Secouée par une nouvelle démission, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) traverse incessamment des zones de turbulences. Au moment où l’instance a annoncé la démission d’Amel Chahed, mercredi matin, le président Béji Caïd Essebsi était interviewé à la radio, exprimant au passage son hostilité au régulateur. Il était d’ailleurs sur la même longueur d’onde que Rached Ghannouchi qui s’est exprimé sur la question dès 2013.
Après Mohsen Riahi en juillet 2014, Raja Chaouachi en août 2014 ainsi que Riadh Ferjani et Rachida Ennaifer en avril 2015, c’est au tour d’Amel Chahed, qui a intégré le conseil de l’instance en juin 2015, de démissionner mercredi 30 avril. La HAICA est de plus en plus fragilisée par son instabilité mais aussi par des campagnes anti-régulation cherchant à saper son autorité. Au moment où l’instance a annoncé la démission d’Amel Chahed, hier matin, le président Béji Caïd Essebsi était sur les ondes de toutes les radios du service public ainsi que Mosaïque Fm et Radio Med, en entretien avec Hatem Ben Amara de la Radio Nationale, Boubaker Ben Akacha de Mosaique Fm et Soufiane Ben Farhat de Radio Med. Les déclarations du chef de l’Etat au sujet de l’instance de régulation en disent long sur le rapport conflictuel entre le pouvoir et la HAICA et la volonté des dirigeants d’assujettir le secteur. De quoi répondre, du moins partiellement, aux questions sur l’instabilité de la HAICA et son impuissance face aux hors-la-loi.
Caïd Essebsi sur le ring
Evoquant le retard de la création de l’Instance de la Communication Audiovisuelle (ICA) prévue par l’article 127 de la nouvelle constitution, Soufiane Ben Farhat a dû faire face aux talents de boxeur de Béji Caïd Essebsi. Comme à chaque fois qu’il se retrouve en position de faiblesse dans ses interviews, le vétéran destourien esquive les coups, distrait son interlocuteur et contre-attaque, quitte à s’obstiner à choisir lui-même son adversaire. Le président a évité la question du journaliste. Il a changé le sujet en revenant sur la polémique concernant l’octroi du signal de diffusion à Nessma lors de la célébration du Prix Nobel de la Paix décerné au quartet du dialogue national. Ensuite, il a choisi son adversaire, la HAICA, pour sa contestation de ce choix de la présidence, avant de lancer son assaut.
Démonstration : « Qu’en est-il de la Haica ? […] Elle devrait être temporaire mais voilà que c’est un provisoire qui dure », l’interroge Soufiane Ben Farhat. « C’est vrai. Que voulez-vous que je vous dise ? Cette instance, j’ai eu un problème avec elle. Quand on a célébré le prix Nobel du quartet, ils ont dit que… », répond le chef de l’Etat avant de se mettre à baragouiner sans trouver les mots. Il a eu une absence de quelques instants. Boubaker Ben Akacha lui rafraichit la mémoire : « Le signal ! ».
Après l’esquive, la contre-attaque
Hatem Ben Amara de la Radio Nationale ajoute : « Vous avez donné le signal à Nessma Monsieur le président ». Le président se ressaisit : « Il s’est avéré que ce n’est pas vrai. Vous avez porté plainte contre nous », réagit Caïd Essebsi en pointant l’animateur d’un index accusateur, vu qu’il travaille pour un média du service public. « Ça ne me dérange pas. Chacun fait son devoir. Cette HAICA a pris position sans se renseigner. Dépend-t-elle de vous ? », poursuit-il en haussant le ton, au point d’être menaçant, lors de sa dernière phrase. Ben Amara rebondit : « La télé nationale a demandé à… ». Le chef de l’Etat l’interrompt en conservant un ton tendu : « Elle a fait recours contre nous auprès de la HAICA et elle a pris les choses telles quelles ». Soufiane Ben Farhat reprend la parole en interpelant le président au sujet de toutes les instances constitutionnelles qui devraient être créées, en citant la nouvelle instance de régulation de l’audiovisuel en premier. « Elle doit être créée », l’interrompt à nouveau le président avec fermeté, mettant ainsi fin à la discussion sur la création de l’ICA, sans répondre sur le retard ni même informer ses interlocuteurs de quelconques préparatifs.
Sur la même longueur d’onde que Ghannouchi
Non seulement hostile à l’instance de régulation transitionnelle, Béji Caïd Essebsi se montre laxiste quant à la création de la constitutionnelle ICA. Bien avant lui, le gouvernement de la Troïka a mis un an et demi pour mettre en application le décret-loi 116 de novembre 2011 et créer la HAICA le 03 mai 2013. En abordant la question, Rached Ghannouchi ne mâche pas ses mots. « J’ai peur de la régulation. […] Ce n’est pas facile aujourd’hui de parvenir à une instance neutre, surtout dans le secteur médiatique », a déclaré le président d’Ennahdha au micro de Radio Tataouine, fin mars 2013. Il a ensuite ajouté :
La majorité des candidatures sont de gens porteurs d’idéologies en contradiction avec le projet islamique, le projet nahdhaoui. Il y a donc un réel danger de création d’instances qui pourraient recourir à la répression. Une liberté anarchique comme celle d’aujourd’hui est moins dangereuse qu’une liberté étouffée.
Le président du parti islamiste, actuellement majoritaire à l’assemblée, ne voulait pas d’une instance de régulation avant même sa création. Le chef de l’Etat se montre hostile à son égard et il ne porte visiblement pas de projet pour la création de l’ICA. Les deux alliés sont déterminés à faire durer l’anarchie dans un secteur médiatique de plus en plus instrumentalisé pour des fins partisanes, essentiellement des deux formations politiques au pouvoir.
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