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Censée couronner la transition démocratique, l’intronisation du gouvernement Essid pose d’un point de vue socio-politique davantage de questions qu’elle n’en résout. Idéologiquement cohérente, la coalition entre un parti à référentiel destourien, deux partis néolibéraux, Ennahdha et des technocrates, correspond à une dynamique sans rapport avec l’esprit et les demandes de la révolution, renforçant l’impression d’une gouvernance sans réel fondement électoral.

5 février 2015, Avenue Habib Bourguiba, les jeunes militants du Front Populaire semblent bien isolés, absorbés par les préparatifs de la commémoration du lendemain, deuxième anniversaire de l’assassinat de leur leader Chokri Belaïd. A quelques kilomètres de là, au Palais du Bardo, une standing ovation des trois quarts de l’hémicycle saluait le vote de confiance au gouvernement d’Habib Essid.

Rectifié à 167 votes favorables, le spectacle d’un tel unanimisme n’est pas un indicateur d’une démocratie dans la meilleure santé qui soit.

Les deux assassinats politiques de Belaïd et de Mohamed Brahmi ont incontestablement été un moment charnière, des évènements majeurs qui ont façonné l’actuel échiquier politique tunisien, en 24 mois de tumulte spontané, mais aussi de manœuvres politiciennes.

Nidaa Tounes avait dans un premier temps exigé la dissolution de la précédente Assemblée constituante, avant de réaliser qu’il pouvait l’emporter « à la régulière » : attendre patiemment son heure, et récolter des centaines de milliers d’électeurs souvent mus par un climat anxiogène, une peur légitime de l’instabilité.

Or, cette quête de la stabilité à tout prix est omniprésente depuis quelques mois dans le discours d’Ennahdha, davantage chez les dirigeants que parmi les bases du parti islamiste. Pragmatisme ? Recul stratégique à l’aune du chaos égyptien ? Recoupements idéologiques avec la droite sécuritaire classique ? C’est probablement la somme de tous ces facteurs à la fois qui explique la convergence des droites ces dernières semaines.

Comme pour affaiblir encore plus une opposition déjà minuscule, les brouilles politiciennes touchent désormais la propre famille politique élargie des deux martyrs. Entre la veuve Belaïd et le Front Populaire, la rupture est consommée. Basma Khalfaoui a choisi cette date symbolique pour étaler au grand jour une crise qui couve depuis de longs mois entre elle et le parti, un conflit qui l’oppose plus précisément à Hamma Hammami qu’elle accuse d’exploitation politique de la vague de sympathie autour de Belaïd.

Jeudi 12 février, Basma Khalfaoui a menacé d’une « guerre ouverte » « certains leaders du Front », s’il ne s’abstiennent pas de mener ce qu’elle a qualifié de « guerre secrète » contre la Fondation Chokri Belaïd.

A la recherche d’une gauche sociale

Hors gauche radicale du Front Populaire, quelle autre offre politique pourrait faire face au rouleau compresseur des droites ?

Sous d’autres cieux, une défaite significative lors d’un scrutin au suffrage universel direct aurait été synonyme de retrait de la vie politique. Pour Moncef Marzouki, l’échec fin 2014 était paradoxalement annonciateur de l’accession au statut de leader d’un mouvement populaire de grande envergure. Nul ne donnait en effet ce dernier, victime d’une classique usure du pouvoir, à près d’1 million et demi de voix au final.

Les résultats préliminaires à peine proclamés qu’il lançait du haut du balcon de son QG de campagne une « mouvance », à mi-chemin entre un parti et courant politique inédit, destinée à capter la ferveur autour du « Docteur ». C’est le 20 mars que cette initiative devrait se concrétiser, avec un manifeste censé en préciser les contours.

Mais un trublion dans cette famille dite de la « gauche de l’affirmation », une gauche sociale réconciliée avec l’identité arabe, fait déjà de l’ombre à Marzouki que l’on dit sans stratège à ses côtés. C’est Mohamed Abbou, ou plutôt le couple Abbou. Fort de l’ex égérie du CPR, Samia Abbou, le tandem se verrait bien, à terme, en couple présidentiable. Il a pour lui la jeunesse et une certaine virginité politique. Non affecté par les déboires de la troïka, Mohamed Abbou avait rapidement démissionné de son poste de ministre de la Réforme administrative en 2011.

Quoi qu’il en soit, sans bloc parlementaire à l’ARP, point de salut. Une source au « Tayyar », l’Alliance Démocratique, le parti des Abbou, nous indique que la jeune formation a d’ores et déjà contacté l’ensemble des partis de centre gauche restés dans l’opposition, mais qu’elle conditionne sa signature de tout communiqué commun à la constitution effective d’un groupe parlementaire. Parmi les noms proposés, « Kotlat al Siada » (« Bloc souverainiste ») proposé par Imed Daïmi, et « al Kotla al Ijtimaîya » (« Bloc socialiste »), proposition d’al Tayyar à qui la dimension sociale tient à cœur.

A droite toute ! C’est ainsi que l’on pourrait résumer le paysage politique début 2015. Embryonnaires, les alternatives théoriquement la plus porteuses des aspirations de la révolution de la Dignité n’en restent pas moins prometteuses… surtout si l’alliance des conservatismes fiscal et religieux, qui ne passionne pas les foules, ne fait pas long feu.