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Tenace, parfois à deux doigts du clash, souvent cassant avec ses interlocuteurs… le président Béji Caïd Essebsi n’a pas dérogé à sa réputation le 8 mai en matière de relations avec la presse, pour sa deuxième prestation télévisée depuis son investiture, la première sur une chaîne privée. Face aux journalistes d’El Hiwar Ettounsi, il avait visiblement à cœur de casser l’image d’un président de la République épuisé et absent.

Buste de Bourguiba derrière Hamza Balloumi en journaliste modérateur, versets coraniques entourés d’ornements lumineux rouge vif, le décor est planté… Passablement ostentatoire, voire baroque, il créé un assemblage hétéroclite avec l’agencement futuriste du décor de l’émission. Si elle ne verse pas dans la sobriété, la communication présidentielle en termes de design d’intérieur renseigne sur l’univers de Béji Caïd Essebsi, et tranche avec l’austérité minimaliste de son prédécesseur.

Qu’à cela ne tienne, sur le fond, les questions plutôt incisives et impertinentes des trois journalistes attestent du fait que nous sommes en présence d’un exercice démocratique sain, même si tous trois sont réputés appartenir à la même sensibilité politique. Ce sera tout pour les avancées, car le contenu des réponses rappelait quant à lui souvent une autre époque, faite de relents d’autoritarisme que cachent mal les ressorts de la com’ la plus moderne.

A commencer par le refus du statut d’« ex opposant » que lui prête l’un des journalistes en le présentant : « D’abord je n’étais pas un opposant. J’étais responsable d’un parti », s’empresse de rectifier Béji Caïd Essebsi qui semble, comme par vieux réflexe, considérer comme humiliant le statut même d’opposant.

Confronté d’emblée aux questions à propos de la situation socio-économique en crise, explosive dans le sud, le président répond, agacé : « Le gouvernement est en pleine guerre contre le terrorisme, et vous voulez qu’on s’occupe de cette question ? »… D’apparence logique, la digression est pour le moins symptomatique d’une politique de droite, aux priorités exclusivement sécuritaires.

Zélé, le président a en revanche trouvé le temps pour une initiative de réconciliation nationale dont les contours sont préparés par les propres soins de la présidence. C’est l’une des annonces phares de cet entretien : on y apprend en effet qu’il s’agit d’une initiative législative, un projet de loi qui sera soumis à l’Assemblée des représentants, destiné à absoudre les hommes d’affaire non concernés par le pénal, « sans que cela n’empiète sur le processus de justice transitionnelle », selon Essebsi.

Cette semaine le bassin minier est en proie à une crise d’une ampleur inédite : arrêt total des activités de la Compagnie des phosphates de Gafsa, entrainant la fermeture du site du Groupe Chimique Tunisien de Gabès. L’opinion publique attendait légitimement du président de la République qu’il s’adresse à la région et aux Tunisiens dans un message d’apaisement. C’est ce que fait remarquer le journaliste Boughalleb au président, tout en lui rappelant les propos d’Ammar Amroussia, élu du Front Populaire à Gafsa qui se demande ironiquement si le président est en vie. « Ceux-là (l’extrême gauche, ndlr) leurs positions sont connues, rien de ce je peux dire ne saurait convaincre monsieur Amrousi », répond Essebsi.

Interrogé sur l’éventualité d’une deuxième révolution, « celle de la faim cette fois », Béji Caïd Essebsi adresse une mise en garde destinée à ceux qui sont tentés par une nouvelle révolution : « vous rêvez, c’est moi qui vous le dis ! », assène-t-il, non sans rappeler le « la loi s’appliquera avec fermeté » de la présidence d’avant révolution…

Concernant sa politique étrangère, le président maintient le cap également : « je recevrais le diable en personne si cela est dans l’intérêt de la Tunisie », a-t-il lancé, selon une doctrine totalement inverse de celle de son prédécesseur Moncef Marzouki qui avait fait prévaloir l’éthique universaliste dans ses rapports avec les régimes autoritaires et contre-révolutionnaires.

Ainsi Béji Caïd Essebsi s’est félicité vendredi soir des bons rapports que le pays entretient désormais avec les pays du Golfe : « la Tunisie est revenue aux fondamentaux de sa politique étrangère ». « Revenue » étant ici le mot clé, référence à une restauration sans complexes ni scrupules, pilier d’une politique étrangère strictement basée sur les intérêts. En énumérant les pays en question, le président citera comme par ordre de mérite les « excellents rapports avec l’Egypte (d’al Sissi, ndlr), l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweit et le Qatar».

Revenant sur les relations avec les Etats-Unis, « un grand allié », il évoquera fièrement, une fois de plus, la question des étudiants tunisiens bénéficiant d’une bourse aux USA, qui seraient au nombre de 400, un aveu tacite d’impuissance face à l’état de désuétude du système éducatif national.

Confronté à une question sur la régression des libertés sous son règne ainsi qu’à une question sur la controverse autour de l’implication grandissante de son fils Hafedh Caïd Essebsi en politique, le président niera tout en bloc, y compris la tentation du retour de la presse laudative. Il en veut pour preuve les éloges du site du Point ou encore une délégation d’autres journalistes français reçus le 5 mai au Palais.

Fidèle à lui-même, le président Essebsi citera encore le Coran pour justifier sa politique selon lui « centriste », un verset où il est question de la création d’une nation islamique de la modération. En un peu plus de quatre mois de pouvoir, son bilan est pourtant celui d’une tendance nettement droitière, n’invitant les partenaires sociaux à s’assoir à la table des négociations que pour expliquer que l’Etat n’a pas les moyens de subvenir à leurs demandes.

L’optimisme présidentiel affiché par la prestation du 8 mai risque néanmoins de ne pas faire long feu face à un été social qui promet d’être très chaud.