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Vendredi 11 décembre, Béji Caïd Essebsi reçoit au Palais de Carthage les représentants respectifs des deux parlements rivaux libyens de Tripoli et Tobrouk. Le temps d’un discours confus aux abondantes références religieuses et nostalgiques, le président tunisien se défendra de toute ingérence, Tunis fournissant tout au plus le cadre spatial à une médiation de l’ONU. Mais l’opération com’ de la présidence de la République cache mal un casse-tête loin d’être résolu.    

« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Et dis : “Ô mon Seigneur Fais-moi entrer dans la vérité et fais-moi sortir avec la Vérité. Et accorde-moi de Ton essence, ta science secrète, assistance et secours. Et dis “Qu’advienne la Vérité (l’Islam) et que disparaisse l’injustice. Car l’injustice est destinée à disparaître».

C’est par ce long verset de la sourate al-Israa que Béji Caïd Essebsi entamera son speech. A mi- discours, c’est la sourate As-Saff qui sera citée à son tour. Et c’est évidemment encore un verset qui clôturera le speech présidentiel. Ce n’est pas la première fois qu’Essebsi adopte ce style qu’il affectionne, à mi-chemin entre le prêche de l’imam et le satisfécit du sage superstitieux qui tire sa vérité d’un corpus théologique.

Pensant être en présence d’un pouvoir laïque moderniste, certains hôtes occidentaux du Palais lors de la célébration du prix Nobel de la paix en novembre dernier, sous l’égide médiatique de Nessma TV, avaient été surpris par la mise en scène mettant au centre des festivités un président vibrant pendant de longues minutes à l’écoute d’une récitation de versets du Coran.

Une médiation ringarde, tournée vers le passé

Même étrange anachronisme que l’on imagine source d’un ennui profond de l’audience, lorsque le président se lance dans un long récit aux allures de conte des prouesses de Habib Bourguiba, à l’époque des péripéties de sa traversée à pied du désert libyen vers l’Egypte. « Il ne devint un grand leader sur le plan international qu’après être passé par la Libye », assure Essebsi, rêveur.

« Nous espérons que la Libye redeviendra comme avant, retrouvera un Etat, et verra son drapeau à nouveau flottant parmi celui des autres nations », martèlera le président tunisien. Un leitmotiv qu’il emploie souvent à propos de la Tunisie, où il appelle de ses vœux la restauration d’un Etat fort, doué de « prestige », mais en omettant une quelconque référence à l’Etat de droit, aux droits de l’homme et à la démocratie.

« Seuls les Libyens sont à même de trouver une solution à leur conflit. Quiconque vous dit que la Tunisie a interféré vous ment ! Et nous ne voulons pas de l’ingérence de pays étrangers dans les affaires de la Libye », poursuit Essebsi, avant de revenir sur sa rencontre avec l’émissaire onusien Martin Kobler.

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Mais le président sait que « the elephant in the room », c’est surtout sa rencontre avec John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, moins d’un mois auparavant, qui avait pour ordre du jour essentiel la situation libyenne. En sus de la sanctuarisation du pays par l’Etat Islamique, ce qui pousse les chancelleries occidentales à précipiter la résolution de l’imbroglio libyen, c’est aussi l’afflux des réfugiés et immigrés clandestins dont le nord du pays est devenu la plaque tournante.

Une guerre d’influence aux enjeux complexes

Cependant il est important de rappeler que rien de concret n’a été signé jusqu’ici par les frères ennemis libyens. Pis, un accord de principe avait été signé à Gammarth une semaine auparavant, le 6 décembre, à l’issue de négociations menées dans le plus grand secret, s’affranchissant des modalités prévues par l’ONU, ce qui fut source de panique notamment en Egypte et aux Emirats arabes unis, deux pays « attachés au maintien du cadre issu des efforts de l’initiative de l’ONU ».

A en croire la présidence de la République tunisienne, un accord officiel sera signé le mercredi 16 décembre prochain, notamment pour rectifier le tir de l’accord précédent vu d’un très mauvais œil en haut lieu et auquel Tunis avait maladroitement fourni un cadre…

Samedi 12 décembre, une tribune signée par le tandem Emma Bonino, ex ministre des Affaires étrangères italienne, et Jean-Marie Guéhenno, président et CEO du très bien informé International Crisis Group, détaille les principaux points de discorde entre Tripoli et Tobrouk.

L’analyse déplore « un accord hâtif » qui risque de compliquer la donne plutôt que de résoudre quoi que ce soit, tant que les deux belligérants ne sont d’accord que sur un seul point : précisément leur désapprobation du plan onusien…

Au centre de ce rejet, la personnalité contestée de Faez Serraj, imposé dès octobre dernier pour diriger la nouvelle unique autorité libyenne reconnue internationalement, mais relativement inconnu au bataillon en Libye.

S’il installe son QG à Tripoli, il s’exposerait à un casse-tête sécuritaire, avec la proximité de Sirte, nouveau fief de Daech, à supposer que les milices de la capitale soient bienveillantes à son égard… Si l’entité dirigée par Serraj choisit en revanche le désert libyen, au point de jonction des frontières du pays avec celles de la Tunisie et l’Algérie, le risque d’une marginalisation serait trop important : on pourrait alors se retrouver avec un gouvernement paria qui ne représenterait que lui-même.

On comprend alors que, dans ces conditions, les prières d’Essebsi et les incantations de Bourguiba ne seront pas de trop pour espérer un accord viable dans le bourbier libyen…

Critiqué par d’anciennes composantes de la troïka de jouer un rôle quasi inexistant en Libye depuis son avènement à la présidence, Béji Caïd Essebsi tente de marquer son mandat par un accord historique. A-t-il la politique de ses moyens ? Rien n’est moins sûr, au moment où les mafieux qui ont les moyens de leur politique s’engouffrent dans la brèche.