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« Nous refusons qu’on nous trahisse une deuxième fois ! » clame la banderole de la conférence de presse, tenue mercredi 11 novembre, à Tunis par l’association « Awfia » avec le soutien du collectif « Insaf ». Des fuites du ministère des Affaires Sociales confirment que la liste définitive des martyrs et des blessés de la révolution sera modifiée. Selon la présidente de l’association, l’État a l’intention de soustraire les noms des martyres tombés sous les balles après le 14 janvier.

Dans la salle, quelques journalistes s’impatientent. La conférence prend un retard considérable. « Les parents des martyrs et des blessés viennent de loin », justifie l’une des militantes de l’association. Les organisateurs s’attendaient à plus de présence médiatique. « Ils s’intéressent aux querelles politiques plus qu’à nous ! Maintenant les martyrs font partie des archives … ils sont oubliés » ironise-t-elle. Devant la porte de la salle de conférence, la présidente de « Awfia » accueille Om Saad, mère du martyr Majdi Nasri, assassiné à Cité Ettadamen le 12 janvier par un agent de la garde nationale. « Je veux rendre justice à mon fils avant de mourir » confie la dame à Lamia avant de s’éclater en sanglot devant les regards distants des présents. Om Saad est atteinte d’un cancer des os. Malgré sa souffrance, elle continue le combat. Selon elle « le dédommagement n’est pas une finalité. L’État doit reconnaître ses crimes et rendre hommage aux martyrs ».

La conférence commence. Lamia Farhani, sœur du martyr Anis Farhani et présidente de « Awfia » martèle devant le micro « Les politiciens ont trahi les martyrs ! ». La présidente de l’association rappelle que malgré les instances, comités et commissions crées pour s’occuper du dossier, rien n’est encore fait pour les familles des martyrs et les blessés.

Encore pire que la négligence des autorités, aujourd’hui il est question de la réputation et de la dignité des familles. Bannir les noms de nos enfants de la liste définitive des martyrs est la pire humiliation que nous pouvons subir,averti Lamia.

Selon les sources de « Awfia », les martyrs et les blessés tombés sous les balles après 14 janvier ne seront pas reconnus comme tels. « Alors que Bouderbala, lui-même, avait fixé la liste en admettant les blessés et morts tombés entre la période du fin décembre jusqu’à la fin du mois de février comme martyrs et blessés de la révolution » explique la sœur du martyr. Rappelons que la liste définitive devrait être publiée par le Commision des martyrs et des blessés de la révolution, crée par la loi n° 2012-26 du 24 décembre 2012 au sein du Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, actuellement présidée par Taoufik Bouderbala. Ce dernier avait dirigé la Commission nationale d’investigation sur les dépassements et les violations commises durant la révolution et a publié son rapport final en 2012 avec une liste considérée comme exhaustive.

En outre, le collectif « Insaf » annonce que des composantes de la société civile ont interpellé l’Instance Vérité et Dignité pour une réunion autour du dossier des martyrs et des blessés. Selon Lamia Farhani, la présidente de l’IVD, Sihem Ben Sedrine, a annulé une réunion avec son association le 19 août. « Et ce n’est pas la première fois que ça nous arrive » s’indigne-t-elle en brandissant une dizaine d’invitations que son association a envoyé aux différentes instances et commissions entre le gouvernement et le parlement s’occupant de ce même dossier. Contactée Par Nawaat, l’IVD regrette l’annulation de la rencontre et rappelle le partenariat stratégique établis avec les ONG depuis janvier 2015 car « les victimes sont, et restent au coeur du processus de la justice transitionnelle ».

Leila El Arbi, mère du blessé Rached El Arbi rappelle le calvaire des six blessés de la révolution qui attendent des opérations urgentes et des chaises roulantes depuis quatre ans :

Avec toutes ces commissions et ces apparitions télévisées pour énumérer des actions et des mesures imaginaires au profit des blessés, nous n’avons pas eu le moindre soutien de la part des autorités.

Khaled Ben Nejma, paraplégique, lui aussi attend toujours un rendez-vous pour aller se soigner en France. « Depuis des mois, Khaled demande de soulager ses douleurs. La morphine n’a plus aucun effet sur lui » affirme Leila.

A Kasserine, 600 blessés et 23 familles de martyrs ont obtenu, en 2013, la moitié de leurs indemnités. Majdouline Cherni, secrétaire d’État, chargée du dossier des martyrs et des blessés de la révolution a indiqué, jeudi 12 novembre, sur les ondes de la Radio Nationale, que 95% des blessés et des familles des martyrs ont obtenu leurs droits. Pour revoir à la baisse la liste des bénéficiaires, la secrétaire d’Etat n’hésite pas à affirmer que « trois personnes inscrites sur la liste des blessés de la révolution sont partis au djihad en Syrie ». Une déclaration que les blessés et leurs familles sauront apprécier.