisiennes, comme Ali Louati, Mohamed Ali Souissi et Nidhal Guesmi. Ce dernier a pu échapper aux séances de torture.

Concernant les arrestations et les procès politiques, les plus récents sont ceux de Inés Ben Othmane et Yassine Ayari. Mais, il y a eu aussi ceux de Azyz Amami, Saber Meraihi, de Sami Farhat et de Jabeur Mejri.

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Mouvements sociaux et punitions collectives

Au cours de cette année, le gouvernement Jomaa a opté pour un discours hostile aux revendications sociales, sous prétexte de crise économique. Le chef du gouvernement l’a, d’ailleurs, annoncé, au lendemain de sa nomination, devant l’Assemblée Nationale Constituante. Soutenu dans cette démarche par Moncef Marzouki, l’ex-président provisoire de la République, Jomaa a été plus ferme dans la répression des mouvements sociaux que ses prédécesseurs. Entre la contestation permanente du bassin minier du Sud, le mouvement des ouvriers agricoles au Serse, le mouvement «Moi aussi j’ai brûlé un poste de police », les mouvements sociaux contre la pollution et les poubelles à Djerba, à Siliana et à Tunis, les manifestations et sit-in à Sekhira, à Tozeur et El Hamma et les mouvements des familles des disparus, nombreux sont les dossiers ayant outrepassé le dialogue et la négociation au profit de la brutalité et des condamnations pénales.

Néanmoins, quelques petites victoires ont été enregistrées. D’abord, celle des ouvrières de LATELEC lesquelle, après plusieurs mois de combat avec la multinationale française, ont eu gain de cause, grâce à une grève de la faim qui a duré un mois et quelques jours. Au même moment, entre juillet et août 2014, la grève de la faim des jeunes militants de l’UGET leur a permis de recouvrir leurs droits.

Parmi les rares initiatives citoyennes ancrées dans le social et l’économique, citons celle du Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux qui a encadré des dizaines de dossiers ignorés comme celui des chômeurs, des travailleurs des chantiers, des Harraga (40 mille Tunisiens ont traversé le canal de Sicile, au cours de l’année 2011), des jeunes de Ksibet El Mediouni et des migrants réfugiés en Tunisie. À suivre également, l’excellente initiative citoyenne «Min 7a9i», lancé récemment en Tunisie, qui vise à lutter contre la criminalisation des mouvements sociaux.

La justice transitionnelle s’égare en cours de route

Félicitée pour sa réussite électorale, la Tunisie a raté le coche de la justice transitionnelle en la politisant. La dernière polémique relative à l’Instance Vérité et Dignité et aux archives de la présidence de la République en est une preuve supplémentaire. Pourtant, « il ne s’agit [pas] seulement de faire justice pour un héritage de violations, mais […] plutôt [de] repenser -ainsi que le résume fort bien Kora Andrieu, expert en droits de l’Homme auprès du Haut-commissariat des Nations Unies à Tunis- la nature même du lien politique, définit dans le rapport qu’une société entretient avec son propre passé, et selon la place qu’elle saura y faire, de manière équitable, [à] ses différentes victimes ».

La fragmentation des victimes et l’application inéquitable des différentes mesures de justice ont dénaturé le processus de démocratisation et de pacification de la société tunisienne, garantes de la confiance des citoyens vis-à-vis des institutions et de l’État. Ainsi, le dossier des martyrs et blessés de la révolution, les oubliés de la torture, les anciens prisonniers, et tant d’autres dossiers ne peuvent être classés sans le rétablissement de la vérité. Sans ce devoir de mémoire, les erreurs du passé risquent de se répéter.

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Malgré la victoire de Meriem…

Même si la Tunisie a enregistré des progrès en faveur des femmes, au niveau législatif, la question de la violence demeure posée. Non reconnues, certaines formes de violence (sexuelle, non physique et économique) sont mues par des stéréotypes basés sur les rapports entre les sexes, ce qui aboutit à une forme de violence par la loi. L’affaire Meriem, la jeune femme violée par trois policiers, est un exemple qui illustre clairement l’attitude des institutions tunisiennes dans la gestion des affaires liées aux violences sexuelles commises contre les femmes, en tentant de les justifier par divers moyens.

Le combat de Meriem s’est achevé par un verdict «a minima», ses agresseurs ayant été condamnés, le 31 mars 2014, à une peine de quinze ans de prison ferme. La FIDH a salué cette condamnation comme un pas vers l’élimination de l’impunité. Mais, elle considère, cependant, que la peine ne correspond pas à la gravité du crime commis par des fonctionnaires ayant la charge de veiller à la sécurité des citoyens, circonstance considérée comme aggravante par la loi tunisienne. D’autres femmes continuent à subir les effets pervers de la discrimination et de la marginalisation. Nawaat a interviewé une jeune fille qui vit dans la rue, après avoir subi un viol dans un centre de détention pour adolescents. A la Cité Ibn Khaldoun, Eya, 13 ans, a été brûlée vive par son père. Il est plus que nécessaire, aujourd’hui, de rappeler que priver les femmes de l’accès à la santé et à l’éducation ou même à l’espace public est aussi une violence de genre. Les Tunisiennes ne sont toujours pas à l’abri de cette violence insidieusement alimentée par la culture, les traditions ou encore la religion.