La justice trébuche au début de l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaid

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Deux ans et cinq mois après l’assassinat de Chokri Belaid, le premier procès de ses présumés assassins s’est déroulé, le 30 juin, au Tribunal de Première Instance à Bab Bnet avec une présence sans précédent de plus de 300 avocats. Quelques centaines de militants du Front Populaire, de la société civile et d’autres partis politiques se sont rassemblés devant le tribunal pour revendiquer la « révélation de toute la vérité ».

Le tribunal a décidé de reporter le procès pour diverses raisons, entre autres, le refus de 20 accusés arrêtés d’assister au procès. Les quatre accusés qui ont accepté d’assister à l’audience sont Kais Mchala, Maher Al Akari, Ahmed Ben Oun et Seifeddine Al Arfaoui. Charfi Elkelil, un des avocats de Chokri Belaid, explique que « malgré qu’ils étaient contactés directement par le ministère Public et leurs avocats, quatre accusés seulement ont accepté d’assister au procès ». Ce refus est expliqué par certains comme une contestation claire de la neutralité du tribunal. « Mais ce n’est pas forcément la réelle raison », ajoute un autre avocat de la défense, Mohammed Mzam.

Selon l’avocat Khaled Aouinia, le tribunal a reporté le procès à la prochaine saison judiciaire pour quatre raisons :

L’affaire est vraiment lourde en gestion. Il y a 8 boites d’archives à étudier et 480 pages uniquement pour la décision de la chambre de mise en accusation. La deuxième raison est le refus des accusés de paraître devant le tribunal. Les deux dernières raisons concernent la défense et les avocats des accusés qui ont besoin de plus de temps pour présenter leurs demandes au tribunal et concerter chacun de son côté avec ses clients et entre avocats. Khaled Aouinia

Rappelons que la présidente du Tribunal de Première Instance de Tunis a décidé avec le ministère de la Justice de passer la séance du procès dans le hall du tribunal vu le nombre très élevé des personnes qui doivent y assister. Mais la logistique n’était pas à la hauteur d’un tel événement, qualifié d’historique. « le procès n’est pas très bien organisé. L’Ordre National des Avocats a, pourtant, insisté auprès de la présidence du tribunal sur l’obligation de garantir les conditions les plus favorables à un procès équitable et transparent », explique Mohamed Mzam.

Oussema Helal, un des avocats présents dans la salle d’audience décrit le procès comme suit :

Les accusés ont été maltraités et violentés le jour-même de leur procès d’après leur avocats. Les journalistes ont envahi l’espace avec leurs caméras et leurs magnétos empêchant les avocats d’accéder à l’espace qui leur est réservé naturellement. Des avocats se sont insultés les uns les autres devant les magistrats et les agents de l’ordre. Rien dans la « salle d’audience » n’a été dans le sens de la bonne tenue d’un procès. Les accusés avaient raison de refuser de comparaître. Il n’y avait rien qui garantissait leur sécurité. En plus des pseudo-défenseurs des Droits de l’Homme qui s’offusquent de voir d’autres avocats défendre les accusés ! Je pense franchement que Chokri Belaid est mort aujourd’hui !

Un des avocats qui a pris la défense des accusés est Samir Ben Amor, constituant à l’ANC et membre du Mouvement Populaire des Citoyens présidé par l’ex-président de la République Moncef Marzouki. En réponse aux attaques des partisans de Chokri Belaid, l’avocat explique à Nawaat qu’il défend un seul accusé. « Mon client est innocent. Sept mois après l’assassinat de Chokri Belaid, la police a intercepté une communication téléphonique entre lui et son copain. Ils leur reprochent des propos haineux envers la police. C’est tout ce que j’ai trouvé dans le dossier de mon client. Sachant qu’il purge sa peine en prison, depuis deux ans, pour cette même communication téléphonique et qu’il est interdit par la loi de juger la même personne pour le même crime deux fois. Concernant les attaques, je me limite à rappeler que Chokri Belaid en son vivant a milité pour les procès équitables et juste même face à ses pires ennemis », rappelle Samir Ben Amor lynché avec d’autres avocats de la défense des accusés devant le tribunal et même durant l’audience.

Devant le tribunal, la foule a scandé des slogans accusant le parti islamiste Ennahdha d’être derrière l’assassinat de Chokri Belaid et celui de Mohamed Brahmi. « Ramenez Laârayedh à la justice! Laârayedh est un assassin! Ghanouchi est un assassin! » ont répété à longueur de journée les manifestants devant le Tribunal de Première Instance à Bab Bnet.

« La décision du juge d’instruction de diviser les dossiers de Brahmi et de Belaid en deux groupes sous prétexte que les dossiers du premier groupe de suspects sont prêts à comparaître en justice est une mauvaise décision. J’ai l’impression que ce premier groupe d’accusés portera toute l’affaire et le dossier sera clos ou presque. Alors que notre revendication est d’identifier et juger les commanditaires des deux assassinats. Nous voulons voir Ali Laârayedh et Lotfi Ben Jeddou accusés dans cette affaire. Nous voulons voir ceux qui ont caché le document des services secrets américains (qui prévenait les autorités tunisiennes d’un prochain assassinat),ceux qui ont aidé Abou Yadh à s’échapper à la justice et ceux qui ont incité à la haine et à la violence contre Belaid … Tous ces gens sont responsable du meurtre de Chokri Belaid et doivent comparaître devant le tribunal. Sinon, nous nous égarons encore une fois de la vraie justice », explique Balkis Brahmi, fille de Mohamed Brahmi, constituant assassiné en juillet 2013.

Le challenge s’avère grand pour la justice qui se prépare à son plus grand procès depuis la révolution. Ce premier procès contre le terrorisme sera décisif sur les plans politiques, judiciaires et sécuritaires. La justice tunisienne, sera-t-elle, capable de relever ce challenge historique ? Saurons-nous, enfin, qui a tué Chokri Belaid ? Des questions dont nous aurons la réponse à partir du mois d’octobre prochain.

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